Je n’ai pas envie de le voir. Je n’ai pas envie d’avoir à lui. J’ai envie qu’il m’oublie comme il l’avait si bien fait ces dernières années. Certes, j’avais reçu des courriers. Mais lorsqu’il était sorti, la première fois, il aurait largement pu venir me voir. Juste pour se rendre compte que j’étais devenue quelqu’un de bien. Mais il ne l’avait pas fait. Je ne lui en voulais pas. Mais je voulais juste qu’il arrête de faire comme si on faisait partit de la même famille. Il fallait arrêter de jouer sur les apparences. J’avais grandi loin de lui. Je finirais ma vie loin de lui. Il ne fallait pas chercher plus loin. Du point de vue génétique, il était peut-être mon père, mais de mon point de vue à moi, il n’était rien. Absolument rien. Pourtant, un homme m’avait donné rendez-vous à la prison. J’avais catégoriquement refusé de venir. Pour moi, c’était clair, net et précis que je ne mettrais pas les pieds dans cette foutue prison. Mais Kasey, mon fiancé, a réussi à me faire changer d’avis. D’après lui, ça ne coûte rien de voir ce que l’homme en question ou même mon père avait à me raconter. Comme il l’avait dit, je ne perdais rien, j’avais tout à gagner.

Kasey m’avait déposé devant la prison. Je l’avais regardé de loin, sans vraiment bouger. J’espérais surtout qu’il redémarre mais il ne l’a pas fait. Je suis finalement sortie de la voiture. Lui, était repartie. Il devait aller travailler. Moi aussi, je devrais le cul posé derrière mon bureau, plutôt qu’être ici. Je m’étais ensuite dirigé vers la porte. J’avais envie de prendre mes jambes à mon cou. Les gens commençaient à entrer. Qu’est-ce je foutais-là, sérieusement ? J’avais clairement autre chose à faire que d’écouter un pingouin me parler de je-ne-sais-trop quoi d’ailleurs. Arrivée à l’intérieur, je me dirigeais vers un homme. Je ne savais pas si s’était lui mais qu’importe. Arrivé à son niveau, je lui demandai :

« Je suis désolée de vous déranger, mais j’ai rendez-vous avec un certain Monsieur Wentworth et je sais pas vraiment à qui je dois m’adresser… »

Je le regardais quelques secondes avant de reporter mon regard sur les personnes qui entraient dans la salle commune. Ils avaient l’air heureux de se retrouver, tous. Mais moi, ce n’était pas le cas. Venir ici, n’était qu’une simple perte de temps. J’avais des tas de chose à faire. Je soupirais quelque peu et regardais l’heure sur la pendule. J’espérais vraiment que cette entrevue soit expédié rapidement. Je n’avais rien à faire ici et je crois que tout le monde devait s’en douter. C’était comme si s’était écrit au milieu de mon visage.

C’était sans doute la pire des conneries de venir ici. Je ne voulais pas avoir affaire à mon père. Il n’avait jamais été là en trente ans de vie alors pourquoi devrais-je lui accorder ne serait-ce que dix minutes de mon temps ? Néanmoins, il m’était impossible de faire demi-tour maintenant que j’étais arrivée à destination. Je demandais à la première personne que je voyais s’il connaissait un certain Monsieur Wentworth. Apparemment, c’était lui. Je le détaillais du regard quelques secondes tandis qu’il me demandait si j’étais venue. En même temps, si j’étais face à lui ce n’était pas une vision d’optique. D’ailleurs, j’aurais bien voulu lui répondre sur un ton humoristique mais je n’étais clairement pas d’humeur à faire des blagues. J’avais pris une demi-journée de congé pour aller voir un père qui n’avait jamais été là pour moi. C’était déjà beaucoup me demander. Je lui lançais un bref sourire avant de serrer sa main :

« C’est ça. » Je marquais une brève pause puis lâcha sa main. J’ajoutais ensuite : « Par contre, j’ai pas toute la journée devant moi, donc si on pouvait faire ça vite, ça m’arrangerais. »

Ce que j’avais appelé « ça », c’était tout simplement voir mon père. Certes, je devais passer pour une fille indigne. Mais je m’en moquais. Moi, j’avais des raisons d’être indigne envers lui. Il n’avait jamais rien fait pour que je sois heureuse. Il n’avait jamais rien fait pour prendre contact avec moi. Même lorsqu’il était sorti de prison pendant ce court laps de temps, il n’avait rien fait. Alors pourquoi se réveillait-il, maintenant ? Pourquoi cherchait-il à me voir après trente ans d’existence ? Il croyait quoi ? Qu’on pouvait rattraper le temps perdu ? Non, ce n’était tout simplement pas possible. Et je n’avais pas non plus envie de rattraper le temps perdu. Il n’y avait rien à rattraper de toute façon. Pour la énième fois en ce début de matinée, je me demandais ce que je foutais-là. J’étais vraiment trop bonne, trop conne pour le coup.

« Vous devez me prendre pour une fille plus qu’indigne d’agir de la sorte, mais croyez-moi j’ai mes raisons. »

C’est vrai, j’étais froide, je voulais que ça se finisse rapidement. Je me demandais d’ailleurs s’il était au courant de tout ce qui c’était passé pour mon père. Je me demandais également ce que mon père lui avait dit sur moi. C’était, certes, de la curiosité mal placé mais bon… On ne se refait pas, après tout.