où est charlie ?

adela et charlie

La chaleur a Miami était insupportable. C'était mon premier été en Floride, et franchement, ça ne me réussissait pas. Il faisait presque aussi chaud à Washington, pourtant, mais ici la chaleur était différente. Je n'avais pas l'impression de la ressentir pareillement. Tout était plus humide, ici ; l'air était lourd. Cela faisait déjà plusieurs nuits que je ne trouvais pas le sommeil. Et quand il venait à moi, c'était pour que je me réveille trois heures plus tard, en sueur dans mon lit. J'en étais rendu à presque trois douches par jour tant il faisait chaud. C'était mon petit côté maniaque qui ressortait. J'avais beau laisser ma fenêtre ouverte, baisser les stores, installer des ventilateurs, rien n'y faisait. En général, je me levais plusieurs fois la nuit pour aller me chercher de l'eau fraîche dans le frigo et je croisais Blake, qui avait eu la même idée que moi. Et on se lançait des regards fatigués qui me faisaient beaucoup rire. Cette nuit, une fois n'est pas coutume, il avait une chaleur d'enfer et il n'y avait pas un souffle de vent. Avant, je partais tous les étés au Québec, où il faisait nettement plus frais qu'ici. Mais bon, tout cela, c'était avant. Cela faisait partie d'une vie antérieure, d'une vie qui semblait être morte en même temps que June. Il y a un an… Tout était si différent. June était en vie et nous nous apprêtions à partir au Canada avec les parents et Lemon. Maintenant, je vivais en Floride (avec Blake en plus), June n'était plus là, et j'avais finalement trouvé un travail.

C'était sans compter ma dépression. Elle aussi était là, bien présente, pesant un peu plus chaque jour sur mes épaules. Enfin. Il fallait que je me batte. Je n'avais que ce choix-là. Qu'est-ce que j'allais faire, sinon ? Me laisser tomber dans ce cercle vicieux ? J'ignorais si je n'y étais pas déjà tombé, en plus. J'avais l'impression de me battre continuellement contre un ennemi bien plus fort que moi, contre qui je ne pouvais absolument rien. Mais je savais qu'il ne fallait pas que je désespère. Je pouvais le faire, je le devais. Même si parfois j'avais l'impression que je ne manquerais à personne, si le pire arrivait, une petite voix me disait que je me devais de continuer pour eux. Pour ces gens à qui je tenais. J'avais fait assez de mal comme ça autour de moi, je n'en ferais pas plus. Enfin, j'allais essayer. Vraiment. C'était donc tout transpirant et n'ayant dormi que quelques heures que j'étais allé me doucher. J'étais assez fatigué, mais cela ne changeait pas de d'habitude, en réalité. Ces derniers-temps, je n'avais pas été un très gros dormeur, alors j'avais pris un rythme. En sortant de la bénéfique douche froide, j'allai m'habiller puis pris mon portable. Je venais de recevoir un sms d'Adele, ma cousine. Adele était importante pour moi ; c'était la seule personne de ma famille avec qui j'étais encore en contact. Je n'avais plus adressé un mot à mes parents ou à Lemon (enfin, elle me harcelait au téléphone, mais sans ça, je ne lui parlais plus). En revanche, j'étais toujours en contact avec Adele. Elle était vraiment gentille et je savais qu'elle était sincère avec moi. Qu'elle pensait réellement à moi et à mon état. Je saisis mon téléphone et tapai une réponse. « Je me lavais, je ne voudrais pas recevoir ma cousine en étant sale ».

Je me levai ensuite et allai ouvrir à la porte. Adele était là, avec Yoko, sa chienne. L'animal me sauta dessus en remuant la queue, et je commencai à lui faire des caresses. J'adorais les chiens, et surtout celui-là. Elle était adorable, en même temps ! Je me tournais ensuite vers Adele, assez étonné de la voir ici de si bonne heure. « Ça va ? Il ne t'ai pas arrivé quelque chose, au moins ? » demandai-je au début. « Non, parce qu'il est tôt quand même… Enfin, bref, entre » continuai-je dans un sourire en ouvrant la porte un peu plus grand.

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J'étais assez surpris de trouver Adele ici. Je savais qu'elle se souciait sincèrement de moi, et j'appréciais tout cela, mais de là à venir me trouver à l'improviste et à une heure qui me paraissait si matinale ! J'étais surpris, mais aussi content. J'avais beaucoup du mal à parler de mes problèmes à qui que ce soit, or, avec Adele j'y arrivais un peu mieux qu'avec les autres. Sûrement parce qu'elle était la seule famille qui me restait. J'aurais pu me confier à Blake ou Hannah, qui étaient pour moi comme une seconde famille, mais contrairement à eux, Adele avait vécu exactement la même chose que moi. Elle avait connu June, elle savait à quel point ma sœur jumelle et moi étions proches. Elle avait été témoin de notre relation et elle pouvait par conséquent comprendre mieux que personne à quel point sa perte m'avait bouleversé. Elle était là à l'enterrement, je me rappelle encore qu'elle avait soutenu Lemon et ma mère, toute deux effondrées pendant la cérémonie. Adele avait tout de même fait le voyage de Floride jusqu'à Washington pour y assister ! Ce n'était pas rien. Ce geste paraissait normal mais je connais beaucoup de personnes qui n'auraient pas bougé le petit doigt. Mes grands-parents n'avaient même pas daigné se rendre à l'enterrement de leur petite-fille. Certes, ils habitaient au Québec mais à leur place, j'aurais fait le déplacement. Je répondis au sms de ma cousine avant de finir de me sécher (à peu près) les cheveux. Elle me répondit presque aussitôt : #Tu dois sentir salement mauvais si tu t'es pas lavé depuis la dernière fois que tu m'as donné de tes nouvelles!# Je n'eus même pas le temps de saisir mon téléphone que je l'entendais sonner. Lorsque j'ouvrais, Yoko son chien (aha désolée j'pensais que c'était une fille ! Mes excuses Yoko :p) se jeta sur moi. Je lui fis beaucoup de caresses. J'e l'adorais ; sans rien, c'était l'un des animaux les plus adorables que je connaisse.

Adele le rappela à l'ordre et je lui demandais ce qui se passait pour qu'elle vienne me voir si tôt. J'avais dans l'idée qu'elle voulait simplement prendre de mes nouvelles, mais bon, sait-on jamais. Avec son handicap, j'avais toujours peur qu'il lui arrive un malheur. Miami grouillait de gens mal-intentionnés qui auraient pu profiter de sa surdité. Quant à moi, j'oubliais généralement qu'elle était handicapée, et la seule présence de Yoko me le rappelait. Sans lui, je ne m'en souviendrais jamais. "Tu déconnes? Tôt? Tu as vu l'heure? Il est presque midi!" Me dit-elle, agacée. J'haussais les épaules. « Pour moi, avant 14 heures, il est tôt » répondis-je. Puis, je l'invitais à entrer. Ma cousine regarda rapidement à l'intérieur, et je l'imitai. C'était un peu le souk dans l'appart que je partageais avec Blake, vu que nous n'étions pas fana de rangement. Mais bon, Adele devait être habituée au bazar permanent. "On discutera au restaurant, allez chéri, allez! Mets tes souliers, je t'invite prendre le brunch!" Bah, je n'allais pas refusé une si jolie invitation ! Surtout si on me la payait. J'étais loin d'être désargenté mais si je pouvais économiser quelques sous... ! « Si tu m'invites, laisse-moi au moins nous y emmener » répondis-je avec un large sourire sur mon visage fatigué. J'attrapai mes clés et fermai l'appartement, puis nous descendimes les escaliers. Je m'assis à la place conducteur de ma voiture, une petite Volkswagen qui ne payait pas de mine, tandis qu'Adele s'installait place passager, Yoko à ses pieds. J'allumai le moteur, et tandis que nous démarions, je la questionnai. « Alors, y'a-t-il une raison particulière pour que tu viennes me chercher par la peau du cou comme ça ? » la taquinai-je. « Ou alors c'est simplement que ton cousin adoré te manquait trop ? ».

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Adele et moi étions très différent. C'était une fille très active, toujours en train de faire trente-six trucs à la minute et avec une joie de vivre incroyable. Je l'avais toujours connu ainsi et même la perte de son audition n'avait pas altéré son caractère. Je dirais que ça la rendue encore meilleure. J'avais beaucoup d'admiration pour elle, pour son courage et sa force de caractère, des choses que je n'aurais probablement jamais. C'était une battante et dans la famille, nous l'admirions tous énormément. Moi, au contraire, j'étais un éternel paresseux, jamais motivé et généralement en train de me lamenter sur mon sort. Mais pourtant, malgré cette différence et le fait qu'elle devait toujours me motiver pour sortir de ma piaule, nous nous entendions très bien. Nous avions grandi ensemble, et son déménagement pour Miami n'avait pas changé grand chose à notre relation. Depuis que j'étais arrivé ici après l'enterrement de June, nous nous étions encore plus rapprochés. Elle était toujours là pour moi et je n'aurais pas su comment la remercier, même si généralement j'étais réticent à me confier à elle. Elle me proposa de l'accompagner prendre un brunch —ce qui me convenait parfaitement, vu que je venais à peine de me lever et que je mourrais de faim. Nous sortîmes de l'appartement et montâmes dans ma petite Volkswagen. Ce n'était pas le modèle le plus récent, et le moteur était un peu bruyant, mais j'aimais bien cette voiture. J'y étais habitué et attaché, parce que j'avais souvent cette manie bizarre de m'attacher un peu trop aux objets matériels. Je lui demandais tout naturellement la raison de cette visite matinale et imprévue. Cela ne me gênait absolument pas qu'elle vienne me voir, au contraire, ça me faisait même plaisir, mais d'habitude elle prenait la peine de m'envoyer un message pour me prévenir la veille. J'avais craint que quelque chose d'import lui soit arrivé, mais il semblait que non.

"Un peu des deux... tes jolies yeux me manquaient et puis, je m'inquiétais de ne pas avoir de nouvelles!" me répondit-elle avec ce ton jovial qui lui était propre. Elle était vraiment très protectrice envers moi, et parfois j'avais même l'impression qu'elle se comportait comme ma mère alors qu'elle avait seulement deux ans de plus que moins. Cela aura pu m'agacer mais j'étais vite venu à la conclusion qu'une personne qui prenne soin de moi comme cela m'était indispensable, car j'étais littéralement incapable de m'occuper de moi-même. Et j'étais plus enclin à accepter l'aide d'Adele que celle de Blake ou Hannah car c'était ma cousine, et qu'elle connaissait presque tout de ma vie. Pendant qu'elle parlait, elle se mit à ranger ma voiture, jetant les (nombreux) déchets dans un sac. Quelle maniaque, quand même ! « Merci maman » marmonnais-je d'un ton ironique tandis que je dépassais un papy au volant d'une vieille Chevrolet cabossée. Yoko, quant à lui, se tenait sage. "Tu n'es pas passé me voir cette semaine, tu étais trop occupé?" Je la regardais un instant. C'était une question piège ou quoi ? Elle attendait sans aucun doute plus qu'elle ne voulait bien le dire. J'haussais les épaules et reportai mon attention sur la route devant moi. « Hm, j'ai été pas mal occupé, tu sais, au travail… J'ai pris beaucoup de retard, parce que je suis moyennement… assidu » inventai-je rapidement. C'était un mensonge, évidemment, car j'étais loin d'être débordé de travail au bureau. Je passais le plus clair de mon temps à regarder les mouches voler. Non, la vérité était que j'allais de plus en plus mal, et que j'avais à gérer pas mal de choses ces derniers-temps. La grossesse d'Hannah, le viol d'Alysse et l'hospitalisation de Nessa… Mes amis avaient des problèmes et j'avais presque tendance à les faire passer devant les miens, et au final, je me retrouvais submergé par tout ça. « Et… J'ai encore un peu de mal à me remettre de la mort de June. Ces derniers mois ont pas été simples » dis-je un peu hésitant. Il n'y avait qu'avec Adele que je pouvais parler de June (presque) sans aucune gêne. « J'essaie de me remettre en selle mais c'est pas facile. Mais ça ne veut pas dire que j'en oublie ma cousine, j'ai juste été… occupé » répondis-je en souriant. Mais le coeur n'y était guère.

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Adele voulait savoir pourquoi je ne lui avais pas de donné de nouvelles ces derniers-temps, et à vrai dire je trouvais sa demande tout à fait légitime. D'ordinaire, nous parlions beaucoup par message et nous nous voyions au moins une à deux fois par semaine. En revanche, cette semaine, ç'avait été le silence radio. J'espérais qu'elle ne le prendrait pas personnellement ; c'était un peu comme si j'avais oublié le monde extérieur. Je m'étais comporté en vrai zombie. Je me levais, j'allais au travail, je revenais et je m'enfermais dans ma chambre. Je matais des films ou des séries histoire de ne plus entendre mes pensées. C'était à peine si je remarquais Blake ou Peter, qui étaient à vrai dire les deux seuls êtres que j'avais fréquenté cette semaine. Je n'avais même pas pensé à demander à Hannah comment elle allait et pourtant, c'était ma meilleure amie. Et elle était potentiellement enceinte. Quel genre d'ami je faisais ? Heureusement qu'Adele était là pour me sortir les fesses de ma piaule, sans quoi j'aurais sûrement passé une énième journée prostré. Je ne pouvais pas m'empêcher de penser qu'Adele avait aussi craint qu'il ne me soit arrivé quelque chose. Elle connaissait mon état et mon instabilité mentale et peut-être avait-elle eu peur que j'ai pu commettre le pire… Cette pensée me fit frissonner. Je me sentais trop lâche pour faire une chose pareille mais j'avais en même temps peur de pouvoir passer à l'acte, un jour où ma détresse serait trop puissante. En fait, je passais mon temps à être effrayé, mais j'ignorais de quoi. J'avais peur de ce qui m'attendait dehors, j'avais peur que l'on me juge, j'avais peur de mes sentiments, j'avais peur de mes actes… C'était fatiguant et j'aurais juste aimé que cela s'arrête.

Le visage d'Adele s'assombrit lorsque j'évoquai June. Évidemment, j'avais souvent tendance à oublier qu'elle aussi souffrait de son absence. J'étais peut-être la personne de qui June était la plus proche mais il n'y avait pas que moi sur terre. La souffrance avait tendance à altérer ma vision des choses. La mort de June avait été un vrai coup dur pour toute la famille. Nous n'étions pas spécialement soudés ou ce genre de trucs, mais tout le monde sans exception aimait ma jumelle. C'était un rayon de soleil. Sa mort brutale avait bouleversé chaque membre de la famille. Les avis étaient un peu plus partagés sur moi. On pensait que j'étais un gentil garçon mais complètement immature et surtout, mes affaires de drogue quand j'étais ado avait salement entaché ma réputation. Maintenant que j'avais abandonné tout le monde, je devais être devenu persona non grata chez les Wexforth. Et puis, Adele ressemblait tellement à June, que ce soit physiquement ou mentalement ! La même compassion pour les gens, la même joie de vivre… ! Les mêmes cheveux blonds aussi, et les traits fins. J'avais parfois l'impression de voir June en regardant Adele. "Tu sais, c'est normal! C'est un peu comme avoir, une jambe brisée, qui ne guérira jamais parfaitement, certain jour, c'est comme si tout était normal... et parfois, quand il fait froid, la douleur est encore là! Ce que je veux dire, c'est qu'on ne se remet jamais complètement de quelque chose comme ça... mais ça deviendra plus facile avec le temps!" me consola-t-elle. La métaphore de la jambe brisée était pas mal… Mais en vérité, c'était mon coeur et tout mon être qui avait été brisé. J'avais toujours été si protégé et chouchouté par mes parents que la mort de June avait été comme un retour à la réalité, comme si j'avais soudainement compris que la vie ne ressemblait pas du tout au monde des Bisounours. La petite vie parfaite que je menais jusqu'alors, protégé par le rassurant cocon familial, avait volé en éclats. « Justement, j'ai l'impression que c'est de pire en pire… Au début, j'avais d'autres trucs à penser. On devait organiser l'enterrement, et puis je suis venu ici, j'ai dû m'installer, trouver un appart, un travail, des amis… Mais maintenant que je suis bien là, c'est comme si je n'avais plus rien d'autre à faire que me torturer avec mes souvenirs » fis-je tristement. Peut-être que si ma vie était moins ennuyante, je ne penserais pas autant à June. Mais c'était un des effets de la dépression : on a l'impression que tout perd de la saveur et que plus rien n'est digne d'intérêt. "June adorait aller déjeuner les dimanches matins, tu te rappelles, elle demandait toujours un extra crème fouettée sur ses gaufres et dans son chocolat chaud! Après quoi, elle chialait toujours d'avoir la nausée en sortant du restaurant..." Je ne pus m'empêcher de sourire. Elle avait raison. June était une vraie goinfre, mais elle était toute petite et très fine, si bien que son corps ne supportait jamais bien longtemps les quantités astronomiques de crème fouettée qu'elle engloutissait. Le nombre de fois où j'ai du l'accompagner jusqu'aux toilettes et attendre qu'elle ait fini de renvoyer son déjeuner…! « Ouais… Elle avait les yeux plus gros que le ventre, et pourtant, elle devait faire cinquante kilos toute mouillée » souris-je. Pour une fois, c'était un souvenir heureux. D'ordinaire, je ne repensais à June qu'en renvoyant son corps sous la bâche blanche, cette nuit-là, quand j'ai dû aller reconnaître son corps. Mon dieu. Ces images me revenaient en boucle. Mais celles de June en train de renvoyer sa crème fouetté m'amusait beaucoup. « Et toi, alors ? On ne parle que de moi depuis tout à l'heure… Tu tiens le coup ? » Je me passais une main dans les cheveux. « Comment vont-ils à Washington ? ». Je ne leur avais plus donner de nouvelles depuis mon départ. Mais plus le temps passait, et plus ils me manquaient. J'étais inquiet pour eux, surtout pour ma mère en réalité.

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Je n'étais pas quelqu'un de fort, je l'avais toujours su. Non, bien au contraire, j'étais faible. J'avais du mal à cacher mes émotions et un rien pouvait me faire repenter à June et tout ce que j'avais perdu cette nuit-là. Il n'y avait pas que ma soeur. C'était toute ma famille aussi, et Joana. Joana ou la fille qui avait réussi à me retourner la tête, celle que j'avais vraiment aimé mais je n'avais jamais eu. Je crois bien qu'il aurait pu se passer quelque chose entre nous, quelque chose de sérieux j'entends, mais nous prenions notre temps. On l'avait trop pris, du coup, et nous avions manqué le coche. J'avais tout fait foiré avec elle, je le savais. Malgré tout, notre relation n'était pas au point mort étant donné qu'elle était venue à Miami. Encore un problème à gérer. Honnêtement, j'admirais la force de caractère d'Adele. J'étais pathétique à ses côtés. Si seulement elle avait pu m'apprendre à gérer mes émotions, mes sentiments… J'avais un côté hyper sensible que je n'aimais pas des masses. J'étais littéralement à fleur de peau depuis la mort de June. Et puis, il y avait toujours ces termes qui tournaient dans ma tête : coupable, faible, coupable, faible. Mon estime de moi-même était en totale chute libre. "Peut-être est-ce que ça te ferait du bien d'en parler plus souvent, je veux dire, avec un professionnel? Ou avec moi... mais ce n'est pas normal que tu aies l'impression de t'enfoncer peu à peu dans ta tristesse..." Elle avait raison. Elle n'était pas mon psy, et puis, ma souffrance était aussi la sienne. Je ne voulais pas raviver des souvenirs encore douloureux pour elle. « Je suis suivi… Mais j'y vais rarement. Je n'arrive pas à raconter tout ça à un inconnu. Et je n'aime pas, de toute façon. C'est comme si j'avais un problème » Je réfléchis un instant. «… Je refuse de l'admettre. Je refuse d'admettre que j'ai besoin d'aide et que j'ai un problème. Un problème qui s'appelle dépression psychotique et syndrome de stress post-traumatique. Parce que tu me connais, je n'ai jamais été comme ça… Je n'arrive pas à me dire que je suis tombé aussi bas ».

Au fond, il n'y avait aucune honte à être malade. Je n'en n'avais pas spécialement honte, d'ailleurs ; j'en avais plutôt peur. J'avais peur de devenir complètement fou, que les symptômes s'aggravent et que d'autres apparaissent. Ma mère souffrait de troubles anxieux et, plus jeune, était borderline. Je l'avais toujours connue au bord du gouffre. Évidemment il y avait des jours mieux que d'autres. Mais… Cela m'effrayait. J'allais devenir comme elle, c'était inévitable, héréditaire. Je me gavais d'antidépresseurs et je craignais ce qui arriverait quand je les arrêterais. Je m'accrochais désespérément à eux, comme s'il s'agissait de ma bouée de sauvetage. J'avais peur de mourir, oui. De mourir si jeune en n'ayant rien connu de la vie. J'avais rien accompli, encore. La dépression me rendait anxieux et aggravait celle-ci. Un putain de cercle vicieux duquel je ne savais pas comment sortir. Je décidais de demander à Adele des nouvelles de notre famille, car je n'avais plus eu de contacts avec eux depuis très longtemps. Je m'inquiétais, même si je le montrais rarement. "Tout le monde se porte bien aux dernières nouvelles! Mes parents devraient s'y rendre d'ici le début du mois d'août pour passer quelque temps avec les tiens... J'ai parlé à Lemon, et elle m'a dit que ça allait, mais que tu manques à tout le monde, que la maison est trop grande sans toi et qu'ils espèrent que tu reprendras contact bientôt... Je leur ai dit qu'il fallait te laisser le temps. Elle m'a aussi dit que ta mère se tenait pas mal occupé, elle cuisine sans arrêt des desserts et des petits plats que le congélateur va finir par exploser tellement il y a de tartes à la cerise à l'intérieur... " C'était ma mère tout craché, ça. Quand elle était nerveuse, elle cherchait à s'occuper l'esprit de n'importe quelle façon. Elle se trouvait généralement un hobby. Une fois, elle s'était mise au tricot, et je crois que toute la famille s'était retrouvée avec des tonnes d'écharpes et de bonnets en grosse laine. C'était toujours des passions soudaines et inattendues. « Tiens, ça m'étonne de la part de Lemon… Quand elle m'appelle, elle est plus du genre à m'insulter, à me traiter de lâche et à m'ordonner en même temps que je me magne les fesses à rentrer à la maison. Je la comprendrais jamais ». Je n'avais jamais été proche de Lemon, ma soeur aînée, et plus le temps passait, plus je la détestais. Elle était autoritaire, et pas compréhensive pour un sou. "Tu devrais peut-être appeler ta mère, juste pour la rassurer..." J'haussais les épaules. « En vérité, j'y ai pensé, ces derniers temps, mais Lemon a réagi bizarrement quand je lui ai demandé de me passer maman. Elle a dit qu'elle était occupée et qu'elle pensait que c'était une très mauvaise idée que je lui parle. C'était vraiment… étrange. Je crois que ma mère ne va pas aussi bien que ce que ma soeur prétend. Tu sais, elle a une santé mentale très fragile, et à vrai dire j'ai toujours eu peur qu'elle ne mette fin à ses jours. Ça m'tue. C'est de ma faute ».