« Monsieur Grey va vous recevoir dans un instant...»
Un an en arrière…C’était une journée banale pour moi. J’avais pris mon service à 8h00, mon premier rdv n’arrivait qu’à 8h30. En générale il s’agissait de patients réguliers. Certains venaient me voir une fois par semaine, d’autre une fois par mois,… Je recevais des personnes de tout âge avec toutes sortes de problèmes. De l’alcoolisme aux femmes violées. De l’ado qui se sent exclu à la vieille dont la famille ne rend plus visite.
Je regardais mon agenda, mon rdv de 16h était une patiente que je ne connaissais pas. Je terminais ma séance avec Mr Lewis. Un homme d’une cinquantaine d’année, une barbe mal taillée, un ventre bedonnant de bière. Il avait mal supporté son divorce avec sa femme. Il avait tenté à deux reprise de mettre fin à ses jours. Une fois parti, je jetais un dernier coup d’œil sur ce nom qui m’était inconnu. Je préparais ma salle pour recevoir cette jeune femme et je ne sais pas pourquoi, au fond de moi j’angoissais. J’arrangeais le col de ma chemise et pris une grande respiration. Plus j’avançais vers la salle d’attente plus je sentais les battements de mon cœur s’accélérer.
« Mademoiselle Will, je vous en prie… » C’était une jeune femme blonde, pas très grande en taille et mince ; elle semblait intimidée. En même temps c’est normal pour une première. Elle me suivait jusque mon bureau d’un pas ralenti. Je la sentais trainer des pieds derrière moi, elle donnait l’impression de ne pas trop savoir ce qu’elle faisait là. Je pris une feuille et un stylo puis m’installais dans mon fauteuil. Elle restait là, plantée comme un arbre sur le seuil de la porte.
« Je vous en prie, entrez. » D’un signe de la main, je l’invitais à venir s’assoir dans le canapé. Elle s’avançait timidement et plus elle s’approchait, plus je sentais la tension monter en moi. Je tapotais ma feuille avec la pointe de mon stylo, je ne me sentais pas à l’aise.
« Par où je dois commencer ? » me demandait-elle. Sa voix était douce, voire même angélique. Et plus je scrutais son visage, plus je la trouvais belle.
« Disons par le début. Qu’est-ce qu’il vous a mené à moi ? » Je me souviens qu’elle avait mis du temps à me répondre. Au fil des minutes, je réussissais à la mettre en confiance. Son histoire était similaire à la mienne, encore une fois, la belle se retrouvait face à la bête… Le premier entretien se terminait enfin. Je décidais de suivre cette patiente une fois seulement dans le mois. Cette jeune femme avait tout de même besoin de mon aide puis elle m’intriguait tout en me fichant la trouille.
Après plusieurs séances, j’avais appris à connaitre Ali. C’était une femme fragile avec un passé difficile que je n’avais pas encore réussi à lui faire aborder. Je voyais que je lui faisais du bien. Elle était de plus en plus souriante, elle se maquillait et reprenait soin d’elle. J’arrivais à me sentir bien à ses côtés, j’avais même parfois la sensation d’être son patient. Nous nous étions même rapprochés. Peut-être un peu trop. Chaque fois que sa peau touchait la mienne me glaçait le sang. Et j’avais cette vision de Tessa qui me hantait chaque seconde que je passais avec elle. Au fond j’avais peur d’Alianore.
Aujourd’hui...Ali a rdv aujourd’hui. Je suis nerveux, il faut que je lui dise qu’entre nous ce n’est pas possible. J’enchaine les patients, le temps me semble interminable. Je commence à sentir les petites gouttes de sueur qui apparaissent sur mon front. L’heure fatidique arrive, je réajuste le col de ma chemise et j’inspire un grand coup. Et comme à chaque que je passe dans ce couloir pour aller jusqu’à la salle d’attente je sens la tension monter. Alianore est là, assise sur la même chaise depuis son premier rendez-vous. Elle semble contente de me voir. La jolie blonde se lève et se dirige d’elle-même dans mon cabinet. Je ne sais pas par où commencer mais il faut que je lui dise. Une fois la porte fermée, je me lance.
« Ali' faut qu'on stoppe notre petit jeu, ça devient trop dangereux... Je ne peux pas… » Je sens qu’elle est déçue. Je n’aime pas la sentir comme ça alors je m’avance vers elle et la prend dans mes bras. Après tout, elle est devenue bien plus qu’une patiente avec le temps.
Elle file d’un pas décidé s’installer sur le canapé, je sens dans sa voix qu’elle est en colère. Et qu’est ce qu’elle est belle quand elle est en colère. Ses sourcils se froncent, son regard encore plus pénétrant.
« On peut commencer ?! » me dit-elle. Je souris nerveusement et m’installe dans mon fauteuil. Je pose son dossier sur mes genoux et lui répond.
« Très bien. Alors comment te sens-tu aujourd’hui ? » Cette question elle la connait bien. C’est en générale la première que je pose quand une séance démarre. Je sens dans son regard qu’elle m’en veut. Et d’ailleurs, au lieu de répondre à ma question elle reste là, à me fixer. Sa réaction m’agace.
« Je ne peux pas avancer si tu n’y mets pas du tiens ! » Je le fixe alors à mon tour.