J'avais attendu cet évènement pendant longtemps. Passer quelques temps à la montagne ne me ferait que le plus grand bien. Cela faisait près d'un an que je n'avais pas skier —enfin, rider, vu que je faisais du snowboard. D'ordinaire, nous en faisions avec ma famille quand, pendant les vacances de Noël, nous retournions au Canada. Mais cette année, et avec les décès successifs de ma soeur et de ma mère, les choses avaient été quelque peu compromises... C'était mon premier Noël sans elles et j'avais terriblement besoin de me changer les idées. Je ne devais pas rester seul, car cela reviendrait à me laisser avec mon pire ennemi : moi-même. Moi et mes souvenirs douloureux, ceux d'une époque passée. Avant, je me serais sûrement laissé déprimer, mais aujourd'hui, c'était terminé. Je savais que même en étant entouré, ces prochaines semaines allaient être douloureuses. Mais j'allais m'en sortir, j'allais y survivre, je le savais. J'avais donc décidé, après une longue réflexion, de m'inscrire à l'évènement. Il ne restait alors plus beaucoup de places de disponible, mais j'avais eu la chance de tomber dans un chalet avec Alysse et Aloysia. Je ne leur avais rien dit, histoire de leur faire la surprise. Après de longues heures de route depuis Miami, j'arrivais enfin devant notre chalet. Il était magnifique, un mélange de traditionnel et de modernité. Je gravis les marches du perron et finalement entrai dans ce qui serait mon foyer pour les jours à venir.

Je trouvai Aloysia et Alysse en grande discussion sur le canapé. Un feu flambait dans la cheminé. Les deux filles parurent assez étonnées en me voyant —surtout Aloysia, qui connaissait ma situation— mais contentes. Cela me fit vraiment bizarre de revoir Alysse après tout ce temps. Cela faisait des mois que je ne l'avais pas vu. J'ignorais ce qu'elle devait et si elle avait réussi à s'en sortir, après son agression. Elle était forte, donc je ne doutais pas qu'elle saurait se relever. Mais tout de même, c'était étrange de la revoir. De plus, à moins qu'elle n'ait été mise au courant, elle devait tout ignorer de ma tentative de suicide et à quel point j'étais... instable. Je ne savais même pas si je devais lui en parler ou si je devais essayer de mettre mes soucis à l'écart, le temps du voyage. « On avait pas stipuler qu’on voulait des beau-goss ? Qu’est-ce que fait Charlie ici alors ? » fit Aloysia en rigolant. Sa remarque me fit sourire. Je déposai mes bagages dans l'entrée et m'avançai vers elle pour la saluer. « Il n'y avait plus que moi ! Il va falloir vous contenter de ça » plaisantai-je. « Je suis contente qu’on passe cette soirée ensemble ! Mais tu es venue seul ou tu caches une jolie fille dans ta valise ? » Elle devait faire allusion à Joana. Notre histoire devait faire bien des commérages... « À part vous deux, non, il n'y a aucune jolie fille dans les parages » souris-je.

Enfin, ce fut au tour d'Alysse de venir me saluer. Nous nous regardâmes un court instant, avant de nous prendre dans nos bras. C'était assez émouvant, en vérité. Elle m'avait beaucoup manqué. « Tu m'as manquer idiot » fit-elle d'une voix tremblante. Je lui répondis d'une voix basse, afin qu'Aloysia ne puisse pas entendre : « Toi aussi ». Enfin, notre étreinte prit fin. Le sourire d'Alysse réapparut sur son visage. « Haaa.. on va passer un très très bon réveillon. qui veux un chocolat chaud avec de la guimauve ?! » déclara Alysse. Sa bonne humeur était décidément contagieuse. « Moi!!! Je vais t'aider à tout préparer. Toi, Alo, tu te reposes » souris-je en regardant son ventre. Je n'en revenais toujours pas qu'elle soit enceinte, mais elle avait l'air de très bien le vivre (pour une fois dans cette ville!), donc j'étais heureux pour elle. J'entraînai Alysse dans la cuisine, et je profitai que nous soyons seuls pour lui parler un peu tandis que nous préparions trois tasses de chocolat. « Tu vas... mieux ? » lui demandai-je d'un ton sérieux. Je n'osais pas trop aborder le sujet de son viol, mais je voulais simplement savoir si elle avait réussi à s'en sortir. Nous devions nous dépêcher, sans quoi Alo viendrait fourrer son nez par ici. « Je suis désolé de ne pas avoir été trop là, ces dernières semaines, j'ai eu... des empêchements ».

J'étais vraiment ravi de me retrouver avec Alysse et Aloysia. L'ambiance s'annonçait génial, tout comme le séjour. D'autant plus qu'avec mes récents problèmes, je m'étais éloigné d'un peu tout le monde. Mon internement m'avait certes permis de faire le point sur ma vie et de repartir plus ou moins du bon pied, mais il m'avait énormément éloigné de certaines personnes. Comme de Blake, par exemple. Ma situation avec lui était au point mort, et même si ça m'avait déprimé pendant un certain temps, j'avais décidé de ne plus y penser. C'était Blake, fuir était une réaction naturelle chez lui. J'étais aussi content de ne pas être tombé avec des inconnus. Je n'aurais pas du tout été à l'aise. Mon anxiété sociale était un nouveau combat que je n'étais malheureusement pas près de gagner. Je n'étais plus du tout à mon aise en société, et surtout avec des gens que je ne connaissais pas. Je n'étais bien qu'avec mes amis proches, et Aloysia et Alysse en faisait définitivement ravie. Leur accueil chaleureux me fit beaucoup de bien. Autant le moindre geste un peu ambigu pouvait m'apparaître comme moqueur ou méchant et me rendre anxieux, autant chaque preuve d'amour se décuplait à cause de ma maladie. C'était comme qui dirait le bon côté. Aloysia me demanda si j'étais venu avec quelqu'un, sous-entendu Joana, et je lui répondis que non. C'était encore assez compliqué entre nous, et même si nous étions sur la bonne voie, il fallait mieux nous laisser un peu de temps pour réfléchir. « J’espère que c’est ta résolution pour la nouvelle année alors ! Trouver une copine ou faire en sorte qu’une de tes amies le deviennent ! » me fit Aloysia avec un clin d'oeil. Cela me fit sourire. L'implicit devenait explicit. « T'en fais pas pour ça » dis-je malicieusement.

Alysse proposa ensuite que l'on se fasse des chocolats avec des chamallows, et voyant là une façon de parler seul à seul avec elle, je la suivis immédiatement. Alo resta sur le canapé, suivant mes "ordres". Il fallait qu'elle se repose ; après tout, elle attendait un enfant ! « PAR CONTRE VENEZ PAS VOUS PLAINDRE CAR J’AURAIS LE TOTAL POUVOIR SUR VOUS ET QUE JE VOUS DEMANDEREZ TOUT ET N’IMPORTE QUOI ! » cria Alo depuis le salon, ce à quoi Alysse répondit presque immédiatement : « Oui mademoiselle Mayer ! N'ayez crainte nous serons aux petits soins !! » Un petit rire m'échappa. Décidément, nous n'étions pas prêts de nous ennuyer ! Profitant de ce moment seul avec Alysse, et me doutant que cela ne nous arriverait peut-être plus durant le séjour, je lui demandai d'un ton plus sérieux comment elle allait. J'espérais que cela ne la gênait pas, mais je me faisais sincèrement du soucis pour elle. Elle avait vécu une année particulièrement difficile, tout comme moi, d'ailleurs, mais je préférais ne pas parler de mon cas. Je l'avais trouvé le lendemain de son viol et ces images étaient gravées dans mon esprit. J'avais vu toute cette souffrance sur son visage et cet effroi dans ses yeux... Je les voyais toujours. « Oui.. ça va mieux Charlie. Merci. Il s'est passé bien des choses.. et cet.. événement n'est plus qu'un souvenir, ou plutôt... j'essaie d'oublier. » me dit-elle doucement en posant sa main sur ma joue. J'étais rassuré. Je me doutais bien que ce n'était pas facile, mais je sentais qu'elle était sur la bonne pente. Elle n'imaginait pas à quel point je pouvais la comprendre. « Sois forte. Je ne pourrais jamais imaginer la moitié de ce que tu as pu souffrir, mais crois-moi... Je sais que tu vas dépasser tout ça. Ça ne sera plus qu'un mauvais souvenir. Et puis, je suis là pour toi, ne l'oublie pas » fis-je avec un petit sourire. La situation était plutôt ironique. Je donnais des conseils à Alysse alors que je n'arrivais même pas à régler mes propres soucis. Mais bon, j'étais sincère, et c'était déjà pas mal. « En ce moment c'est ma vie sentimentale le vrai problème » soupira-t-elle. Je sentis sa gorge se serrer, alors qu'elle n'en montra rien. C'était ainsi, c'était comme si... je savais lire la souffrance en elle. Je lui pris la main ; c'était un geste purement amical, sans aucune ambiguïté. « Ça ne m'étonne pas qu'une si jolie femme ait beaucoup de prétendants » dis-je doucement pour la rassurer. J'étais persuadé que tout finirait pas s'arranger pour elle.

Enfin, je m'excusai de ne pas avoir été là pour elle ces derniers temps. Je savais très bien que j'avais des problèmes personnels à régler, mais c'était ainsi, je ne supportais pas de savoir mes amis mal sans pouvoir rien faire. Mon véritable problème, c'était que j'étais une sorte d'éponge. J'aspirais littéralement tous les problèmes des autres, je les prenais trop à coeur et c'était comme si ils devenaient mieux. Et puis j'explosai. Je ne savais pas trop comment régler cela. C'était en parti pour cela que les médecins ne m'avaient pas beaucoup autorité à sortir, car côtoyer des gens "à problèmes" alors que je galérais avec miens n'était pas une bonne idée. Mais tout de même, je me sentais mal à l'idée d'avoir quelque peu abandonner Alysse après son viol. « Non ne t'excuse pas Charlie, tu n'as absolument aucun compte à me rendre. Tu as le droit d'avoir ta vie aussi. Je m'en suis sortie regarde, je vais bien. Tu as l'air de ne pas avoir eut une année facile non plus... et je n'ai eu besoin de personne pour m'en sortir... Tu as été là pour moi quand j'en ai eu le plus besoin Charlie.. donc ne t'excuse pas.. d'accord ? » Sa réponse me fit sourire. Elle me prit dans ses bras et je la serrai. Cela me faisait du bien que l'on mettre les choses au clair. « Non, on ne peut pas dire que mon année fut facile, mais... » Je ne voulais pas trop qu'on en parle, alors j'évitai rapidement le sujet «... mais j'aurais quand même aimé pouvoir être là pour toi. Enfin, maintenant, je le serais, c'est le principal non ? ». Notre étreinte prit fin et nous finîmes de préparer les chocolats, avant de les apporter dans la salle où Alo nous attendait toujours. « ALLLOOOORS ? Des idées de prénom ? Je propose Alysse si c'est une fille » plaisanta Alysse. « Charlie n'est pas mal non plus, et l'avantage, c'est que c'est mixte ! » souris-je. « Et sinon, les nausées et tout ça, ça se passe bien » fis-je en sirotant mon chocolat.

Cela me faisait extrêmement de bien de me retrouver un peu seul avec Alysse pour que l'on puisse discuter des évènements de ces derniers mois. Je m'en étais voulu de ne pas avoir été très présent pour elle, alors que j'étais l'un de ces seuls à connaître son secret. Pour tout dire, je n'étais même pas sûre qu'Aloysia fut au courant. Quoi qu'il en était j'étais heureux de savoir qu'elle ne m'en voulait pas. Cela m'enlevait un poids des épaules. J'ignorais si Alysse était au courant pour ma tentative de suicide, mais l'internement qui l'avait suivi m'avait éloigné de beaucoup de gens et c'était en grande partie pour cela que je n'avais pas pu l'accompagner comme je l'aurais voulu. Mes psychiatres ne m'autorisaient que très peu de visites —de toute façon, peu de gens étaient venus— et me déconseillaient des rapports avec l'extérieur pendant mon traitement. Et surtout pas avec quelqu'un qui était également en grande souffrance psychologique. J'aurais absorbé toute la souffrance d'Alysse et celle-ci n'aurait plus fait qu'une avec la mienne. Cependant, je ne pouvais cesser de m'en vouloir, ne serait-ce qu'un minimum. Enfin, tout cela était de l'histoire ancienne. Alysse dans mes bras, j'essayais de trouver les mots justes pour lui donner du courage, de l'espoir. Car j'étais persuadé qu'elle allait s'en sortir. La jeune femme en avait vu d'autres, au court de sa vie, et même si cet évènement était d'une gravité exceptionnelle, je n'avais aucun doute quant au fait qu'elle allait s'en sortir. Elle était bien plus forte qu'elle ne l'imaginait. « Merci.. » souris-t-elle. J'étais vraiment content de voir que les choses allaient toujours bien entre nous. Alysse évoqua ensuite rapidement ses problèmes amoureux, mais sans trop s'éterniser sur le sujet. Je sentis que c'était aussi un sujet de souffrances, donc je décidai de ne pas poser trop de questions. « Je crois qu'il est mieux d'avoir plusieurs prétendants qu'une amour à sens unique.. » Je l'approuvai d'un signe de tête. Elle avait raison. Nous finîmes rapidement de préparer les boissons. « Tout va s'arranger, ne t'inquiète pas. Je sais que c'est une phrase toute faite, mais c'est vrai. Le temps répare tous les maux. Cette année sera meilleure. De toute façon, elle pourrait difficilement être pire ».

Nous rejoignîmes finalement Aloysia dans le salon, et la discussion s'axa rapidement sur la grossesse de cette dernière. Son ventre commençait à s'arrondir. C'était vraiment étrange, quand j'y pensais, de l'imaginer maman. « J’ai le temps pour ça vous ne croyez pas ? Puis j’attends de savoir le sexe avant et de toute façon je ne suis pas la seule à décider… Oui… oui… vous avez bien compris… Blake à décider d’assumer totalement sa fonction. Il a même dit « notre enfant » et je sais pas qui de nous deux a été le plus surpris en entendant ces mots-là. » Je faillis m'étouffer avec mon chocolat. Je ne savais pas s'il fallait rire de cela ou bien crier à l'arnaque, là. J'avais déjà été assez étonné quand elle m'avait appris qu'il "voulait" en quelque sorte être père, mais là... « Pardon ?! Blake ne cessera jamais de m'étonner je crois ! ». Il avait beau être mon "meilleur ami", il m'étonnait de jour en jour... « Mais s'il a dit ça, je suis non seulement heureuse pour toi mais aussi pour lui.. c'est aussi mon ami après tout. » déclara Alysse, et je l'approuvai d'un signe de tête. C'était inattendu, certes, mais c'était aussi une bonne nouvelle, après tout. J'étais simplement méfiant car il s'agissait de Blake et que tout cela ne lui ressemblait pas. « Je propose que nous portions un toast, levons nous mug à la nouvelle année qui va commencer et renonçons à notre passé pour vivre dans un avenir plein de bonheur et de joie. Pour l'année 2016, je promet de ne plus laisser aucun homme me faire souffrir et de mettre mon projet professionnel en route !! Allez à vous ! » déclara Alysse. Tout sourire, je me levai à sa suite, mais je ne savais trop que dire. Ironiquement, j'avais envie de promettre que je n'essaierais plus d'avaler ma boîte entière d'antidépresseurs et de faire un joyeux cocktail alcool-médocs-drogue, mais je me ravisai, pensant que ça allait plus casser l'ambiance que faire rire les filles. « Pour 2016... Je promets de ne plus faire d'excès en tout genre, et de finir ENFIN cette maudite formation d'enseignant. Que c'est long, franchement ! » plaisantai-je. « Car oui, vous avez devant vous Mr Wexforth, futur prof de français ma chère Alysse ! » lui annonçai-je. Aloysia quant à elle était déjà au courant. « Et à titre plus personnel... J'aimerais bien me poser avec une fille en particulier » fis-je d'un ton mystérieux en m'asseyant.