Athena finit sa chanson, la dernière de la soirée. De base, elle ne se considérait pas être une grande chanteuse, ou une chanteuse tout simplement. Ca n'avait jamais été son truc, mais elle pouvait tenir dans un show comme celui-ci, même là, avec quelques verres d'alcool derrière elle. Elle avait bu, un peu, pour faire plaisir à des clients, et voilà qu'elle sentait les effets monter. Sa tête tournait, elle voyait flou, n'arrivait pas à se concentrer, se contentait de chanter, plantée là derrière le micro pendant que les autres danseuses faisaient leur final, et Athena sortait une dernière note, le regard dans le vide, éblouie par les projecteurs. Puis elle laissa le rideau se fermer devant elle, et se tourna pour marcher lentement vers les coulisses, en se concentrant sur chaque pas. Elle ne comptait pas rester ce soir, ne descendit pas dans la salle pour discuter avec les clients, et repoussa doucement le type qui l'attendait. Elle voulait juste rentrer chez elle, et dormir. Athena était épuisée, vidée de toute énergie et volonté. Elle retira ses escarpins avant même de passer la porte de sa loge, les poussa avec son pied à l'intérieur de la pièce et referma la porte derrière elle avant d'ouvrir la fermeture de sa robe et de laisser le vêtement tomber sur ses épaules, s'asseyant devant son miroir pour se démaquiller. Elle retira les couches de fond de teint, rouge à lèvres, mascara, et tout le reste, frotta jusqu'à ce que tout disparaisse, puis se leva pour laisser tomber sa robe avant d'enfiler un t-shirt et un sweat, puis son jean et ses baskets. Avant de partir, elle prit tout de même le temps de remettre la robe sur son cintre, puis sortit en titubant. Ses yeux se fermaient presque tout seuls, elle avançait en gardant les doigts contre le mur pour garder un semblant d'équilibre. Elle marcha seule quelques secondes, minutes peut-être, qui lui parurent interminables, arrivant sur l'avenue éclairée, où elle croisait quelques couples et groupes d'amis, des fêtards, des gens de sortie, qui ne regardaient pas vers elle. Elle marchait encore, sans vraiment regarder où elle allait, puis rentra droit dans quelqu'un. Le choc ne fut pas violent, étant donné qu'Athena ne marchait pas très vite. « Pardon, j'suis vraiment désolée » elle s'excusa en passant sa main sur son visage, avant de poser son regard sur la jeune femme brune qui venait de sortir d'un immeuble. Athena avait des cernes énormes, elle était épuisée, cassée, avait presque honte de se retrouver dans cet état face à cette jeune femme, et pourtant ce n'était pas dans ses habitudes d'avoir honte de quoique ce soit.

Elle voulait rentrer. Retrouver son appartement, son lit, son chez-elle. Elle n'en pouvait plus de cette soirée, cette soirée qu'elle aurait tendance à appeler « journée », étant donné que son rythme de travail était un peu différent de celui de la majorité de la population lambda. Athena se levait assez tard en général, et ses journées de travail ne commençaient pas avant 19h, pour s'achever au milieu de la nuit, voire au petit matin. Mais là, ce soir, elle n'avait pas la force. Tant pis pour les clients qui attendaient, tant pis pour le billet de cinq-cent dollars qui l'attendait probablement dans une de leurs poches. Il y en aurait d'autres, des billets. Athena avait bu, comme elle le faisait souvent, trop souvent, parce que c'était plus facile comme ça, parce que ça faisait partie du job. Elle savait s'arrêter la plupart du temps, savait aussi que si elle ne veillait pas sur elle-même il n'y aurait personne pour le faire, savait que sortir de là sans pouvoir s'occuper d'elle-même était dangereux. Alors elle faisait attention. Mais ce soir, la fatigue jouait probablement, et alors qu'elle finissait le show, que le rideau se fermait, Athena disparaissait dans sa loge et se laissait tomber dans le fauteuil pour retirer le maquillage, puis son costume, et se changer rapidement. Elle avait ignoré toutes les promesses qu'on lui faisait, et elle sortit du bâtiment pour commencer à marcher en direction de son immeuble. Ce n'était pas le chemin le plus dangereux. Elle connaissait bien le Miami nocturne, savait éviter les coins qui ne promettaient rien de bon. Mais il pouvait arriver des choses n'importe où, et dans l'état où elle était ce soir, elle réalisait doucement qu'elle était dans une situation dans laquelle elle n'avait pas l'avantage. Alors qu'elle longeait un mur, avançant comme elle le pouvait sur le trottoir de cette avenue bien éclairée, elle croisait quelques oiseaux de nuits, des couples, des groupes de fêtards, des personnes seules qui semblaient rentrer elles aussi du travail... et voilà qu'elle heurta soudain une personne, une jeune femme. Athena s'excusa de suite. S'il y avait bien quelque chose qu'elle détestait, c'était déranger les gens, des gens qu'elle ne connaissait pas, qui n'avaient rien demandé, et qui subitement se trouvaient gênés par son arrivée dans leur petite vie tranquille. Alors sans doute que cette femme avait autre chose àfaire ce soir que s'inquiéter pour Athena, sans doute qu'elle aurait préféré ne pas avoir à la croiser, pas dans cet état en tous cas. « Ne vous excusez pas, c’est moi j’étais dans mes pensées » Dit alors la jolie brune qu'Athena avait percutée. Et au moins, elle semblait compréhensive. Athena aurait sans doute mal vécu cette rencontre si la personne en-face s'était mise à lui hurler dessus. L'inconnue alla même jusqu'à attraper le bras d'Athena pour la soutenir un peu, ce pour quoi elle fut reconnaissante. « Vous allez bien ?! Vous avez besoin que quelqu’un vous ramène, où que je vous appelle un taxi ?! » Interrogea-t-elle alors, et Athena ne voulait vraiment pas la déranger plus que ça. « Non... non, pas de taxi » elle souffla en retrouvant lentement son équilibre. « Ca va aller j'crois, merci » elle fit doucement avant de lui adresser un sourire forcé et de faire quelques pas, quelques pas seulement puisqu'elle faillit tomber à nouveau et se rattrapa avec une main sur le mur et l'autre appuyée juste un peu sur l'épaule de la jeune femme. « Hmmm... vous allez vers le centre-ville ? » elle demanda lentement. Elle ne voulait pas déranger cette jeune femme qui semblait sortir elle aussi d'une dure journée, qui voulait probablement rentrer chez elle au plus vite, tout comme Athena. Alors si elle lui diait que oui, elle allait dans cette direction, que déposer Athena chez elle ne l'obligerait pas à faire un détour, alors elle accepterait la proposition de se faire ramener. Puis c'était une jeuen femme, de son âge, peut-être un peu plus agée, elle ne se posait pas trop de questions, pas autant qu'elle l'aurait fait si ça avait été un homme.

Athena percuta la jeune femme, et elle s'en excusa de suite. Elle était clairement pitoyable, et pourtant, elle ne pensait vraiment pas avoir bu autant. Ce n'était pas dans ses habitudes de se mettre dans un état pareil, parce qu'elle connaissait son corps, elle connaissait aussi Miami la nuit. Elle savait que c'était complètement inconscient de se balader comme ça, seule et incapable de mettre un pied devant l'autre. Pourtant, à chaque pas, elle se rendait un peu plus compte qu'elle avait merdé ce soir. La personne dans laquelle elle était rentrée était une jeune femme peut-être à peine plus âgée qu'elle, brune, qui semblait sortir d'une longue journée de travail. L'inconnue voulait aider Athena, sans doute qu'elle avait vraiment l'air d'être complètement déchirée. Pourtant, elle avait les idées plutôt claires, elle n'était pas en train de se perdre dans sa propre tête, elle n'avait pas l'impression d'avoir bu à outrance, au point de ne plus se souvenir du chemin à prendre. Non, c'était juste son corps qui ne voulait plus tout à fait lui obéir. La belle inconnue lui proposa d'appeler un taxi, ce qu'Athena refusa de suite. Pas de taxi, elle ne voulait pas rentrer en taxi, elle allait marcher, c'était très bien. Elle s'était reposée quelques secondes, et ça serait suffisant, elle voyait déjà plus clair. Pourtant, elle fit quelques pas, et à nouveau elle manqua de s'effondrer. Peut-être que c'était une bonne idée tout compte fait, de se faire déposer chez elle par cette jeune femme. Elle avait l'air de quelqu'un à qui on pouvait faire confiance, il y avait quelque chose de presque maternel chez elle. « Oui, j’habite en centre-ville, mais qu’importe laisser-moi vous déposez où vous le désirer, vous n’êtes pas en état de marcher ! » répondit-elle avec un sourire à la question d'Athena, qui ne voulait pas la déranger. Et peut-être bien qu'elle avait raison, qu'Athena n'était pas en état de marcher. Elle se laissa faire lorsque l'inconnue passa un bras autour d'elle, et l'aida à marcher vers la voiture garée à quelques mètres. « Les rues ne sont pas forcément sur à cette heure-là t encore moins pour une jeune femme seule ! » ajouta encore la jeune femme, et encore une fois, elle n'avait pas tort. Pourtant, Athena connaissait bien le coin, et elle savait par où passer pour ne jamais se retrouver seule dans une rue où personne ne passait ou dans un coin dangereux. Mais ce n'était pas suffisant. Elles se dirigèrent donc vers la voiture, et Athena commençait lentement à accepter qu'elle allait avoir besoin d'aide pour rentrer chez elle. « Et ne vous en faites pas je ne suis pas une seriale killeuse… Je m’appelle Dahlia ! » fit la jeune femme, Dahlia. Athena lâcha un petit rire en entendant cela. « Dahlia. Ca m'semble approprié pour une seriel-killeuse » qu'elle répondit avec un sourire en coin. « Moi c'est Athena » elle se présenta  son tour, avant de se laisser glisser doucement sur le siège passager de la voiture. « Merci... en tous cas » souffla-t-elle en s'installant un peu mieux et en attachant sa ceinture. Les gens n'étaient pas généralement méchants ou mal intentionnés, mais c'était assez rare qu'ils fassent preuve de générosité si facilement. La plupart se contentaient de passer leur chemin et de ne jamais agir en se disant que la prochaine personne qui passerait par là ferait ce qu'ils n'avaient pas fait. Dahlia n'avait pas hésité une seule seconde. Quelques secondes plus tard, la jeune femme avait contourné le véhicule pour s'asseoir à côté d'Athena, derrière le volant. « J'ai... j'ai un peu abusé sur l'alcool ce soir j'crois » dit-elle en riant un peu, passant sa main dans ses cheveux et s'appuyant un peu sur la portière. « Pourtant c'est pas dans mes habitudes... je travaille dans le cabaret juste là-bas » elle ajouta, désignant d'un vague geste de la main qui n'était pas clair du tout la direction du cabaret.

Elle n'aimait pas trop compter sur les autres, ne voulait pas déranger, et surtout, ce soir, elle ne voulait pas admettre totalement qu'elle avait fait une erreur. Accepter de se faire déposer chez elle équivalait à cela, à accepter qu'elle ne soit pas apte à rentrer seule. Accepter qu'elle avait abusé de tout ce soir. Alors la jeune femme lui proposait de la déposer, mais Athena refusait, convaincue qu'elle pourrait rentrer seule, pour finalement manquer de se casser la gueule et revenir sur sa décision. Athena accepta l'offre de la jeune femme, celle de se faire déposer chez elle, et elles se dirigèrent alors vers la voiture. Sa sauveuse avait raison en tous points, les rues n'étaient clairement pas sûres, même si Athena avait l'habitude de rentrer seule le soir. C'était assez triste au final de se dire que rentrer chez soi au milieu de la nuit était risqué pour la simple raison qu'elle était une fille. Mais malheureusement c'était la réalité du monde dans lequel elles vivaient, et ça ne changerait pas de sitôt. Elles se présentèrent mutuellement en arrivant près de la voiture, plaisantant un peu sur la façon de se présenter de Dahlia. « Quand je dirais à mon fils qu’on m’as dit que j’ai un prénom de sérial killeuse il vas bien rire ! » elle répondit, ce qui fit sourire Athena. Alors Dahlia avait un fils. C'était assez surprenant, parce qu'elle semblait avoir le même âge qu'Athena, peut-être un peu plus âgée, à peine. Et elle avait un enfant, et une belle voiture, et tout ce qui ressemblait à une vie posée et sérieuse. Quelque chose à quoi Athena avait renoncé dès le début, parce qu'il parait que réussir dans le monde artistique implique un échec de la vie personnelle. Alors elle avait sacrifié le reste, parce que son réel et unique amour était la danse, et qu'il ne lui fallait rien d'autre. Au final, elle l'avait perdue aussi la danse, ou du moins celle dont elle rêvait. « Mais de rien, c’est normal, je n’allais pas te laisser à moitié consciente sur le bord de la route ! Je ne comprends d’ailleurs pas comment certains le font et peuvent se regarder dans le miroir sans problème après ! » fit-elle lorsque Athena la remercia. Dahlia avait raison, évidemment. Athena était peut-être un peu égoïste, dans certains cas, mais elle savait que si elle avait été à la place de sa sauveuse ce soir, et qu'elle avait eu les moyens de venir en aide à quelqu'un, elle l'aurait fait. Elle haussa simplement les épaules, n'ayant rien à répondre de toute façon. Dahlia était allée s'installer derrière le volant, et Athena s'appuya contre la vitre, reposant un peu sa tête, tout en expliquant qu'elle avait trop bu, et désignant vaguement d'un geste de la main le cabaret. « Serveuse ?! » interrogea Dahlia, concentrée sur ce qu'elle faisait. Athena secoua un peu la tête, parce que non, même si ça lui arrivait d'être derrière le bar ou de ramener des boissons à table, ce n'était pas ça son job, et elle ne se qualifierait jamais de serveuse. « Non, je danse » elle fit simplement, sans entrer dans les détails, même si sa réponse était un peu inexacte. Elle dansait oui, mais chantait aussi, et n'était pas de celles qui faisaient des numéros de danse incroyables, n'en étant plus capable depuis son accident. Dahlia se mettait en route, et après un petit silence, elle reprit. « Et ne t’en fait pas pour l’alcool, sa arrive à tout le monde hein ! » Cela fit rire un peu Athena, parce que boire sur son lieu de travail n'était pas vraiment conseillé, et certes, ça arrivait à tout le monde, mais pas aussi régulièrement. Peut-être qu'elle devrait se poser des questions, ou se mettre des limites qu'elle ne franchirait pas aussi facilement. Parce que boire comme ça, ce n'était pas vraiment normal. « Avant je buvais pas, presque pas, seulement pour les occasions. Maintenant c'est pour faire passer les soirées » elle répondit, riant de sa situation, un rire un peu pathétique, parce que c'était mieux de s'éloigner comme ça de sa propre réalité. Peut-être qu'elle avait subitement envie de vider son sac, de cracher tout ce qu'elle gardait pour elle. « Je hais ce job » elle lâcha, sur le même ton que précédemment, mais sans humour. « Danser c'est toute ma vie... mais pas ici, pas comme ça » elle ajouta, moqueuse, parce qu'elle rêvait d'autre chose, elle était faite pour autre chose et elle le savait. Elle était géniale, phénoménale, prometteuse, et ce putain d'accident avait dressé sur son chemin des barrières qu'elle ne pouvait pas franchir, même avec la volonté qu'elle avait. C'était asphyxiant.