Le gros avantage de Miami, c'est de pouvoir aller courir en bord de mer. Et même dans le sable pour les plus motivés. Personnellement, j'avais eu plus que mon compte de sable, mais je ne pouvais pas résister au bord de mer. Et puis que rêver de mieux que d'aller piquer une tête dans les vagues après avoir couru ? C'était une bonne façon de commencer ou de finir une journée. Et c'était une partie de ma routine bien huilée. Un esprit sain dans un corps sain.

Pour une fois, il y avait pas trop de monde. Je n'allais pas me plaindre. ça avait beau faire un an que j'étais de retour à la vie civile, j'avais toujours un peu de mal avec les endroits bondés. Sans virer agoraphobe pour autant. Mais ça restait agréable de ne pas être collé à des dizaines de gens. J'avais profité du calme et des vagues. Je m'apprêtais à repartir dans la direction depuis laquelle j'étais arrivé lorsque j'aperçus une silhouette esseulée. Pile sur mon chemin. Accoudée sur une barrière. L'air perdue. Comme je m'en approchai, elle me parut famillière. Il fallut quelque pas de plus pour que mon cerveau fasse les bonnes liaisons et l'identifie.

Sasha. Tiens. Elle avait quitté l'Illinois ? Remarque, j'avais bien bourlingué aussi. Même si dans le fond, entre la Nouvelle-Orléans et Miami il y avait moins de distance qu'entre Chicago et Miami. Enfin bref. Le temps que je m'arrête à son niveau elle avait relevé la tête et me dévisageait. Pas de doute c'était elle. Un sourire étira mes lèvres juste avant qu'elle ne parle.

- Tu me remets pas ? Looping ? Enfin. Logan.

Remarque, ça datait déjà de plusieurs années.

- On s'est connu à Chicago. J'étais dans l'armée.

Bon, clairement, si c'était le döppelganger de Sasha, j'étais bon pour passer pour un illuminé. Et puis il fallait dire que j'avais dû changer un peu. Il parait que la guerre ça vous change un homme. Moi, j'avais toujours l'impression d'être le même gars. En tout cas c'était toujours la même tronche que je voyais dans le miroir. J'aurais bien dit que ça m'avait rendu moins naïf, mais ça n'avait jamais été dans mes traits de caractère.

- Et pour répondre à la question que tu te posais, j'aurais bien dit "courir à poil jusqu'à la flotte et se jeter dedans", mais je suis pas sûr que ça réponde vraiment à ta question.

Bon, j'allais sans doute passer pour un gros chelou de service. Mais ce n'était pas comme si elle m'avait connu dans mes grands élans de conneries. Un militaire en permission, ça ne va pas sagement au cinéma. Ca vit. A fond. Je lui souris largement quand elle me reconnut.

- J'ai cru remarquer ça, ouais.

Ce n'était pas dit méchamment - je ne suis jamais mesquin de toute façon. Mais honnête, ouais. Au moins mon élan de connerie la fit rire quelques seconddes.

- Vas-y, je raterais le spectacle pour rien au monde.

Elle n'avait vraiment pas l'air en forme. Et pourtant c'était moi qui venait de courir dix bornes.

- Mais t'es la plus chouette des chaussettes dépressives !

Je lui fis un clin d'oeil. En tout cas, je n'allais pas la laisser déprimer dans son coin. Parole de Looping. Elle n'allait pas comprendre avant d'avoir des crampes de rire. Ou peut-être pas remarque. Pas sûr de toujours être aussi drôle. Aussi barjo, c'était sûr, mais drôle, ça restait à prouver.

- Ca fait un an que j'ai quitté la Marine.

Je souris.

- J'ai repris une petite boite de tourisme aérien avec un pote de régiment. Et je m'occupe aussi de l'entretien des machines. Donc, ouais, j'suis en perm' à très long terme, si on veut.

Je hausse légèrement les épaules, un brin fataliste, mais pas mal je m'en foutiste. Eh, j'vais quand même pas chialer sur douze ans de ma vie, non ?

- Et toi, pourquoi cette baisse de moral ? C'est à cause d'un mec, tu veux que je lui pète la tronche ?

Je souris.

- J'te ferais bien un câlin, mais je viens de courir et de faire trempette, donc c'est pas dit que ce soit agréable.

Je souris.

- C'est pas vraiment une reconversion. Je transporte juste des touristes au lieu de soldats.

C'est un peu réducteur. Mais pour moi c'est pareil. Du moment que je suis dans le ciel.

- Ouais mais toi, je vais quand même pas te frapper. ça se fait pas;

Je lui fais un clin d'oeil. Comme si j'allais frapper une femme de toute façon. Je lui propose donc un câlin en guise de réconfort. Même si un câlin avec un gars qui vient de courir dix bornes n'est sans doute pas le truc le plus agréable. Pourtant elle tend les bras. Obligeant, je lui fais donc un câlin.

- A vot' service m'dame.

Un vrai mec galant, je vous dis.

- Repos forcé ? C'est possible ça ?

La seule fois où j'ai été en repos forcé, c'est quand j'ai été blessé. Les perms n'étaient pas vraiment reposantes dans le genre.

- Ouais et ouais. J'ai du temps devant moi, et j'ai la dalle. Je te rappelle, si ton odorat te fait défaut, que je viens de courir.

Je ris à nouveau.

- ça marche.

Je me passe la main dans les cheveux.

- Je reviens dans dix minutes alors et après on va où tu veux.

Je repars donc me changer en vitesse, troquant ma tenue de sport pour une tenue un peu plus présentable. Je retrouve donc Sasha, prêt à aller grignoter un morceau tout en ayant l'air correct.

- J'ai l'avantage d'être mon propre patron donc si j'ai pas de clients, je commence à l'heure que je veux.

Et puis, je suis toujours joignable de toute façon.

- Tu voudras aller faire un tour d'hélico un de ces quatre ? Promis j'éviterais de faire des loopings. C'est déconseillé avec un hélico de toute façon... Tu veux aller manger où du coup ?