Assis sur l’un des sièges défoncés d’un bus de la ligne 7 de Miami j’observai le paysage ennuyeux à mourir de la ville.
Lorsque nous passâmes près d’une espèce de main verte qui semblait appartenir à un géant qui vivait sous terre, de nombreux voyageurs montèrent dans le véhicule et se tassèrent dans l’allée centrale. Je sentis alors une main me tapoter l’épaule. Qui donc se permettait de me déranger ? Les floridiens ne connaissaient ils pas la politesse et le respect ? Lorsque les tapotements se firent plus forts, je me retournai et je lançais un regard furieux à la personne qui m’importunait.

« Eh mon gars, tu peux t’lever et laisser la place à la vieille dame ? »

En effet, à ses cotés se trouvait une vieille dame octogénaire qui semblait tenir difficilement sur sa canne. Pourtant, je n’avais aucune envie de lui laisser ma place…Le premier arrivé est le premier servit ! Pour ne pas avoir à me justifier je fis croire que je ne comprenais pas. J’en récoltais des regards furieux et des murmures désapprobateurs mais je les ignorais et posant de nouveau ma tête contre la fenêtre.
Combien de temps encore devrai-je rester dans cette ville de misère ? Il fallait déjà que je rencontre les proches d’Abby. Puis, comme si cela ne suffisait pas, Smith mon patron m’avait chargé d’une affaire reliant les justices américaines et britanniques et c’est pour rencontrer une avocate locale que j’empruntais ce véhicule puant.

Peu à peu, les passagers de l’allée centrale descendirent et je ne pus m’empêcher de les jalouser un peu. Eux au moins, ils étaient sortis ! Lorsqu’enfin le panneau lumineux de l’allée centrale m’indiqua que nous étions arrivés au cabinet d’avocats je me levais rapidement et je sortis dans la rue pour respirer.

Grâce à un plan, je trouvais facilement le bâtiment et je sonnais en m’annonçant.

« Maitre Ethan Mc Alistair…J’ai rendez vous !
_ Bien, je viens vous ouvrir. L’ouverture automatique ne fonctionne plus ! me dit une voix. »

Tandis que j’attendais que l’on vienne, une bande de gamins me bouscula sans s’excuser le moins du monde. Au moins, ma fille était bien éduquée, elle ! Comme mon séjour risquait de durer assez longtemps, je l’avais inscrite dans une école ayant une très bonne réputation.
Enfin, une vieille femme latino à lunettes arriva et ouvrit la porte.

«Désolée Maitre, les ascenseurs sont en panne depuis une semaine. Veuillez me suivre, nous sommes au 12ème étage, m’annonça-t-elle.
_ Ah les américains ! Ca construit de grandes tours, mais ça ne sait pas les maintenir en état !! »

Puis je lui emboîtai le pas et nous empruntâmes un escalier en colimasson qui semblait être interminable. La vieille ne m’adressa pas la parole durant toute notre ascension. Sans doute était elle vexée par ma remarque précédente, ou bien cet effort l’empêchait de parler convenablement ?
Enfin, nous arrivâmes au 12ème étage et la vieille retrouva l’usage de sa langue.

« Bien, dit elle essoufflée. Vous avez rendez vous avec Maitre Arya Stanford. C’est la première à droite dans le couloir juste ici, son nom est marqué sur la porte. Je vous accompagne ? »

Je fis non de la tête. Me prenait-elle pour un incapable ? Je pouvais parfaitement me rendre seul au bureau de Stanford, tout comme j’aurai put monter ces escaliers sans son aide ! Lorsque je la vis glousser aux cotés d’une de ses collègues tout en me regardant, je devinais qu’elle avait insisté pour être la première du cabinet à rencontrer l’étranger.
Pour répondre à leurs petits rires ridicules, je leur en rendis un qui voulait tout dire et je pris la direction du bureau de Stanford.
Arrivé à destination, je frappais à la porte. Aucune réponse. Je frappais de nouveau. Aucune réponse. Je soupirai et je me pris la décision d’ouvrir la porte et entrer dans le bureau.
Une femme plus jeune que moi était assise derrière un écran d’ordinateur. Elle portait un casque sur ses oreilles et sa tête bougeait au rythme de la musique.

« EHHHH ! criai-je. Nous avons rendez vous il me semble ! Maitre McAlistair ! »

 

Une journée qui risquait d'être longue. Ca faisait deux jours que j'étais sur un dossier beaucoup trop complexe et il m'avait fallu de l'aide. Oui j'admettais de temps en temps que j'avais besoin que l'on me conseille. J'avais appelé un ancien de mes patrons qui connaissait un bon cabinet de Londres. Une chance pour moi, son meilleur avocat était à Miami. Bon je ne vais pas mentir ça me soulageait d'un poids en évitant d'appeler mon père. Je ne voulais pas utiliser mon nom pour avoir des contacts et c'est pour cela que j'évitais de dire mon nom de famille. Cet avocat était mon seul rendez-vous de la journée.

J'étais quand même arrivée de bonne heure au bureau et bien entendu il n'y avait pas d'ascenseur aujourd'hui. J'avais appelé au moins une dizaine de fois pour qu'il vienne. Mais bon j'avais un look plus décontracté aujourd'hui mon jean préféré avec une chemise et une paire de ballerine. De toute façon personne n'allait remarqué ma petite taille derrière mon bureau. D'ailleurs, je recherchais des affaires similaires à la mienne dans les bouquins avant d'appeler mon frère pour la conversation matinale habituelle. Il avait eu la gentillesse de m'envoyer quelques chansons pour me soutenir pendant mes recherches. J'avais arrêté la cigarette depuis la fameuse discussion avec mon cousin, il fallait donc que je trouve un moyen pour me détendre.

Au moins, les recherches avancées plus rapidement vu que j'étais dans mon monde. Vous savez quand on est dans son monde on est beaucoup plus efficace et on ne se rendait surtout pas compte que le temps passait beaucoup trop vite. C'est une voix masculine qui me sortait de ma concentration. Je ne pus m'empêcher de rougir de honte. Ca ne faisait pas du tout professionnel d'agir ainsi et je ne voulais pas qu'il me prenne pour plus idiote que je ne le suis. En tout cas, il n'avait pas l'air commode cet anglais. Ses traits semblaient durcis mais je me mets à sa place, j'aurais réagi de la même manière si je croisais un de mes confrères se comporter ainsi.

Je me levais donc, après avoir retiré mon casque bien évidemment, pour lui serrer la main.

"Je suis vraiment désolée, la musique m'aide à me concentrer. Enchantée Maitre."

Je lui fis alors signe de s'asseoir, je déposais alors mes bouquins de jurisprudences dans un coin avant de mettre le dossier qui nous intéressait au centre de la table.

"Voici votre copie du dossier même si je pense que vous l'avez déjà. Vous voulez un café ou un thé parce que la matinée risque d'être très longue."

Si je pouvais détecter son accent anglais, il pouvait bien détecter mon accent new-yorkais à plus de dix mètres.

"Vous vous demandez sûrement pourquoi j'ai fait appel à votre cabinet. Pour répondre à cette question, je ne fais que remplacer le responsable pendant son congé maladie et je suis spécialisé en pénal et non pas en droit de la famille. J'ai simplement voulu éviter de faire des bêtises sur une affaire aussi délicate que celle-ci. Si vous avez des questions n'hésitez surtout pas.

 

Enfin, au bout d’une éternité, elle retira son casque et se leva pour serrer ma main droite.

« Je suis vraiment désolée, la musique m'aide à me concentrer. Enchantée Maitre. »

Je ne connaissais pas très bien tous les accents américains, mais je dessellai des intonations new-yorkaises dans ses paroles. Elle m’invita à m’asseoir sur un fauteuil  Louis-Philippe à rayures jaunes et blanches dont l’assise était complètement défoncée. Un instant, je me demandais si celle du sien l’était tout autant ou bien si elle s’était accaparé le fauteuil le plus confortable.  Elle sortit le dossier sur lequel nous allions travailler ensemble et le plaça au centre de son bureau.

« Voici votre copie du dossier même si je pense que vous l'avez déjà. Vous voulez un café ou un thé parce que la matinée risque d'être très longue.
_ Je vous aurai bien demandé un thé, mais je ne pense pas que nous ayons la même définition du mot "thé", grimaçai-je »

J’étais prêt à parier que leur thé était  en réalité une espèce de boisson complément flottarde et sans  aucun goût.

« Vous vous demandez sûrement pourquoi j'ai fait appel à votre cabinet. Pour répondre à cette question, je ne fais que remplacer le responsable pendant son congé maladie et je suis spécialisé en pénal et non pas en droit de la famille. J'ai simplement voulu éviter de faire des bêtises sur une affaire aussi délicate que celle-ci. Si vous avez des questions n'hésitez surtout pas.
_ Laissez moi relire tout ça, répondis-je sèchement. »

Les sourcils froncé, je relis rapidement l’histoire du couple qui nous intéressait tous les deux.  Au premier abord, cela n’était pas sans me rappeler ce que j’avais vécu avec Abby, mais la fin n’avait rien à voir. En effet, il s’agissait d’un mariage mixte entre une américaine et un britannique qui avait eu lieu  à Tredegar, une petite ville minière du Pays de Galles. Le couple avait vécut semble-t-il heureux pendant un temps et avait donné naissance à un petit garçon.  Mais au bout d’une dizaine d’année, l’américaine s’était cassée du foyer pour refaire sa vie avec un homme plus jeune et plus beau.
A présent, elle souhaitait divorcer pour pouvoir se marier avec son jeunot et pour couronner le tout, elle voulait récupérer la garde de son fils qu’elle avait pourtant abandonné des années auparavant.
Je soupirai et je reposai le dossier sur le bureau placé devant moi.

« Vous allez peut être vouloir prendre le parti de votre compatriote, mais cette femme est une vrai salope ! S’il n’y avait que moi je lui interdirai de voir son gosse jusqu’à sa majorité »

Le  dossier racontait également que le père était un petit ouvrier avec un salaire précaire  alors que la mère et l’amant gagnaient parfaitement bien leur vie.  Sans doutes que ces derniers allaient prétendre que le gamin serait bien plus heureux avec eux dans leur parfaite petite maison floridienne que dans l’appartement miteux de son père.  Qu’ils essayent ! La loi anglaise avait tendance à prendre parti pour les "les plus faibles ".  

« Je ne sais pas pour vous, mais je n’arrive pas à comprendre la logique de cette femme. Son mari ne lui demande rien et elle est sûre de perdre le dossier avec un dossier comme ça. A tous les coups, elle va nous sortir la preuve d’une faute grave pour plomber son ex ! D’ailleurs, elle n’est pas censée nous rencontrer ?  »