Tu attend, devant chez toi, ta valise posée à tes côté sur le bitume humide. La pluie se déverse sur le goudron en une bruine éparse. Elle ne te dérange pas, tu l'entend à peine heurter sans volonté les voitures garées le long des trottoirs. Son impact est si minime qu'elle n’éteint même pas ta cigarette qui diffuse. Tu la portes à tes lèvres. Inspire. La fumée te pénètre, danse dans tes bronches jusqu'à tes poumons. Expire. Le dépôt blanchâtre aérien s'élève, s'évanouissant dans le ciel.

Ce geste t'es devenu quotidien, alors que tu le trouvais si répréhensible avant. Quand tu étais une gentille petite fille de beau quartier, une adorable petite bourgeoise promise à un avenir élitiste. Tu remplissais ton rôle à la perfection, personne ne se doutait que tu tournerait comme ça. Que tu tournerais mal. Toi non plus, d'ailleurs. Mais tu as eu le malheur d'aimer. Jamais tu ne t'en es remise.

C'était à la fin du lycée. Tu venais - brillamment – d'obtenir ton diplôme, tu étais pressentie pour faire de merveilleuses études, avoir une carrière exemplaire. C'était le début de l'été, des vacances. De ta descente aux enfers. La perdition de ton être.

Quand tu es revenue chez toi, tes parents ne savaient pas quoi faire. Tu étais la fille maudite à faire disparaître, la nouvelle honte à dissimuler au voisinage. Tu n'es pas restée une semaine qu'ils avaient déjà trouvé une solution pour t’exiler. Tu partirais, tout simplement. Tes géniteurs, ce lien de sang était désormais tout ce qui vous liait à tes yeux, possédaient quelques maisons et appartements dans tout le continent. Un loft à Miami, voilà ce qu'ils avaient choisis pour toi. Tu n'as jamais vraiment compris pourquoi ils avaient fait preuve d'une telle générosité ; n'avaient-ils pas de locataire ? Ou espéraient-ils ne plus entendre parler de toi en te satisfaisant ? Cela t'étais égal. Comme tout le reste.

La seconde option s'est révélée être juste quand ils t'ont informé qu'ils te mettraient tous les moins de l'argent sur un compte pour que tu puisses subvenir à tes besoins. La somme ne serait pas pharamineuse, mais largement suffisante. Tu ne t'es pas plains, tu ne t'es pas réjouie, tu t'es tue. Ils achetaient ton immigration. Très bien.

Maintenant, ils devaient t'amener jusqu'à la gare. C'était leur décision. Que voulaient-ils ? Entendre une dernière fois « papa et maman » ? Tu ne leur ferais pas ce plaisir. Ils avaient déjà perdu ce titre. Tu as hâte d'être loin d'ici, tu ne sais même pas pourquoi tu es revenue. C'était une idée stupide. Bientôt, tu seras loin. À Miami.

Tu aimais déjà cette ville avant même de t'y être rendue. Lieux de débauche et de fête, tu pourrais t'oublier à loisir, te perdre comme tu le fais trop souvent. La question est de savoir si ceux que tu y rencontreras t'aideront à te noyer dans ton passé tumultueux ou te permettront enfin de réapprendre à vivre. Mais à cela, tu n'y songes même pas. Tu te contentes de fermer les yeux pour ne plus penser. Sous ton pieds, tu écrases le mégots encore brulant.