Même si je le disais assez peu, je détestais mon métier. Enfin, si l'on pouvait appeler cela un métier... Ce n'était pas comme si je me levais tous les matins pour aller trimer à l'usine et me tuer à la tâche. Loin de là. Même si mes revenus étaient irréguliers, il pouvait m'arriver de toucher des sommes assez mirobolantes pour, au final, pas grand chose. Peut-être que l'on touchait beaucoup à cause du risque que l'on encourait ; au fond, c'était pas cher payé de notre peau. Les trafiquants restaient malgré tout la cible numéro un des autorités, et je pouvais facilement finir ma vie en prison. Il ne suffisait que d'un faux pas, d'un mauvais geste qui pouvait me compromettre. Et il y avait également la charge morale, même si beaucoup de ceux qui faisaient ce métier n'en avait strictement rien à foutre. Pour moi, c'était différent. Je ne pouvais tout simplement pas vendre des armes au premier venu sans avoir un pincement au coeur et un amer goût dans la gorge. Pour quelques dollars, je donnais à quelqu'un le pouvoir de tuer, d'ôter une vie humaine. Je ne savais même pas à quels desseins ces armes allaient servir - surtout dans le cadre du marché noir. On était loin du cas typique du père de famille américain souhaitant protéger ses enfants. Je ne prenais absolument pas plaisir à faire ce que je faisais - c'était simplement une source d'argent facile et surtout, la seule chose que je savais faire. Être discret et faire passer des trucs en douce. En tout cas, je n'en menais pas large quand je sonnais à la porte. On m'avait simplement donné cette adresse avec un type d'arme, que je transportais d'ailleurs dans une doublure de mon sac à dos.

Je fus assez surpris de tomber nez à nez avec une jeune femme, peut-être un poil plus âgée que moi, plutôt jolie. Autant dire qu'elle ne correspondait pas du tout au profil type de mes clients. Je ne me posai pas trop de questions, au final. Parfois, les apparences pouvaient se montrer bien trompeuses, et qui me disait que cette fille n'était pas à la tête d'un puissant cartel de drogue ? Je n'eus toutefois pas le temps d'ouvrir la bouche qu'elle me prit par le poignet et me traîna à l'intérieur. "Bon sang enfin ! J'en pouvais plus d'attendre, un peu plus et je l'étripais à main nu !! Entrez!" J'haussai un sourcil interrogateur. Cette fille semblait assez pressé... et surtout prête à commettre quelque chose d'assez odieux. Quelque chose auquel je ne voulais surtout pas être mêlé. Je ne voulais pas entrer dans ses histoires d'étripailles... ou que savais-je. La jeune femme me lâcha dans son salon, que je trouvais assez joliment décoré, et revint quelques minutes plus tard avec son porte-monnaie. Elle avait l'air vraiment pressée. "Bon, je vous dois combien ? Puis si vous pourriez me donner un coup de main pour réparer cett..."  Toujours obnubilé par l'éventuel crime qui allait se commettre, je sortis de mon sac l'arme qu'on m'avait demandé d'emporter, impassible. Après tout, je faisais quasiment ça tous les jours.

La jeune femme se coupa net quand elle vit l'arme. Est-ce que je m'étais trompé de modèle ? "Nan mais vous êtes malade ! En QUOI ça ressemble à un truc de remplacement pour une mâchine à lavé ça va pas bien dans votre tête ! Y a un enfant ici ! Parle le mioche ou j'appelle les flics !" Sans que j'eus le temps de réagir, elle me prit l'arme des mains. Même si l'arme n'était pas chargée - justement pour éviter de se faire tuer dans ce genre de situations - le sang me monta au quart de tour. Peut-être y avait-il un problème avec l'arme, mais en tout cas, ce n'était pas une façon de parler. « Eh, vous pourriez être plus polie ! Je fais que passer, moi. Vous avez commandé ça, alors j'apporte, c'est tout. Ça sert à rien de me la prendre des mains, je partirai pas d'ici sans mon argent » dis-je d'un ton sec et décidé. Je ne savais pas pour qui elle se prenait, mais décidément tout était très bizarre ici. « Vous voulez vraiment qu'on appelle les flics ? Parce que de ce que j'en vois, c'est vous qui êtes en train de me menacer avec une arme » continuai-je sur le même ton, les bras croisés. Je faisais le malin, mais en vérité j'étais prêt à détaler comme un lapin si jamais les flics débarquaient. « Enfin, peut-être qu'il y a eu erreur sur la marchandise, mais quand même ! Pas besoin de dire que c'est une pièce de remplacement ou je sais pas quoi ! Ça reste une très belle arme ». J'étais indéniablement un peu vexé que la jeune femme ait réagi comme ça face au revolver. C'était franchement un beau modèle. Surtout, je ne comprenais pas pourquoi elle avait parlé d'une pièce de machine à laver. Cette fille devait être frappadingue.

Pourquoi est-ce que je devais toujours tomber sur des fous, dans ce métier ? C'était toujours pareil. Je tombais toujours sur des cinglés. La jeune femme d'aujourd'hui m'avait l'air, comment dire... Spéciale. Un peu excentrique. Elle avait l'air vraiment impatiente de recevoir son arme. Pas que je veuille me mêler de ses petites affaires, mais... Je trouvais ça toujours très louche quand quelqu'un ne souhaitait qu'une chose : avoir une arme. Je n'avais jamais aimé ça, personnellement. C'était tellement plus facile de faire du mal avec un revolver...! Il suffisait simplement d'appuyer sur la gâchette et pouf, une vie envolée. Je trouvais ce principe terrible. Déjà que je n'aimais pas ce que je faisais là, mais alors si en plus mes clients étaient tous comme ça... À peine m'avait-elle ouvert la porte que la jeune femme m'avait tiré par le bras pour m'emmener dans son salon. Pas même un bonjour, rien ? Tout de même, je voulais bien que ce milieu soit un peu "particulier", mais il y avait des règles de politesse élémentaires... La jeune femme reprit de plus belle, et à vrai dire je ne comprenais pas grand chose à ce qu'elle me disait. J'étais énervé par son attitude, et elle parlait tellement vite que je peinais à comprendre vraiment ce qu'elle disait. En plus, elle me menaçait d'appeler les flics. Là, c'était à n'y plus rien comprendre. Elle commandait une arme, et elle voulait appeler les flics ? Sérieusement ? De toute façon, je n'étais pas bien sûr de comprendre ce que se passait vraiment ici. Même pas du tout. On se serait cru dans un mauvais film.

Je n'eus même pas le temps de réfléchir qu'elle m'attrapa de nouveau par le poignet et me traîna à travers la pièce. Je ne savais vraiment pas ce qu'elle voulait faire. L'envie me prit de me dégager d'elle et de partir, parce que très franchement, je préférais ne pas savoir ce qu'elle allait me montrer... mais c'était sans compter sur le fait qu'elle avait toujours l'arme dans la main, et que je ne pouvais pas repartir sans elle ou sans l'argent. Je devais la suivre. La jeune femme me fit signe de me taire quand on passa devant une chambre, la porte entrouverte - une chambre d'enfant probablement. Mon coeur se serra un peu quand je repensais à Charlotte, ma fille, qui allait avoir quatre ans dans quelques semaines, encore un anniversaire qu'elle allait passer sans moi... Je n'eus pas non plus le temps de me perdre dans mes pensées que la jeune femme s'arrêta devant une pièce et en ouvrit la porte. La buanderie, à ce que je pouvais voir, et en bien mauvais état : le sol était trempé. "Cela fait des jours que j'attend une pièce de rechange pour CETTE mâchine à laver. Donc petit voyou, je ne sais ce que tu fous avec ce truc mais c'est pas pour moi . TOI AVOIR COMPRIS MOI". Cela fit tilt dans ma tête. La pièce de remplacement de la machine à laver, l'eau sur le sol... C'était donc ça qu'elle voulait dire ?! On m'avait envoyé la mauvaise adresse ! J'étais incroyablement dans la merde, maintenant. Coincée chez une fille que je connaissais pas et qui maintenant était au courant de mes activités. « Eh, pas besoin de me parler comme ça, j'suis pas débile » pestai-je, à la fois énervé contre elle et contre moi-même.

Je m'apprêtai à sortir de la pièce quand la jeune femme claqua la porte et nous enferma.
Je me tournai vers elle, les sourcils froncés. Elle jouait à quoi, là ? Ça devenait vraiment bizarre. À sa place, je n'aurais pas fait ça ; enfin qui aurait l'idée de s'enfermer à clé dans une pièce aussi exigüe avec un trafiquant d'armes ? Je n'avais pas l'intention de lui faire mal, mais un autre aurait peut-être eu moins de remords. "Alors donne moi une bonne raison de ne pas appeler la police maintenant ? Car de toute évidence cette arme était destiné à quelqu'un d'autre ? Alors, il fait moins le malin le garçon non ? " demanda-t-elle. Enfin, demander était un bien grand mot. Elle me parlait d'un ton très sévère et autoritaire. À vrai dire, je ne comprenais rien à ce qu'il venait de se passer. Je venais réellement, comme un bleu, de me gourer d'endroit... Cette fille attendait le dépanneur et elle m'avait vu débarquer chez elle avec un flingue. Sa panique était compréhensible, surtout si elle avait un enfant. « C'est bon, y'a eu une erreur, je vois pas pourquoi on en ferait un plat. Je pars d'ici, je te laisse tranquille, y'a pas de soucis » commençai-je, d'un ton agacé mais sentant que je devais calmer le jeu. Elle avait le pouvoir de m'envoyer en prison si elle voulait. Je la regardai un instant ; elle n'allait pas en démordre. Je n'avais pas l'impression que j'allais pouvoir partir d'ici sans problème. « Bon, ok. On fait un deal, d'accord ? Je t'aide avec ta machine à laver et tu me laisses partir sans me causer de problèmes. » Je faillis ajouter que j'avais les moyens de la faire taire si jamais elle souhaitait l'ouvrir... Mais je ne le fis pas. Elle était maman. Est-ce que je pouvais vraiment lui faire ça ? Je n'en n'avais pas l'impression. Je me retournai brièvement vers la porte. « Et pourquoi tu nous as enfermé là dedans, franchement ?? T'as de la chance d'être tombée sur moi. Un autre t'aurait sûrement déjà assommée » grommelai-je en remontant mes manches.

Non mais dans quel pétrin je m’étais fourré, sérieusement ? Cette fille m’avait l’air d’être complètement tarée… Au lieu de, je ne sais pas, me mettre à la porte en espérant ne plus jamais entendre parler de moi, elle avait préféré nous enfermer dans sa buanderie et me faire chier avec son histoire de machine à laver. Comme si je n’étais pas assez agacé, il fallait qu’elle en rajoute une couche avec son hystérie. Mais comment tout ça avait-il bien pu se produire ? On m’avait bien donné cette adresse, pourtant, j’en étais persuadé. Il allait falloir que j’ai une conversation avec Luìs, parce que là, ça n’était pas possible. Cette fille avait beau avoir l’air folle, au moins, elle ne me paraissait pas très dangereuse, même si elle essayait de me faire croire le contraire. Malgré tout, j’essayais de calmer la situation. Elle comme moi avions tout à gagner dans le fait que je parte de chez elle tranquillement, comme si rien de tout ça n’était arrivé. Malheureusement, ce qui paraissait à mes yeux être une solution équitable ne le fut pas aux siens. "Pourquoi on en ferait un plat ? Un plat ? T'appelle ça un plat toi ? Non mais t'es complètement con ou quoi ? On parle d'une arme là! Un truc pour tirer sur des gens ! Enfin il me semble bien que c'est pour tirer sur des gens ce truc non ? Et c'est bien pour quelqu'un vu que y a une ERREUR ? Tu crois que je dois pas faire tout un plat de me dire qu'un tueur habite peut-être mon immeuble ? Nan mais on t'as bercé trop prêt du mur mon pauvre garçon !" Cette espèce de folle dingue me donna même une petite tape derrière la tête. À vrai dire, j’étais tellement surpris par son comportement que je ne réagis pas tout de suite. C’était certain, elle n’avait pas froid aux yeux. Elle avait vraiment de la chance d’être tombée sur moi. « Sois pas naïve. Tu penses qu’il n’y a que des anges et des innocents, dans cette ville ? Et de toute façon, s’ils n’ont pas l’arme par moi, ils n’ont qu’à rentrer dans l’une de ces milliers de boutiques d’armes qui pullulent les rues et ils s’en procureront de toute façon » tâchai-je de me défendre. Au fond, je savais bien qu’elle avait raison, et je n’aimais pas plus qu’elle ce que je faisais. Simplement, il y avait une demande réelle à Miami d’armes du marché noir, et je me contentais d’y répondre. C’était quand même pas de ma faute si elle existait, cette demande.

Voyant bien que ma solution n’allait pas fonctionner, je lui proposai alors de l’aider à réparer son lave-linge, soupirant intérieurement. J’en étais vraiment arrivé à ça ; si je m’y étais attendu en frappant chez elle, quelques minutes plus tôt… Enfin, cette fois-ci, la jeune femme parut moins rétive que précédemment."Je suis plus farouche que j'en ai l'air. Puis écoute moi bien, ok j'accepte ton deal entre guillemet mais moi aussi j'y pose mes conditions." J’haussai un sourcil intrigué avant qu’elle ne me fasse reculer de quelques centimètres. "Plus jamais tu ne poses les pieds dans cet immeuble et si j'apprend par le plus grand des hasards qu'il s'est passé quoique ce soit ici... je te trouverais. Et j'ai mes resources. Ne me prend pas pour une simple petite mère au foyer sans défense.. Ok ?" Si elle croyait me faire peur, c’était raté. Elle était plutôt convaincante, dans son genre, et à vrai dire j’admirais assez son courage. Elle ne me connaissait pas ; j’aurais pu être le pire homme de la terre, et elle m’aurait quand même dit cela. Heureusement pour elle, je ne comptais pas lui faire de mal - je n’en avais jamais fait à une femme et je n’allais sûrement pas commencer aujourd’hui - et elle ne m’effrayait pas vraiment ; mais, dans un sens, elle m’amusait assez. « Si ce n’est pas moi aujourd’hui, ça sera un autre demain » dis-je un peu froidement. Et pour le coup, j’avais raison. Si la personne qui avait commandé l’arme ne la recevait pas, il allait probablement recontacter mon fournisseur qui enverrait quelqu’un d’autre à ma place. Et qui me passerait par la suite un savon. « Mais très bien. Marché conclu ». Je n’y croyais pas vraiment, mais bon, si je voulais avoir une chance de sortir d’ici rapidement et avec le flingue…

À peine avais-je fini ma phrase que quelqu’un vint sonner chez elle, nous faisant tous deux sursauter. Pour une raison que j’ignore, elle se plaqua sur moi en plaçant sa main sur ma bouche, m’ordonnant de ne pas bouger tandis qu’elle sortait de la pièce. Un peu abasourdi par son comportement et n’ayant rien de mieux à faire à vrai dire, je restai sans bouger à l’intérieur de la petite pièce. Je ne comprenais pas l’attitude de cette fille. Elle était bizarre, quand même, non ? Elle revint bien vite, sans me dire pourquoi on avait sonné. C’était probablement anodin, sans quoi elle me serait tombée dessus. "Bon alors, vous n'avez toujours rien fait ? Elle va pas se réparer toute seule cette machine à laver" Elle croisa les bras et me regarda d’un air assez mauvais, qui ne me plaisait guère. Je la regardai d’un air tout aussi mauvais que le sien. « Je suis d’accord pour t’aider, mais faut pas me prendre pour un con non plus » crachai-je. Malgré tout, je remontai mes manches et commençai à examiner le problème. En vérité, je n’y connaissais pas grand chose, voire rien du tout, mais j’espérais comprendre rapidement histoire de me sortir de là. Je m’emparai d’un tuyau qui dépassait et tirai un peu, pour voir ce que ça faisait. Sans que je n’eus vraiment le temps de comprendre, le tuyau resta dans ma main et un puissant jet d’eau en sortit, jet d’eau qui fut projeté contre la jeune femme. Réagissant vite, je plaçai ma main sur la sortie d’eau, et attrapai un sceau qui traînait là. Je me tournai ensuite vers elle ; elle était littéralement trempée, surtout ses cheveux et son tee-shirt. Après quelques instants de silence, je me mis à rire. C’était plus fort que moi, j’arrivais à trouver les choses drôles même dans les pires moments. Je mis quelques instants à m’en remettre. « Pardon » m’excusai-je, encore hilare. « Hm, je suppose que maintenant on sait d’où vient le problème ». Je me redressai et me dirigeai vers la porte, ne sachant pas trop si elle allait me laisser faire. « Je vais chercher un torchon, enfin de quoi essuyer, et un autre sceau aussi. Parce que je crois qu’on est pas là de l’inondation, là ».