« Jordan ! Viens dire bonjour à ta petite sœur ! Regarde comme elle est mignonne ! Elle te sourit ! »

Ces mots sont ceux de mon père, et bien entendu ils ne viennent pas directement de ma mémoire, mais d’une vidéo  filmée à la maternité, je jour où je suis venu au monde.  Je vois encore mon grand frère, ce bambin de deux ans devenu une grande perche, s’approcher de moi  avec autant de délicatesse qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine. En fait, dès ma naissance, je pense que j’ai compris que j’allais devoir m’imposer au sein de notre famille.
D’après mes parents, il faisait une chaleur étouffante le jour où je suis né. Le ciel était menaçant, un orage grondait au loin et mon père s’était cassé le bras en courant comme un fou à l’appel de ma mère lorsqu’elle lui avait annoncé avoir perdu les  eaux. C’est donc pour cette raison que  la vidéo de ma naissance tremble un peu. Filmer seulement avec son bras gauche ne devait pas être évident !

Trois ans après ma naissance, j’ai du accueillir à mon tour un petit frère.  Erik, et d’après les images d’archives j’ai été aussi délicate avec lui que  Jordan avec moi. Une sorte de vengeance sur les hommes en soit.
Pourtant, malgré ces rencontres mouvementées, je me suis très bien entendu avec mes frères durant mon enfance. Bien entendu, on se disputait régulièrement,  on se piquait mutuellement des jouets, on se moquait les uns des autres. Mais à coté de cela, il y avait une réelle complicité entre nous. Une complicité qui nous faisait faire les quatre cent coups dans la maison et dans le voisinage. Nous étions tous les trois de vraies terreurs. Et j’étais fièrement en tête de notre trio. J’avais toujours une idée pour faire une nouvelle bêtise et le meilleur moyen d’échapper à une sanction.

L’adolescence et les changements qu’elle amène nous a un peu séparés. Finis les jeux idiots de l’enfance. Jordan préférait rester à la maison pour dessiner. Je passais mon temps à lire. Erik, lui, préférait enchainer les paniers sur le petit terrain de basket à quelques rues de notre maison.  Nous n’avions plus les mêmes centres d’intérêts, plus cette complicité.
Je reportais mon âme de leader au sein de l’High school où je suivais ma scolarité. J’étais la chef d’une petite bande d’adolescentes qui terrorisaient celles qui sortaient trop du rang. Une vrai bande de pestes quand j’y pense. Mais à l’époque, j’en  étais très fière. J’avais l’impression d’être aussi importante que la princesse Victoria de  Suède. Mon rang de chef, me donnait une certaine popularité au près des garçons.  Cependant, seul l’un d’eux sortait du rang. Il s’appelait Josh, et c’était le capitaine de l’équipe de basket dans laquelle évoluait mon frère Erik. Un peu cliché me direz-vous. Mais que voulez vous, c’est comme ça !

Mes résultats scolaires étaient  plutôt bons. Voir même très bons dans les matières littéraires. Je réussissais même à obtenir une bourse pour me rendre dans une université prestigieuse. Mais  à  quelques semaines de ma rentrée, un évènement  m’empêcha d’y aller.
Jordan avait décidé de fouiner dans la vie de Josh. Le meilleur ami de son frère et le petit ami de sa sœur. Tout ça sans nous en parler. Comme si cela ne nous concernait pas ! Ses recherches ont été fructueuses. Il a découvert que Josh était un dealer,  qu’il était responsable de l’overdose de l’un de ses coéquipiers de baskets et qu’il voulait nous initier Erik et moi, à la marchandise qu’il vendait.  
Mon ainé m’a peut être évité de détruire mon corps en faisant cette découverte. Mais je n’étais pas prête à lui pardonner. Il avait fouiné dans mon dos, et c’était à mes yeux impardonnables. Furieuse, et sur un coup de tête, je décidais de remettre ma vie en question. Je voulais m’éloigner de mes frères.  Je décidais alors de quitter les Etats Unis pour l’Europe. Pour la Suède. Là où  notre mère avait grandi et où je fus joyeusement accueilli par nos grands parents.

J’y suivais des études pendant quelques années et assez vite j’entrais dans la vie professionnelle. Je saisissais une occasion en or en reprenant la tête d’un établissement en plein cœur de Stockholm. Une librairie au sein de laquelle de nombreux événements conviviaux étaient proposés. Là bas, on pouvait lire un livre tout en sirotant une boisson. On pouvait louer des ouvrages  comme dans une bibliothèque. On pouvait débattre autour d’un auteur ou d’un thème particulier. J’aimais ma librairie plus que tout et dirigeais une équipe de quelques personnes avec le même talent que je l’avais fait avec mes frères et ma bande de peste.

Malheureusement, une explosion de gaz a mis fin à ces jolies années suédoise.  J’ai pleuré à chaude larmes quand mes années de travail se sont envolées en fumée. L’incendie n’a pas fait de victimes physiquement, mais moralement, cela m’a profondément marqué.  C’est à la même époque que j’ai appris, via Erik, que la petite amie de Jordan était enceinte.  Avec  l’insistance de mon cadet, j’ai alors décidé de rentrer à Miami et de racheter une librairie pour y poursuivre le rêve commencé en Suède. Je suis bien consciente qu’il était temps que je fasse un effort pour pardonner à notre frère. Mais je ne suis pas sûre d’y arriver.