Andrea avait quelques heures devant lui, et il comptait les tuer à la bibliothèque. Il avait un peu de travail et de nombreuses choses à faire, et tout ça l'occuperait pendant à peu près une heure. Puis, après cela, il profiterait d'un peu de temps libre pour parcourir les allées de la bibliothèque. Ca faisait une éternité qu'il n'avait pas fait ça, tant son emploi du temps était chargé. C'était clairement exceptionnel qu'il se retrouve ainsi avec un creux dans son planning, avec du temps libre, lui qui passait ses journées à courir partout et à s'occuper de toutes les façons possibles. Mais aujourd'hui, il avait un peu de temps pour simplement flâner entre les immenses rangées de bouquins, pour explorer et se laisser porter, en espérant trouver quelque chose d'intéressant. La collection de livres de l'université de Miami était franchement impressionnante, et la bibliothèque était un endroit magnifique et surtout immense. Elle regorgeait de petits trésors et d'ouvrages plus ou moins rares. On trouvait de tout ici, des vieux livres, d'autres très récents. De la fiction et des documents, sur tous les sujets. Andrea avait soudainement hâte, et après s'être installé à une table, sous la verrière centrale, il se mit à travailler sans perdre de temps. Plus vite il aurait fini, et plus vite il pourrait passer à la suite. Il fut efficace, et referma son ordinateur qu'il rangea dans son sac une fois le boulot fini. Andrea se mit donc à parcourir les allées, comme prévu, et s'arrêta devant plusieurs étagères pour regarder de plus près les tranches des livres. Il se pencha un peu sur la section d'histoire contemporaine, mais continua les mains vides. Au final, il trouva son bonheur un peu plus loin, dans le rayon d'histoire des Etats-Unis, et mit la main sur un bouquin traitant le sujet des droits civiques. Ne s'arrêtant pas là, il continua, jusqu'à ce qu'une pile assez importante de livres se retrouve là, presque en équilibre entre ses mains, et en tournant dans l'allée Littérature Européenne, il percuta de plein fouet quelque chose... quelqu'un. Il parvint à sauver les livres auxquels il s'était accroché de toute ses forces, mais son visage heurta directement ceux-ci et il fut immédiatement pris d'une douleur assez intense dans la lèvre inférieure. Il ne put retenir un grognement sur le coup, et posa la pile de bouquins sur la table qui se trouvait juste à côté, avant de porter une main à sa lèvre. Son regard se posa alors sur la personne qu'il avait failli assommer, s'apprêtant à s'excuser... mais il reconnut de suite le jeune homme. « Ah. C'est toi » il fit, oubliant ses excuses en quelques centièmes de seconde.

A force d'être trop concentré dans ses recherches, trop absorbé par ses activités passionnantes, il en avait oublié qu'il n'était pas seul et qu'il y avait dans la bibliothèque d'autres étudiants qui pouvaient tout à fait circuler dans le sens inverse. Il s'en souvint assez brutalement, lorsque sa pile de livres, qui lui bloquait évidemment la vue, heurta quelqu'un. La surprise fut forte, au point de se cogner le visage contre ses bouquins. Il alla les déposer sur la table la plus proche, prêt à aller s'excuser sans tarder, et à vérifier que tout allait bien pour l'autre personne tristement impliquée dans l'incident. Cependant, lorsqu'il vit de qui il s'agissait, il changea d'avis. Le campus était pourtant assez grand, et malgré ça, il n'arrêtait pas de tomber sur ce type-là. Un imbécile, vraiment. Andrea ne pouvait pas le voir en peinture. Ou du moins, peut-être qu'en peinture, il ne le dérangerait pas tant. Esthétiquement parlant, ce mec était très réussi, c'était évident. Le problème, il arrivait dès le moment où il ouvrait la bouche, pour dire des conneries et manquer de respect au monde entier. Andrea n'était pas un garçon violent, mais parfois... Visiblement, ça le faisait marrer d'être un pauvre con. Andrea, lui, ne riait pas. « Tu sais Andy. Le toi en question il a un nom. Et le toi a qui tu t'adresses il attend des excuses. » Ce simple surnom lui fit serrer les dents, parce que personne ne l'appelait comme ça, et certainement pas lui. C'était typique des mecs de son genre, s'autoriser des choses en pensant avoir tous les droits. Andrea connaissait à peine ce gars-là, il ne savait rien de sa vie. Ca ne l'intéressait pas, il n'était pas à Miami depuis très longtemps pour connaître les petites histoires, et il ne suivait pas les rumeurs et ragots du campus. Mais à le voir, il avait l'air d'un gosse pourri gâté qui avait décidé de jouer les rebelles pour se libérer de l'emprise parentale... sans vraiment réussir. Il se tenait là, en tous cas, dans une pose des plus agaçantes. « Je suis Orion je te rappelle. » il ajouta encore, tandis qu'Andrea se taisait. Oui, Orion. Parce qu'en plus de tout ça, il avait un prénom délicieux, fait pour être chuchoté la nuit en secret. Andrea ne faisait pas ça, mais l'espace d'un instant, il en eut l'image dans sa petite tête. « Mmh » il acquiesça simplement, un murmure qui ne voulait rien dire de spécial. Il ne se faisait pas vraiment confiance pour en dire plus, craignant que ce soit du poison qui s'échappe de ses lèvres, tant sa haine envers Orion était intense. « T'as bien du voir que j'arrivais. Regarde devant toi la prochaine fois » il dit. Il était de mauvaise foi évidemment, parce que tout de même, c'était de sa faute. Mais face à Orion, il redevenait pratiquement un gamin, trop fier pour admettre qu'il avait eu tort, et pour lui donner raison. « T'inquiètes. Ton visage va bien, tout a l'air en place. Plus ou moins » ajouta-t-il, avant de tirer la chaise qui se trouvait à côté de lui et de s'installer face à sa pile de livres. « J'ai du travail » Et voilà, avec ça, il lui faisait comprendre qu'il n'était plus le bienvenu. Du moins, il essayait.

Il ne comptait clairement pas admettre que c'était de sa faute. Même si ça l'était. Enfin. Si ça avait été quelqu'un d'autre, il se serait excusé. Mais pas pour Orion, certainement pas. Il n'hésita même pas à lui faire savoir que la prochaine fois, il ferait mieux de regarder où il allait, au lieu de raser les murs. « ha donc sous prétexte que je suis blond au naturel le problème vient obligatoirement de moi alors que toi, petit brun, tu m'as foncé dessus ! Après peut-être que ce que tu n'oses pas dire c'est que t'apprécies trop de te coller à moi du coup tu saisis ta chance à chaque fois que tu en as l'occasion. » C'était plutôt hallucinant. Il s'était d'ailleurs soudainement approché d'Andrea, qui ne comptait pas reculer, même si cette nouvelle proximité ne l'intéressait pas du tout. Ce type était insupportable, et Andrea aurait préféré ne pas avoir à lui adresser la parole. Surtout que tout ce qui sortait de sa bouche était entièrement tiré par les cheveux, dénué de sens, et profondément stupide. En plus de ça, Andrea sentait bien où allait cette conversation, et il n'était pas vraiment d'humeur à répondre à ce genre de réflexions idiotes et ignorantes. « Cela dit je te comprends Andy. Si je croisais un type aussi beau que moi, moi aussi j'aurai envie de le bousculer pour avoir au moins le privilège de l'avoir touché. Mais de préférence c'est mieux une nana. » Andrea ne put retenir un rictus tant Orion était ridicule. Et légèrement désespéré. Il ne savait pas trop quel était son problème, s'il manquait de confiance en lui et avait le besoin profond de se prouver qu'il existait. Ou si cela venait d'ailleurs. Il était plutôt pathétique. Andrea évita de répondre et préféra lui faire savoir que leur collision ne l'avait pas défiguré, tout en glissant une petite pique dans sa remarque, parce que c'était trop difficile de se retenir. « Plus ou moins ? Si quelque chose n'est que plus ou moins en place il faudra le remettre en place. » Et là, ce fut au tour d'Andrea de fixer un long moment le mec qui lui faisait face. A vrai dire, tout était en place. Vraiment. Et c'était un peu un problème. Mais l'attitude d'Orion commençait à l'énerver, car il se pavanait là comme si tout lui était du. Parce qu'il était beau et il le savait, et il pensait que le monde entier était du même avis... et c'était insupportable. « Le problème avec les types de ton genre, c'est qu'ils s'imaginent que parce qu'un gars est intéressé par d'autres gars, il est forcément intéressé par tous les hommes de la Terre, y compris toi. Alors tu n'es pas exceptionnel, en fait, ça fait de toi exactement le même que tous les autres » il lui dit simplement, avant de prendre sa distance et d'annoncer qu'il avait du travail. Le problème, c'était qu'Orion n'était pas exactement comme les autres. Peut-être oui, qu'il était un autre de ces types un peu trop hétéros qui n'avaient rien compris aux relations humaines. Mais il avait une aura, il dégageait quelque chose de bien différent. Seulement ça, Andrea ne comptait pas l'admettre. Et heureusement pour lui, il savait garder un contrôle presque parfait sur ses émotions, ce qui ne facilitait pas la lecture de celles-ci par les personnes qui s'y essayaient. Voilà qu'Orion s'installait à sa table. Il soupira en l'entendant prendre une micro-respiration, sachant d'avance qu'il allait ouvrir sa gueule. « je suis certain que je suis beaucoup plus fascinant que le travail que tu dois faire. Et en plus j'ai bonne réputation. Tu en as entendu parler, pas vrai ? » Et voilà, c'était reparti, il en remettait une couche. Il avait l'air d'avoir une bien haute estime de lui-même, et Andrea se demanda un instant si c'était réel, ou simplement une façade. Au fond, il s'en foutait. « Je m'en fous un peu de ce qui se dit. Ca m'intéresse pas » il dit simplement en parcourant du regard les pages de son bouquin. Il entendit Orion se lever et espéra que peut-être il en avait eu assez... mais il revint. Andrea essaya de ne pas réagir, mais il ferma les yeux un instant, exaspéré, le visage toujours baissé vers son livre. Au moins, Orion avait l'air occupé à lire quelque chose. Andrea espérait que cela le cultive un peu et que ça contribue à chasser la stupidité de son petit cerveau. « alors dis moi. Comment vas-tu ? » Visiblement, il préférait emmerder les autres. Andrea se demandait combien de temps ce petit jeu allait pouvoir durer avant que la bibliothécaire ne vienne lui dire de se taire. « Bien » Simple, efficace, concis. Il ne retourna pas la question, ça ne l'intéressait pas. C'était clair qu'il n'avait pas envie de parler, et pendant les minutes qui suivirent, il se remit à lire. Mais la présence d'Orion le gênait. Oh, il le faisait exprès, bien sûr. Il était là, à l'épier. Andrea n'avait qu'une envie, qu'il s'en aille. Et peut-être aussi qu'une petite part de lui avait envie de le provoquer, d'entrer dans son jeu pour voir ce qui se passerait ensuite. Il commença à ouvrir plusieurs bouquins, à les étaler sur la table et à envahir l'espace d'Orion. « Y'a plein de tables de libres là-bas. Tu veux pas y aller ? » il fit soudainement, relevant le regard et le plantant dans celui du jeune blond.

Le principal souci concernant Orion, c'était qu'à le voir, on avait presque envie de s'approcher. Il était magnétique, blond platine avec des yeux hypnotisants. Et le tableau tombait en poussière au premier mot sorti de sa bouche de sale gosse. C'était exactement ce qu'il était, et Andrea n'avait pas pour but de fréquenter quelqu'un comme lui, surtout lorsque ce quelqu'un avait du temps à perdre pour emmerder les autres. Les autres qui eux avaient assez de choses à faire pour s'occuper sans avoir besoin d'éléments perturbateurs. Andrea avait croisé la route de tout un tas de gens différents les uns des autres, mais au final, il y avait quelques profils, quelques catégories qui se distinguaient. Et Orion avait sa place dans l'une d'entre elles, c'était indéniable. Il ne se gêna pas pour lui faire savoir qu'il n'avait rien d'exceptionnel, qu'il était juste un autre petit idiot égocentrique à l'esprit limité. « tu es gay ? C'est ta façon à toi de me dire que tu aimes les hommes ? » Ca avait l'air de l'amuser, Andreale fixa un moment, son visage dénué d'émotion, si ce n'est l'ennui profond, et peut-être la lassitude. « Je préside une asso LGBT. Tu m'as entendu faire un speech sur le sujet. Et t'avais pas compris que j'aimais les hommes » il lâcha, le ton plat, ne comprenant pas exactement à quoi jouait Orion. Ils s'étaient rencontrés comme ça, dans le café où Andrea et ses collègues travaillaient régulièrement, et Orion ne s'était pas gêné pour lui faire part de son avis au sujet de ce que disait Andrea. « Et je suis pas gay » Une déclaration qui allait perturber son petit esprit limité, mais qui était entièrement vraie. Quand Orion vint le rejoindre à sa table et lui adressa la parole, Andrea répondit sans même lever la tête de son livre, exaspéré. Il tenta de ne pas donner l'option de continuer la conversation, mais Orion était plein de ressources. « je vois. Tu fais donc partit de ces quelques personnes qui ne s'intéressent pas aux potins ? Tu sais... Si t'écoutais un peu ce qu'on dit sur moi je suis sûr que ça te plairait. » Andrea se stoppa dans sa lecture pour simplement lever la tête. « Non » dit-il simplement avant de baisser la tête à nouveau pour continuer sa lecture. Il espérait vraiment que cet imbécile le laisse tranquille maintenant. Il pensait peut-être être un spectacle suffisamment intéressant pour qu'Andrea perde du temps en se penchant sur son cas. Et à vrai dire, peut-être qu'il était curieux, oui, mais il n'allait certainement pas l'admettre. Pas au point d'aller lire des articles à son sujet... ou de s'intéresser aux potins. « Tu as beaucoup de discussion Andy aujourd'hui. » Et non, Andrea n'avait pas envie de parler, surtout pas en se faisant appeler de cette façon. Ce surnom lui donnait envie de s'arracher la peau. Il ne répondit rien, cherchant à se convaincre que s'il faisait comme si Orion n'était pas là, il finirait par l'oublier. Mais à vrai dire, sa présence était étouffante et ne faisait que le déconcentrer. Il étala ses livres volontairement, pour envahir l'espace d'Orion, pour l'emmerder, parce qu'il avait beau chercher à ce qu'il le laisse tranquille, au final, lui aussi était du genre à provoquer. Il lui proposa d'aller s'installer à une autre table. Orion lui rit pratiquement au nez. « non j'ai envie de rester avec toi. Je me sens bien avec toi et puis nous sommes amis que je sache. » Et avec ça, il posa sa main sur celle d'Andrea, un geste étrange qui n'avait rien à faire là. A quoi jouait-il maintenant ? Sa main était douce et plus délicate qu'Andrea ne l'aurait cru. Il la retira presque immédiatement, visiblement gêné par le contact qu'il avait lui-même initié. Ca, c'était amusant. Et si Orion voulait jouer à ce genre de jeu, Andrea aussi pouvait s'y mettre. Certes, il n'était pas de nature très joueuse, mais parfois, l'envie lui venait. « Amis » il répéta, pensif. Andrea n'était peut-être pas le plus qualifié en relations humaines, mais il lisait plutôt bien en Orion, et il commençait à comprendre un peu quel genre de type il était. Et quel était son problème, surtout. S'il était là, ce n'était pas parce qu'il aimait passer du temps avec un mec qu'il n'appréciait pas, et c'était aussi en rapport avec sa réaction lorsque leurs mains s'étaient touchées. Du moins, Andrea ne pouvait pas en être sûr, mais son attitude donnait cette impression-là, et s'il entrait dans le jeu l'une des possibilités était que cela ferait fuir Orion pour de bon. L'autre option, c'était que cela confirme ce qu'il imaginait vaguement. Il se leva à moitié de façon à tirer sa chaise avec lui, et se glisser vers Orion, s'approchant de lui et se retrouvant assis à ses côtés, soudain très proche. « Alors. Tu lis quoi ? C'est bien ce bouquin ? » questionna-t-il, passant son bras derrière les épaules d'Orion pour le poser sur le dossier de sa chaise, effleurant un peu son dos. Un geste amical, qui ne voulait rien dire, pas plus que leurs mains l'une sur l'autre quelques instants plus tôt. Mais Andrea allait piéger Orion dans son propre petit jeu, et ça suffirait peut-être à le faire fuir. « J'pourrais te conseiller de bons livres, si t'aimes la litté... je connais des trucs. Entre amis, ça se fait » il proposa.

Sa vie jusqu'à présent avait été tellement marquée par ce simple détail, celui de sa sexualité, qu'il n'envisageait même pas qu'on puisse ne pas se rendre compte de ça au premier abord. Orion avait l'air de ne pas savoir, de ne pas avoir remarqué ou compris. Pour Andrea, c'était simplement impossible. Il avait beau se considérer comme n'importe quel autre mec, avait beau être convaincu qu'il était bien plus que son attirance pour les hommes... il était pourtant incapable de se détacher de cet aspect de lui-même. Ca faisait partie de son être, et de son histoire. Ca avait rythmé et écrit de longs et importants chapitres de son existence, et un paquet de choses lui était arrivé à cause de ça, purement et simplement. C'était devenu important, bien plus que ça ne l'avait été durant l'adolescence, durant les premières années, quand il était insouciant et un peu naïf. Quand il vivait sa petite vie en se disant que ce qu'il faisait lui avec son copain, ça ne pouvait pas impacter la vie de qui que ce soit d'autre, ni même les déranger. Il avait eu tort, en avait tiré quelques bonnes leçons. Et aujourd'hui, il était là à se battre nuit et jour pour défendre des gens comme lui, ou qui avaient des expériences à peu près similaires. Il était pratiquement le cliché parfait de l'activiste LGBT, et Orion lui demandait s'il aimait les hommes. Ca semblait être une blague. Il précisa tout de même qu'il n'était pas gay, parce que c'était la vérité, et il n'allait pas utiliser des mots incorrects pour se définir, simplement pour faciliter la vie de ce mec. « tu me dis aimer les hommes mais tu n'es pas gay... C'est insensé ! Tu aimes les hommes ou tu ne les aimes pas ? » Orion semblait être sorti tout droit d'une caverne, avec une idée du monde tellement stricte, au point que n'importe quel détail défiant un peu les lois de sa nature en devenait à ses yeux insensé. Pour Andrea pourtant, c'était la base, le plus simple à comprendre. « On peut aimer les hommes sans être gay. On peut aimer les hommes et les femmes... par exemple. C'est juste les préférences de chacun, c'est bien plus souple que gay ou hétéro... bref » il dit simplement, sans trop essayer de le convaincre non plus, parce que pour lui, ça ne servait à rien de perdre son temps et son énergie en mettant de faux espoirs sur le cas d'Orion. Après ça, il essaya de s'en débarrasser, cherchant à le pousser hors de la table, de lui indiquer d'autres endroits où se poser. Il restait courtois, autant que possible. Mais visiblement, Orion tenait à rester, au nom de leur amitié. « ouais c'est une personne avec qui on s'entend bien mais avec qui on ne nique pas. Comme toi et moi quoi. » Andrea l'ignora entièrement, il ne leva même pas la tête, ne fit aucun son, et n'arrêta pas sa lecture. Rien du tout. Au fond, il pensait encore à leurs deux mains, qui s'étaient touchées plus tôt, et à la réaction d'Orion. Aux quelques secondes électriques. Il décida de se lancer dans un jeu, et peut-être qu'ainsi il ferait fuir Orion, glissant sa chaise vers lui pour s'installer à côté du jeune homme. Son bras passa par ses épaules pour se poser sur le dossier de sa chaise, alors qu'il prétendait s'intéresser à ce qu'il lisait. Pour le coup, Orion fermait sa gueule, n'osait plus l'ouvrir, avait l'air tétanisé. Il tourna enfin son regard vers Andrea. « le Cid. De Corneille. Je n'aime pas personnellement. » Une réponse simple, il ne jouait plus, c'était amusant à voir. Andrea se demandait s'il n'avait pas de commentaire à faire, ou s'il n'osait pas. Il proposa à Orion de lui conseiller des livres, non pas qu'il soit réellement un grand lecteur mais il avait quelques références, quelques bouquins favoris. « pourquoi pas ouais... » C'était curieux, de le voir tout à coup si hésitant, pesant chacun de ses mots. Andrea n'avait jamais été très joueur, il préférait de loin l'efficacité dans tout ce qu'il faisait. Mais il y avait une part de lui, un peu plus malsaine, qui prenait plaisir à perdre et tourmenter ceux qui lui menaient la vie dure. Orion, il était terriblement agaçant, et si Andrea avait pu mettre le doigt sur une faiblesse, il allait l'utiliser, ou au moins jouer un peu avec. « Je croyais que ma présence te gênait... Finalement tu as changé d'avis à ce que je vois. » lança-t-il alors, et il semblait avoir ramassé ses couilles, il osait enfin se tourner vers Andrea pour lui faire face. Andrea, qui le fixait en retour, un sourire en coin s'étirant sur ses lèvres. Il avait encore de nombreuses cartes dans son jeu, et n'en avait pas fini avec Orion. Leur échange de regards dura un moment, longtemps. Et quand il reprit la parole, ce n'était pas pour répondre. « Ca s'appelle The Song of Achilles. Mon roman préféré. Faut aimer la mythologie, ce genre de trucs. C'est basé sur l'Iliade, ça raconte l'histoire d'Achille, et de Patrocle, son amant. Ca pourrait te plaire, y'a de belles scènes dedans » il détailla lentement en scrutant le visage de son interlocuteur, à la recherche d'une réaction. Il n'allait pas lui faire un dessin, se disait que le ton de sa voix était suffisant pour lui faire comprendre de quel genre de scènes il parlait. Il marqua un silence, curieux de laisser Orion seul avec ses pensées, de le laisser mariner un tout petit peu. « Ils l'ont peut-être ici » il reprit en indiquant d'un signe de tête les rayonnages de la bibliothèque. « Si tu veux le lire. Et me dire ce que t'en auras pensé » C'était à propos du livre, oui, mais pas seulement, pas exactement. Après tout, il restait Andrea, à défendre sa cause et essayer de changer le monde. Peut-être qu'Orion en penserait quelque chose de bien, peut-être que ça le rendrait moins con. Et Andrea resta là à le regarder en attendant sa réponse à son invitation.