Je m’enfermai de plus en plus sur moi-même depuis que William avait disparu et puis quand j’avais appris ensuite qu’il était en prison. Je savais que je tombais dans un cercle anxiogène mais je n’arrivais pas à remonter à la surface. J’avais l’impression d’être submergée par les évènements. Tout allait trop vite et tout semblait hors de mon contrôle. Cela ne faisait que contribuer à mon sentiment d’impuissance. Alec avait tenu à passer à la maison après un échange de sms. Je ne voulais pas embêter mes proches avec mes soucis, alors je préférais les taire. Mais cette fois, j’avais parlé et Alec n’avait pas hésité une seconde à venir m’apporter un peu de soutien. J’avais préparé quelques gaufres pour l’occasion, histoire de grignoter quelque chose autour d’une bonne boisson fraîche. J’avais installé la table sur la petite terrasse qui donnait sur l’océan. C’était bien une des seules choses qui m’apaisait en ce moment. L’océan. Quoi qu’il se passe lui était toujours là. Déchainant sa fureur ou faisant preuve d’un calme plat et serein.
 
Alec sonna à la porte d’entrée et je m’empressai de lui ouvrir. J’étais heureuse de le voir. Nos vies nous avaient happées et il s’était passé un moment depuis notre dernière rencontre. Il m’avait apporté des fleurs et une boîte de gâteaux.
 
« Merci Alec, c’est super gentil. Fallait pas, tu sais que tu es le bienvenu les mains vides ici. »
 
Je lui offris un sourire et lui déposai une bise sur sa joue avant de lui signifier de la main qu’il pouvait entrer. Je me dirigeai vers le salon où je récupérai un vase tandis que mon amie me questionna. Un rictus de douleur psychique s’afficha sur mon visage. Le mot prison me faisait toujours du mal. J’acquiesçai d’un hochement de tête. Je mets les fleurs dans le vase et me promis d’y mettre de l’eau plus tard dedans. Je m’assois sur le canapé et mon ami en fait de même. Je sens que ma gorge est nouée au moment où je veux lui répondre. Sans doute que Alec a compris que je suis envahi par l’émotion car il prend dans ses bras. Je pose ma tête sur son épaule et des larmes coulent silencieusement sans attendre son autorisation.
 
« Il y est à cause de moi. Il serait jamais en prison à l’heure qu’il est s’il ne m’avait pas connu. J’essaye de l’aider mais il me repousse. »
 
Je me recule de mon ami et essuie les larmes qui coulent sur mes joues du revers de ma main. Je dois avoir une tête affreuse. Mes yeux habituellement cernés par la fatigue, doivent avoir gonflé. Par quoi commencer ? Ma brève explication n’est pas toute l’histoire.
 
« Will est un ancien alcoolique, c’est pour ça qu’il ne boit jamais. Il a voulu jouer les héros avec Nate et il est parti l’été dernier au complexe pour essayer de ramener le témoignage de mon mari, Aaron. Il a réussi même s’il y a eu des complications … Après ça, je ne le savais pas mais il a replongé et je n’ai rien vu … Alec j’aurais dû voir qu’il avait rechuté et qu’il s’était remis à boire mais j’ai rien vu … » Je sentis les larmes me monter de nouveau aux yeux. « Il a opéré en étant soûle et a tué un jeune adolescent. Il a écopé d’une peine de prison de plusieurs années … Mais au départ je ne le savais pas. Il a disparu en janvier sans me laisser aucunes nouvelles. Du jour au lendemain. Puis y a deux mois j’ai eu un appel de la prison et c’était lui au bout du fil. »
 
Je me levai du canapé. Mes mains s’agrippèrent machinalement au bas de ma chemise. Je pris le vase et me rendis à la cuisine attenante au salon pour le remplir d’eau. J’avais entendu les pas de Alec me suivre. Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine. Je sentais la colère qui ne me quittait plus depuis des mois s’intensifiait.
 
« Il m’a avoué que ce qu’il avait vu au complexe lui avait vraiment fait prendre conscience de ce que j’avais vécu dans mon passé et ça l’a remué. Tout ça c’est de ma faute, Alec. S’il est en prison c’est à cause de moi … »
 
Je posai le vase sur la table de la cuisine et saisis un verre sale de la veille qui trainait. J’étais impuissante et ça me révoltait. Dans un geste totalement pulsionnel, je balançai le verre dans mon évier qui se brisa sous le choc et me mit à pleurer à grosses larmes. J’étais pathétique, je le savais bien.

Malgré la distance que je m’évertuait à mettre entre mes proches et moi, Alec continuait d’être là et avait décidé de me montrer son soutien en passant à la maison. Sous les conseils de sa petite-amie il était même arrivé avec un bouquet de fleurs et du chocolat entre les mains. Une tendre attention qui me toucha le cœur. Dans la cuisine, j’expliquai le pourquoi du comment à Alec concernant la situation actuelle de William. Mon ami tenta de me déculpabiliser en disant que rien n’était de ma faute, mais je n’arrivais pas à penser le contraire.
 
« Je me dis que si j’avais pas caché certaines choses, si j’avais fait les choses différemment … Il n’aurait pas voulu jouer aux héros et il ne se serait pas retrouvé enfermé en prison. Mais je pensais le protéger … »
 
Le ton de ma voix avait monté en décibels malgré les sanglots qui m’envahissaient. Je posais ma tête sur l’épaule de Alec. Je me rendais compte que d’être brise dans ses bras me faisait un bien fou. Je me rendais compte qu’il avait tenté de me parler des complications qu’il avait vécu lui aussi de son côté, mais trop prise par mes soucis je n’avais même pas relevé. Je me reculai légèrement, essayait mes larmes du revers de ma main et lui demandai.
 
« Est-ce que tu te sens plus libre aujourd’hui en sachant qu’ils ne sont plus là ? »
 
La secte dans laquelle il avait été semblait avoir été d’une plus grande violence que dans la mienne, même si aujourd’hui je doutais du peu de bienveillance que je pensais voir. Au fil du temps, au fil de mes thérapies, je découvrais que je me trompais sur beaucoup de choses concernant mon passé, sur les conditions de vie dans laquelle j’avais été élevée.