@Arlo Brown

Si il y a bien une chose que je m'applique à faire depuis que j'ai commencé les cours à l'université de Miami, c'est me faire la plus discrète possible. Pour cela rien de plus simple. Ne parler à personne ou presque. Ne jamais regarder quelqu'un dans les yeux. Ne pas participer durant les cours. Et tout un tas d'autres petits stratagèmes qui me permettent d'être une anonyme, un fantôme sur le campus. Mon cercle de connaissances est très restreint, à tel point que je peux compter mes "amis" sur les doigts d'une seule main. On pourrait d'ailleurs faire le raccourci de dire qu'à part Jihane, je n'ai personne d'autre, ce qui n'est pas si éloigné que cela de la réalité. Parfois seule, parfois avec elle, le but reste toujours le même, exister sans faire le moindre bruit. Aucune vague. Aucun drama. Mais, parfois, c'est comme si le destin, Dieu ou n'importe quelle forme divine voulait s'amuser à me tester, à voir si j'étais capable d'endurer encore et encore les petits coups de baton qu'il adore me distribuer depuis ma naissance. Aujourd'hui, lors de la pause du midi, j'ai eu la très mauvaise idée d'exister. Nous mangions tranquillement avec Jihane, à discuter de tout et de rien, en étant bien vigilantes à ne pas rire trop fort. Et quand il a fallu que je me lève avec mon plateau, je n'ai pas vu cette fille juste derrière moi. Le choc entre nos corps a été assez violent pour que son plateau tombe à la renverse, sous les rires amusés des gens autour de nous. Pardon, je suis désolée, j'vais t'aider à nettoyer. Ma proposition n'avait pas l'air de la satisfaire, comme en témoigne sa réponse pour le moins cinglante. Ecoute moi bien petite pétasse. T'es rentrée dans la mauvaise personne. Tu vois mes copines là bas ? On va toutes t'attendre à la sortie, et te faire la fête. T'as bien compris ? Alors que je suis totalement tétanisée, cette fille s'en va, me laissant plantée là, le corps tremblant comme jamais.

Il me faut l'aide de Jihane pour me sortir de la torpeur. Ses mots m'aident à rependre le contrôle de mon corps, et nous allons vite nous réfugier quelque part, à l'abri des gens. Elle avait vraiment l'air sérieuse cette fille, tu la connais ? Son sourire un peu gêné en dit long. De ce qu'elle sait, la fille en question fait partie d'un groupe de nans qui se prennent pour les caïds de l'université, et qu'il leur arrive occasionnellement de se battre avec d'autres filles. Ces propos ne me rassurent absolument pas. Comment je vais faire pour leur échapper ? Je pourrais demander à Gabriel de venir me chercher ce soir, mais je sais qu'il pourra pas se libérer car il travaille tard aujourd'hui. Je vais envoyer un message à Arlo. Arlo, c'est un homme que j'ai rencontré il y a quelques temps maintenant et dont je suis devenue proche. Mais attention, c'est très clair entre lui et moi vu qu'il en pince pour Rose qui est une très bonne copine. Si je devais résumer ma relation avec lui aujourd'hui, je dirai que c'est avant tout une rencontre, une personne qui m'a tendu la main à un moment ou je ne pouvais pas et ou j'étais seule chez moi. Très rapidement, je pianote un sms sur mon téléphone afin de lui demander ce service.

SMS :

Rapide, simple et efficace. Les heures qui ont suivi ont été tellement longues, surtout ne voyant pas de réponse d'Arlo. Lorsque la petite aiguille finit sa course sur le chiffre 5, je sais qu'il est l'heure de rentrer, et qu'il n'est pas impossible que je me retrouve en position foetale dans quelques minutes avec une bande de filles sauvages en train de me malmener. Jihane était déjà partie, la faute à une obligation familiale. Le hall ressemble au couloir des condamnés. Je n'entends plus rien, si ce n'est un bourdonnement désagréable. A travers la grande porte d'entrée, je distingue ma prédatrice, accompagnée de deux filles et d'un mec. Super, ça promet d'être violent... J'arrive à peine à respirer, me cachant derrière une rangée de casiers pour ne pas être vu. Et finalement, je vois qu'un peu plus loin, dans la rue, est garé la voiture d'Arlo. Il doit être tout proche. Je n'ai pas le choix, il va falloir que je sorte...