Cela faisait déjà une semaine que Dean avait élu domicile chez sa copine le temps de ses congés. En dépit d'une rupture de jeûne qu'il avait décidé de passer chez ses adoptants, ses soirées avaient été rythmées par la découverte d'une « vie à deux » encore jamais expérimentée jusqu'ici. Comme toute nouvelle relation, tout avait semblé couler de sources, comme si rien ne pouvait réellement s'interposer entre eux et le bonheur qui les envahissait. Pourtant, il avait suffit de cette soirée chez les Hassani pour découvrir que rien ne pourrait jamais être simple. Ils n'étaient déjà pas bien gâtés à cause des absences plus ou moins longues et répétées du militaire, mais pire encore : son ex-copine, et ex-amie de Yaël, avait gardé des liens très étroits avec sa famille.
Alors, pour beaucoup, cela pouvait paraître anodin, un détail minimaliste qui n'avait pas à engendrer plus de stress que ça. Seulement, la demoiselle Khouri et Dean avaient entretenue une histoire longue et intense, qui s'était soldée sur un échec brutal et fort en conséquences. Il avait mis un certain temps à s'en remettre, et la blessure avait été cicatrisée peu de temps avant qu'il ne décide de sauter le pas avec l'interne en médecine ; tout du moins, il aurait souhaité que ça soit le cas. Contrairement à ce qu'il avait pensé, la plaie était encore à vif, et il en avait pleinement pris conscience dès lors qu'il avait vue la demoiselle assise autour de la table de la salle à manger de ses parents ; comme autrefois.
Un chamboulement d'autant plus important que la relation qu'il avait commencé avec Yaël était basée sur la discrétion. Personne, - ou il aimait pouvoir le croire -, n'était au courant de ce qu'ils entretenaient en privé. Alors était-ce plutôt une bonne chose ? Ou est-ce que ça compliquait la donne ? Il ne savait quoi penser. S'il avait longtemps espéré que le temps leur permettrait de créer des bases solides et impénétrables, le retour de Zahra dans sa vie ne le rendait plus très sûr de cette conviction. Et ça avait été la tête comme prise dans un étau qu'il était retourné auprès de sa nouvelle compagne le lendemain. L'avait-il informée ? Il avait failli, mais l'hésitation et l'envie de la préserver l'en avaient rapidement dissuadé.
Heureusement, dans la journée du jeudi, un de ses plus fidèles amis avait eu la bonne idée de l'inviter, - pour la énième fois -, à passer la soirée dans un endroit où ils avaient souvent eu l'habitude de se retrouver jadis. S'il avait d'abord refusé, l'insistance de son « poto du collège », mêlée à la douleur ressurgissante du passé, eut raison de lui. Il en avait informé Yaël, et pour se faire pardonner de son absence du vendredi soir, avait décidé de prendre bien soin de Luna, la chatte de la jeune femme. Il avait remarqué quelques jouets mal en point et des boites de pâté manquantes. Il avait même tenté de lui prendre un bon bain avant son départ pour l'animalerie de Miami Beach, mais ça avait été sans la coopération du félin.
Quelques griffes sur le bras, il avait pris les transports en commun le matin même pour se rendre au magasin et y avait fait quelques emplettes. Des biscuits spéciaux s'étaient glissés dans le sac, ainsi qu'un paquet de litière pour un unique change, ce qui ajouta un certain poids. Si cela n'affecta pas le bras de Dean, habitué à soulever des dizaines de kilos, ce ne fut pas le cas des hanses du cabas. Pourtant réutilisable, et connu pour supporter diverses provisions, ce dernier lâcha sur le chemin du retour, avant même que le soldat puisse rejoindre la rame de métro. Les poignées dans une main, le sac à terre et les achats éparpillés sur le trottoir, l'asiatique soupira vivement avant de se baisser.
Il se mit à ramasser les produits les uns après les autres pour les empiler dans le fond du panier souple mais s'arrêta soudainement lorsqu'il crut entendre un passant s'adresser à lui. Il releva la tête, les sourcils interrogateurs :
vous disiez ? Mais aucune réponse ne vint à la suite de ces mots, comme si l'homme ne les avait pas perçus. Bon. Peut-être avait-il fait l'impasse sur son café, - ou sa dose d’anxiolytique - ? Dean haussa les épaules et reprit son rangement. Mais à peine quelques secondes plus tard, d'autres mots davantage étonnants s'échappèrent de ces mêmes lèvres. Plutôt que d'uniquement tourner le faciès, ce fut son corps tout entier qu'il dirigea vers celui à la barbe naissante :
est-ce que c'est à moi que vous vous adressez ?
LMLYD