Feat Eliam

« Toi, ici? »

Nous étions samedi après-midi, j'avais passé la matinée au labo, finissant mes recherches de la veille, et j'avais accepté l'invitation à déjeuner d'une collègue qui habitait dans le centre ville. Je venais tout juste de la quitter, et me dirigeait tranquillement vers un arrêt de bus. Il faisait beau, j'aurais très bien pu rentrer à pieds, mais je n'avais qu'une seule envie, rentrer et m'allonger. Cette dernière semaine avait été éprouvante, j'avais du être confrontée à plusieurs affaires en même temps et faire face à l'absence d'un collègue, arrêté après un accident de voiture. Il m'avait donc fallu rester le soir et venir travailler le samedi matin, afin de rattraper tout le retard pris. Lorsqu'il s'agissait de preuves, il valait mieux ne pas trop attendre, pour pouvoir retrouver le coupable, ou innocenter quelqu'un au plus vite. Mais le week-end était enfin arrivé, et j'allais pouvoir profiter de ce soleil magnifique, et pourquoi pas profiter de la plage, à quelques mètres de chez moi.

Je manquais de me faire renverser par un motard bien trop pressé, l'insultais de tous les noms, en grommelant comme à mon habitude. Et c'est là que je vis un groupe de jeunes sur un terrain de basket assez rudimentaire, en train de disputer un match. Je m'arrêtais quelques instant pour les regarder jouer, surtout que certains se débrouillaient carrément bien. Cela me rappela mon adolescence à Atlanta, où notre groupe disputait souvent des matchs contre d'autres gangs, matchs qui se finissaient toujours en baston. Je ne pus m'empêcher de sourire, même si cela avait mal fini, j'avais apprécié la vie en bande, c'était brut, mais c'était chouette, lorsque bien sur, personne ne venait vous mettre des bâtons dans les roues. Le ballon roula vers moi et je le renvoyais à l'un des jeunes, un grand métisse, avec des dreadlocks, qui me remercia avant de retourner avec son groupe. Mais c'est un autre gars qui attira mon attention. Son visage me disait quelque chose, mais impossible de savoir où j'avais pu le voir. Pourtant une partie de moi était persuadée de l'avoir rencontré, et même d'avoir su son nom. Je continuais de le fixer, sachant que ça allait me revenir, et le métisse dû le remarquer car il lui flanqua un coup de coude en montrant ma direction. Je m'appuyais sur la rambarde et en croisant son regard, cela me revint.

C'était à Atlanta, j'avais rencontré un garçon dans une boîte de nuit où je traînais, bien avant de sortir avec Mike. Lui et ses amis étaient en voyage scolaire et ils avaient fait le mur pour venir s'amuser. Après ça, nous nous étions revus pendant toute la durée de son séjour, me débrouillant pour être aux endroits qu'il visitait avec sa classe et me mêlant au groupe. Nous avions fait de nombreuses conneries ensemble, on s’entendait très bien et avions un peu le même caractère. Malheureusement le mien avait vite changé, mais j'étais toujours plus ou moins restée la même avec lui. Car nous nous sommes revus après cette folle semaine, il était venu en vacances avec ses parents plusieurs fois et nous avions recommencé nos folies. Sauf que tout s'arrêta plus ou moins de façon plus ou moins nette. Mike, qui me surprotégeait à l'époque, m'interdit de le revoir et brisa mon téléphone, anéantissant tout moyen de communication avec mon ami. Je ne l'avais jamais revu ensuite, Atlanta était beaucoup trop grande pour le croiser par hasard et je fis avec, oubliant ce garçon.

Je secouais la tête doucement, revenant à la réalité. Pourquoi serait-il ici à Miami? C'était peu probable que je le retrouve ici, surtout après tant d'années. Ce gras lui ressemblais, c'était tout. Je me redressais pour partir lorsqu'il s'approcha de moi. De près, c'était encore plus troublant. Alors, je tentais le tout pour le tout, espérant qu'il me reconnaisse, après tout j'étais blonde à l'époque, car je voulais passer inaperçue. "Eliam?" demandais-je, "C'est toi?".

Feat Eliam

« Toi, ici? »

Je n'en revenais pas. C'était bien lui, Eliam, il avait changé après tant d'années, mais certaines expressions de son visage ou certaines intonations de voix ne trompaient pas. Il était là, devant moi, assez curieux de savoir qui j'étais. Je vis qu'il cherchait puis c'est comme s'il fut frappé d'une évidence. Je lui souris, heureuse qu'il m'ait reconnue aussi, et surtout heureuse de le trouver là. Ces temps-ci, je retrouvais beaucoup de monde, comme si le hasard poussait les gens vers moi, ou moi vers les autres. Et c'était plutôt sympathique. J'avais pendant longtemps fait une croix sur mon passé, cherchant à tout prix à devenir une autre pour finalement me rendre compte que je ne pourrais rien changer à mon être. Certaines choses, certains drames étaient encrés en moi, gravés au fer rouge. Avec le temps, la peine et la douleur s'étaient effacés, mais j'avais du apprendre à vivre avec ces stigmates, qui avaient forgés mon caractère et ma personnalité. J'avais laissé ma couleur rousse reprendre ses droits, j'étais retournée flâner dans les rues le soir, je vivais à un rythme que je m'imposait. Et revoir ces personnes, sorties tout droit de cette période de ma vie que j'avais voulu raser me faisait le plus grand bien. Cela me rappelais sans cesse qui j'étais, et qui je ne voulais surtout pas être.

Sascha. C'est comme ça que je me faisait appeler lorsque j'avais rencontré Eliam. Je lui souris "Oui, c'est bien moi. Je t'avouerais que je ne m'attendais pas à de te voir ici" dis-je. "Comment ça va, depuis tout ce temps?" Il m'expliqua ce qu'il devenait. Cela me faisait tellement plaisir de le revoir, surtout que je n'avais jamais pu lui dire au revoir, ni lui expliquer les raisons de mon silence. "ça fait un bail quand même, on était même pas des ados" dis-je en riant, le regard pétillant de malice. Ce temps me manquait, on ne se souciait de rien, on n'avait même pas peur des conséquences, ni des gens en général. C'était un autre temps.

Feat Eliam

« Toi, ici? »

Ce fut une assez bonne surprise, moi qui ne pensais jamais le revoir de toute ma vie! Il avait l'air plutôt heureux et épanoui, enfin c'était ce qu'il voulait bien me montrer. Ou alors était-il tout simplement content de me revoir. Un grand sourire se dessina sur mes lèvres à cette idée. Après tout, retrouver un copain de jeunesse, c'était comme remettre la main sur un objet égaré depuis bien trop longtemps. Nous avions passé notre vie à faire la fête, écumant les boîtes d'Atlanta, changeant si on se faisait dégagé, essayant de pas se faire chopper par les videurs... Après ça, j'avais arrêté d'écumer les boîtes de nuits, écumant plutôt les bars, sous la pression de Mike.

Mais revenons à nos moutons, ce petit Eliam me posais des questions sur moi. Je ris doucement "Moi non plus, ma vie n'a pas trop changé, sauf que j'ai arrêté de fréquenter les boîtes, c'était un peu morne sans toi." Je souris quand il me dis qu'il était au collège à l'époque. C'est vrai qu'on avait bien grandis depuis, on avait surement pris des chemins complètements différents, mais je savais que ce lien resterais. "Ouais, c'est vrai, mais je suis toujours la même, une fille de la rue quoi" dis-je comme pour me moquer de ma propre situation. Je me demandais aussi e qu'il faisait là, à vrai dire, peut-être ses parents l'avaient-ils envoyés ici, mais vu notre âge, je doutais qu'il soit encore sous le joug de ses parents. "A vrai dire, j'ai cassé mon téléphone peu après ton départ, du coup, impossible de remettre la main sur ton numéro et ton nom de famille pour te retrouver, j'avais les boules je te jure!" J'avais fait l'impasse sur l'épisode Mike, mais rien ne servait de gâcher cet instant. "Un peu des deux, j'en avait marre d'Atlanta, trop de problèmes là bas, et j'ai trouvé un job ici. Et toi? T'es ici en vacances ou tu y habites?" J'avais vraiment hâte de savoir si j'allais pouvoir le revoir encore, et non pas juste le croiser une fois. Cela me changerait les idées si nous refaisions nos escapades nocturnes, rien qu'en souvenir du bon vieux temps. "On pourrait se refaire une virée un de ces quatre, je veux dire, si t'as le temps et l'envie bien sur!" Je ne voulais en aucun cas passer pour la reloue qui une fois qu'elle a retrouvé quelqu'un, se l'accapare. Loin de là. je voulais juste profiter de la vie, ce que je n'avais pas fait jusque là. Pas depuis notre rencontre. Ce que je regrettais de jour en jour.