a cuisine et moi, ça faisait deux. Voire trois. Je ne savais rien cuisiner, à part des pâtes, et encore : la plupart du temps, elles étaient immondes. J'avais cependant la chance d'avoir un colocataire adorable qui pensait en général à moi et me faisait toujours quelque chose à manger. Or, il n'avait pas pensé à moi aujourd'hui. Il était déjà parti lorsque je m'étais levé et il m'avait complètement oublié. Bah, je ne lui en voulais pas, je n'avais qu'à savoir cuisiner. Je n'avais jamais été très doué pour tout ce qui était manuel, et la cuisine me dépassait. J'avais constamment peur de mettre le feu à l'appart ou de gaspiller une quantité astronomique de nourriture. Ce n'était pas vraiment un atout de ne pas savoir cuisiner ; à peine savais-je faire cuire correctement une pizza. Vraiment, sans Blake, je ne me nourrirais que de bol de céréales.

Après avoir passé une matinée complètement contre-productive au travail, à jouer discrètement à des jeux en lignes quand mon patron avait le dos tourné et à traduire rapidement quelques mails. Mon travail était d'un ennui parfait. Je pensais souvent à me réorienter, peut-être reprendre des études qui me correspondraient mieux (mais lesquelles ? c'était la grande question) et changer de travail, mais j'avais peur de ne jamais en retrouver. J'avais déjà eu beaucoup de mal à obtenir celui-ci. À chaque fois, on me disait que je n'avais pas l'air sérieux, trop gamin. Je ne voulais pas risquer de ne me retrouver au chômage. Je pensais à tout cela quand fut l'heure de ma pause déjeuner. Comme d'habitude, mes ennuyeux collègues me proposèrent de déjeuner avec eux, et comme toujours, je déclinais. Vouloir me coltiner ces zombies quarantenaires le midi, alors que je me les tape toute la journée ? Non merci ! Je me mis donc en marche vers le fast-food le plus proche. Malheureusement pour moi, la queue y était immense. Super. Je n'avais aucune patience, surtout lorsqu'il s'agissait de manger. Je mourrais littéralement de faim, à cette heure-ci. Je me plaçai donc dans la queue, et remarquai que la personne devant moi ne m'était pas inconnu. « Salut, Marina » fis-je avec un grand sourire ironique. Nous avions une relation compliquée, elle et moi, même si autrefois, nous nous étions plutôt bien aimés. Mais cela était terminé, et maintenant, nous n'arrivions plus à nous voir en peinture. Néanmoins, j'aimais bien l'embêter un peu, quand je la croisais. « T'as enfin décidé de manger un peu ? Ça pourrait pas te faire de mal » continuai-je, le sourire aux lèvres. J'adorais lui lancer des piques. Je disais cela car elle était plutôt fine. En vérité, je la taquinais, vu qu'elle n'était pas hyper maigre non plus. J'avais hâte de voir sa réaction.

ela faisait longtemps que je n'avais pas vu Marina. Nous avions vécu quelque chose ensemble il y a quelques temps, quand je suis arrivé à Miami, mais à vrai dire je ne saurais pas vraiment qualifier ce quelque chose. Nous n'étions pas ensemble, mais nous passions juste pas mal de temps ensemble. Et on était proches. Je ne l'avais jamais aimé ; de toute façon, je n'avais jamais aimé aucune fille. Elle non plus ne m'aimait pas, je le savais. Au final, nous avions arrêté de nous voir car c'était limite si on ne se tapait dessus dès qu'on se voyait. Marina et moi étions presque des opposés : elle était assez distante, peu bavarde, bref, tout mon contraire, même si ces derniers temps, je commençais à lui ressembler un peu. J'étais plutôt plaisantin, bavard. Être avec elle m'avait fait plus de mal que de bien, en réalité. Et puis, de toute façon, on ne s'entendait plus. On avait passé des bons moments ensemble, mais les mauvais avaient pris le dessus. Peu après notre "rupture", nous nous croisions assez régulièrement, mais cela faisait bien un mois que je ne l'avais pas croisée. Peut-être lui était-il arrivé quelque chose ? Ç'aurait été étrange qu'elle ne sorte plus pendant tout ce temps. Ou peut-être n'avais-je pas eu l'occasion de la voir. En tout cas, je lui trouvais quelque chose de changé. Elle avait l'air… fatiguée. Et un peu triste.

Lorsque je l'interpellai, elle se retourna, une expression neutre sur le visage. « Salut Charlie » répliqua-t-elle simplement. Je devais l'admettre, c'était une fille très jolie. Elle avait des très fins et de magnifiques yeux bleus. Mais en plus d'être belle, elle dégageait quelque chose. Elle avait beaucoup de charme. Il se dégageait d'elle une sorte de nonchalance et une aura d'intelligence. « Toi en revanche... Je te conseillerais d'arrêter la junkfood... De tout évidence, ça ne te réussis pas » Je souris de sa réponse. J'étais cependant un peu surpris qu'elle ne m'envoie pas chier et qu'au contraire, elle rentre dans la plaisanterie. Avant, elle m'aurait sans aucun doute ignorer. Bizarre, mais pas désagréable. C'était mieux de se taquiner mutuellement. « Bah, tu sais, j'arrive toujours à plaire, donc ça ne doit pas être si terrible… » répliquai-je, un petit sourire aux lèvres. La queue n'avançait pas beaucoup, nous allions en avoir pour assez longtemps. Autant engager la conversation, car l'attente serait longue. « Alors, ma chère et douce Marina, comment va la vie ? Toujours aussi chaleureuse qu'une porte de prison ? » continuai-je, en prenant mon air sarcastique. Je faisais là référence à sa froideur habituelle.

e lancer des piques dès que nous nous croisions était presque devenue une tradition, un passage obligatoire. Je n'étais pas le genre de gars à détester les gens ; je n'aimais pas les embrouilles et par conséquent, j'essayais d'être bien avec tout le monde. Marina, ce n'était pas que je la détestais ; je ne pouvais décemment pas dire ça, vu qu'autrefois, je l'aimais vraiment bien. Mais nous avions des caractères diamétralement opposés et nous ne pouvions que nous disputer dès que nous nous voyions. Enfin, là, je n'étais pas d'humeur, et elle non plus apparemment, donc nous nous contentions de nous lancer quelques taquineries. En fait, quand je me disais que nous étions sortis ensemble (en quelque sorte), je me demandais ce qui m'était passé par la tête.  « Ah oui ? Et quel genre de fille arrive-tu à séduire avec une tête pareille ? » Je souris. « Toi, à une époque. Et d'autres filles beaucoup plus intéressantes que toi » répondis-je d'une voix calme et avec un ton malicieux. C'était vrai que je multipliais un peu des coups d'un soir, et aucune fille ne m'intéressait réellement. Enfin, il y avait bien Nessa, mais je savais qu'elle n'était pas prête pour s'attacher à quelqu'un. Et moi non plus, d'ailleurs.

Je lui demandai ensuite comment allait sa vie. « Euh elle est perturbante » Hm. C'était vrai qu'elle avait l'air un peu étrange, un peu perdue. Quelque chose avait changé dans son regard. Mais je me gardai bien de lui dire. Elle ne se confierait jamais à moi et je n'aurais pas su la conseiller. Nous n'étions pas assez proches pour cela, ç'aurait été trop étrange. « Je ne sais pas, à toi de me dire » répliqua-t-elle lorsque je fis allusion à son habituelle froideur. Je pris un moment avant de lui répondre. « En fait, je ne te trouve pas au mieux de ta forme. T'es limite gentille, voire sympathique. Ça ne te ressemble pas du tout » fis-je d'un ton sérieux. D'habitude, ses remarques étaient glaçantes et franchement méchantes. Là, par comparaison, elle était très agréable. « Et toi ? Toujours aussi naïf et puéril qu'un enfant de cinq ans ? » C'était exactement ça qui nous différenciait. Moi je la trouvais froide, elle me trouvait trop immature. Mon sourire s'élargit. La situation m'amusait beaucoup. « T'inquiète pas pour moi. Je m'améliore ». Avec ma dépression qui s'était énormément aggravée ces derniers-temps, ma naïveté et tout ce qui me définissait auparavant étaient en train de disparaître petit à petit. Mais bon, elle ignorait tout de cela et je n'avais pas envie de mettre ça sur le tapis. La queue avança d'un coup. « Tu fais quelque chose après ? Je veux dire tu es pressé là ou pas ? » me demanda-t-elle. Mes yeux s'ouvrirent en grand. Alors là, très clairement, quelque chose ne tournait pas rond. « Euh Marina, là je t'avoue que je ne te reconnaît pas du tout ! Enfin, je n'ai rien de mieux à faire, donc magnanime j'accepte ta demande » répondis-je jovialement. Le serveur prit ensuite ma commande, et Marina alla s'installer. Lorsque je la rejoignis, elle avait déjà entamé son hamburger. « Sérieusement, Marina, j'te trouve bizarre. Mais genre réellement, pas juste parce que t'es gentille. Y'a un truc qu'a changé chez toi » fis-je en avalant une frite. Je n'avais pas un ton compatissant ni rien. Je savais parfaitement que je n'étais pas le mieux placé pour écouter ses confidences, mais bon, ça me perturbait vraiment. Elle avait tellement changé ! « T'étais passé où, ces derniers mois ? ».

arina avait beaucoup changé, depuis la dernière fois que nous nous étions vus, mais je n'aurais pas pu dire précisément en quoi. Certes, ses remarques étaient moins incisives qu'à l'ordinaire ; mais il y avait autre chose, un truc que je n'arrivais pas à définir. Marina, c'était le genre de fille qui restait mystérieuse en toute circonstance. Elle n'en disait jamais trop. Elle faisait toujours attention à tout et vous pouviez passer des journées entières avec elle sans parvenir à la définir. La jeune femme n'était ni gentille, ni méchante ; elle n'était pas non plus sympathique mais on ne pouvait pas dire qu'elle était franchement désagréable. En fait, il était plus facile de la décrire par ce qu'elle n'était pas, à défaut de pouvoir dire ce qu'elle était réellement. En plus, j'avais conscience que pour elle, tout n'était qu'un jeu d'apparence. Ce que les autres pouvaient voir d'elle était en réalité ce qu'elle voulait qu'ils voient. Du coup, j'étais vraiment perdu face à son « nouveau caractère ». Cela faisait très longtemps que je l'avais vue et elle avait radicalement changé. Une question se posait alors : que s'était-il passé pour que ce changement s'opère ?

Marina me lança néanmoins quelques taquineries, signe que sa réelle personnalité n'avait pas complètement disparu. Elle s'était tout au plus un peu effacée. Elle soutint qu'elle n'avait été avec moi que pour embêter son père et que je mentais en disant que j'avais trouvé plus intéressante qu'elle. C'était évident que je mentirai si je disais qu'elle ne l'était pas. Mais le temps avait passé et elle ne m'intéressait plus autant qu'auparavant. « Tu serais surprise de voir le nombre de filles qui sont comme toi, à jouer les grandes dames froides et mystérieuses » continuai-je avec mon ineffaçable sourire insolent. Je lui fis ensuite remarquer que sa gentillesse me troublait, et elle me demanda si cela était mal. Bien sûr que non ! C'était même fort agréable d'être en face d'une vraie personne. Parfois, quand nous étions ensemble, j'avais l'impression qu'elle était plus morte que vivante. Alors que là, je pouvais presque sentir un soupçon d'humanité au fin fond de son être. Ce qui était déjà un gros progrès. Preuve en était qu'elle me proposa ensuite de manger avec elle. J'étais surpris, je devais l'admettre. Cela ne se serait jamais produit auparavant. Mais cela me mit encore plus la puce à l'oreille ; quelque chose s'était forcément produit. Avait-elle eu une révélation ? S'était-elle rendue compte que son comportement la menerait droit en enfer, et essayait-elle de se racheter ? Ou alors, était-ce quelque chose de plus grave qui expliquerait aussi son absence prolongée ? Je me faisais sûrement des idées. Nous nous essayâmes à une table et je lui fis part de ma stupéfaction. « À ce point ? » dit-elle, assez étonnée. Sa remarque me laissa supposer qu'elle avait conscience de n'être plus tout à fait comme avant. Elle avait une expression assez étrange sur le visage, un mélange de tristesse et de surprise. Je venais d'entrer en terrain miné, aussi décidais-je de calmer un peu le jeu. Je ne voulais pas la braquer. « Oui, mais c'est une bonne chose, ceci-dit. J'aime beaucoup plus la nouvelle Marina que l'ancienne. Néanmoins, je me demande ce qui s'est produit pour que tu changes à ce point... Rien de grave j'espère ? » demandai-je d'un ton faussement innocent. En vérité, j'étais assez curieux, mais je savais qu'elle ne me dirait rien. Nous n'étions pas assez proches pour cela, et puis, nous étions sensés nous détester. Même si cela ne semblait plus d'actualité. « Alors, quoi de beau, toi, dans ta vie ? ». Elle cherchait à changer de sujet, signe de c'était VRAIMENT un terrain miné. Je décidais de suivre sa direction. Si elle ne voulait pas en parler, je la comprenais. Mais je ne savais pas trop quoi lui dire, ma vie n'étant pas franchement excitante. Et je me voyais mal lui parler de mes soucis d'ordre psychologique. Je n'avais pas envie qu'elle me voit comme un gros cinglé à la vie minable. « Bah... Pas grand chose au final. Sans toi, ma vie n'a aucun sens, je pensais que tu le savais » répondis-je d'un ton ironique. « Je pense à me réorienter, changer de métier et tout. Pendant que ce n'est pas trop tard ». Je pensais effectivement à me rediriger vers l'enseignement, mais ce n'était qu'une idée comme ça. Je croquai dans mon hamburger. « Et toi ? La forme ? T'as l'air fatiguée, si tu veux mon avis ».