e travail, ça n'était pas fait pour moi. Je l'avais toujours su, ceci étant dit. Au lycée, je passais mon temps à sécher les cours et à me ramener complètement défoncé en cours. Un vrai gamin. Plus jeune, j'étais du genre hyperactif, et rester assis pendant des heures à écouter un type déblatérer m'était clairement insupportable. Et les devoirs… Je n'ai pas le souvenir d'en avoir fait un seul au cours de mes années lycées. À l'université, j'étais un peu plus sérieux, mais j'étais toujours dissipé. Et maintenant que j'étais entré dans le monde du travail… Je n'avais certes plus de devoirs à rendre, mais je détestais mon job. Interprète, mais pourquoi est-ce que j'avais fait ce choix ? Quelle idée saugrenue m'était passée par la tête ? Je m'ennuyais ferme tous les jours. Je passais mon temps assis à un bureau, à traduire machinalement ce qu'on me disait ou ce qu'on me donnait, et je devais par-dessus le marché supporter mes horripilants collègues à chaque pause cigarette. C'était un métier routinier. Chaque jour se ressemblait, sans aucune distinction. J'avais vraiment besoin de changer.

Cela faisait quelque temps déjà que je songeais à me réorienter. Je ne pourrais pas supporter longtemps mon métier actuel, et à mon âge, il n'était pas encore trop tard. Restait à savoir quelle branche j'allais choisir. Pour le moment, je pensais à l'enseignement. Depuis mon arrivée à Miami, je donnais des cours de français à des ados, des sortes de cours de soutien. Et bizarrement, ça me plaisait pas mal. Déjà, il y avait du contact, et puis c'était à chaque fois différent. En plus, se sentir écouté est une sensation assez flatteuse pour l'ego. Pourquoi ne pas passer au stade au-dessus, après tout ? Devenir prof dans un collège. Je n'aurais pas vraiment aimé être prof au lycée, parce que bon, je ne faisais guère plus âgé que les élèves… Le problème, c'est que je ne savais absolument pas quelles études choisir et si oui ou non ce métier me plairait. Car il y a quand même une différence non négligeable entre avoir un seul élève en soutien et être en face d'une classe entière de gosses insupportables. Je m'étais décidé, ce jour-là, à avoir une discussion avec le seul professeur que je connaissais. J'avais dans l'espoir qu'il puisse m'aider dans ma décision. Le seul bémol, c'est que cette personne, c'était Dawson. Croyez-moi, j'aurais aimé avoir affaire avec n'importe qui plutôt qu'avec lui. Je savais très bien qu'il me voyait d'un mauvais oeil parce qu'il pensait que j'étais quelqu'un de mauvais. Il m'avait vu avec Nessa, et comme c'était son tuteur légal, il était compréhensif qu'il me considère égal à tous les autres types peu recommandables que Nessa fréquentait. Le plus perturbant était que nous avions, à un ou deux ans près, le même âge. Bref, j'aurais beaucoup aimé connaître un autre professeur, mais malheureusement, il était le seul.

Je m'étais donc rendu dans l'école où il travaillait. Peut-être qu'aller le voir était une très mauvaise idée, mais bon, y aller au culot était une de mes spécialités. De toute façon, je considérais que mon avenir était plus important que ces petites histoires. Arrivé devant sa salle, je distinguais sa silhouette à travers la vitre de la porte. J'hésitais un long moment. Et s'il me rembarrait ? Je n'abusais pas en me présentant ainsi sur son lieu de travail ? Bah. Peut-être qu'il comprendrait qu'au fond, je n'étais pas un si méchant type. Je toquai à la porte, et attendis qu'il vienne m'ouvrir. Je craignais un peu la réaction qu'il allait avoir à me trouvant derrière la porte.  

n m'ouvrant la porte, et vu la tête qu'il fit en me voyant, je pus de suite deviner que je n'étais pas le bienvenu. Pour une raison que j'ignorais, cela m'agaça. J'avais les nerfs à vifs en ce moment, et la moindre chose suffisait à m'énerver. J'en avais déjà fait l'expérience ; l'autre jour, j'avais carrément insulté une fille dans l'ascenseur alors que celle-ci ne m'avait même pas adressé la parole. Sa tête ne me revenait pas, c'était son seul mal. Cela ne me ressemblait pas du tout. Auparavant, j'étais un type sociable, aimable, et plutôt populaire, je devais l'admettre. Qu'est-ce qui ne tournait pas rond dans ma tête ? Je me reconnaissais de moins en moins, ces derniers temps. Je devenais de plus en plus désagréable et sec, et mes pensées devenaient de plus en plus sombres. À m'en faire frissonner, à vrai dire. Les anti-dépresseurs ne semblaient plus faire grand effet ; vu la dose que je prenais chaque jour, mon corps devait s'y être habitué. Cela signifiait que j'allais devoir retourner chez le psy et lui faire un petit speech afin qu'il me redonne des médicaments plus fort. Il n'y avait plus que ça qui m'empêchait de faire une connerie. Une grosse connerie.

Au fond, la seule personne qui me faisait sentir "normal", c'était Nessa. J'avais tellement envie de la protéger, de l'aider...! L'empathie que je ressentais à son égard m'évoquait le Charlie que j'étais il y a à peine cinq mois. Avec elle, j'étais... différent. Mes soucis s'envolaient. Les quelques jours que j'avais passé au Mexique avec elle avaient littéralement été des rayons de soleil au milieu de mon obscure vie. Et je crois qu'elle aussi ressentait cela. On ne s'était pas pris la tête pendant ces quelques jours. Nos trois mots d'ordres avaient été : sexe, drogue, alcool. Un programme bien chargé mais fort agréable. Enfin, Dawson devait ignorer tout cela, sans aucun doute. Je comprenais que Dawson se méfiait des relations de Nessa, mais je ne comprenais pas pourquoi il se méfiait de moi en particulier. Je connaissais quelques uns des mecs avec qui Nessa avait l'habitude de traîner, et même physiquement, ils avaient l'air de petits voyous. Tandis que moi, j'avais juste l'air d'un ado attardé et complètement paumé. Après, le fait que j'étais à peine plus jeune que lui pouvait le rebutait, et ça, je pouvais le comprendre. Mais pourquoi était-il si... sec, parfois ? Les gens en général sentaient que quelque chose n'allait pas chez moi. Peut-être que lui aussi.

Dawson m'accueillit avec une chaleur humaine digne d'une porte de prison. Venant de lui, le contraire aurait été étonnant. « Je vais finir par appeler ça du harcèlement » Je serrai le poing, sentant une vague colère monter en moi. « Qu'est-ce qui t'arrives encore ? Si cette fois-ci c'est pour me demander la main de Nessa oublies. Et si c'est pour sortir avec elle ce soir, oublies aussi » continua-t-il d'un ton mi-sec, mi-ironique. Je serrai mes poings encore plus fort, faisant blanchir mes phalanges. Dawson n'avait pas été foncièrement désagréable et sa réaction était compréhensible, mais je me sentais franchement agacé. Je mis cela sur le compte du manque de sommeil. Néanmoins, je me calmai, avec un peu de difficulté. J'espérais que Dawson ne s'était rendu compte de rien. Ce n'était pas contre lui, mais j'avais du mal à gérer mes émotions, ces temps-ci. « Non, je ne viens pas vous parler de Nessa. Il n'y a pas qu'elle dans ma vie » fis-je en adoptant le même ton que lui. Un sourire se forma sur mes lèvres, le genre de sourire qui donne envie de frapper la personne. Un sourire de tête à claque. « En fait, je viens vous parler à vous, en tant qu'homme, et pas en tant que tuteur légal » continuai-je. « J'aimerais me réorienter, en fait. C'est une bonne situation, professeur ? ». Je n'arrivais plus à me débarrasser de ma tête à claque et de mon ton agaçant. J'avais envie de me mettre des baffes, mais c'était plus fort que moi, je voulais entrer dans son jeu.