Ça n'allait pas. Ça n'allait pas du tout. J'aimais pas dire ce genre de trucs parce que très franchement, j'étais pas du genre à déprimer. J'étais toujours plein d'énergie, le sourire aux lèvres, amusé pour trois fois rien. J'allais de l'avant, quoi. J'avais toujours pensé que rien ne pouvait m'atteindre. Et chaque fois que ce n'était pas le cas, je me sentais très faible. Je ne m'étais senti comme ça qu'après ma "rupture" avec Andrea. Et maintenant. Ouais, j'avais clairement les boules. J'étais anxieux, inquiet, j'avais peur. Ça n'allait pas avec Hannah et en conséquence, rien n'allait correctement dans ma vie. J'avais la rage contre tout le monde et contre moi-même aussi. J'aurais pu cogner n'importe qui tant j'étais énervé. J'avais tout fait foiré avec Hannah et franchement, j'avais peur que le pire n'arrive. D'ordinaire, je me serais battu comme je l'avais fait maintes et maintes fois pour me rattraper. Je me serais excusé, je l'aurais limite harcelée pour qu'elle me pardonne. Mais là, que pouvais-je faire honnêtement ? J'étais fatigué. J'avais envie de frapper Mathias. Sans ce petit con là, rien ne serait arrivé. Pourquoi était-il entré dans ma vie, bordel de cul ? Pouah. Dire que c'était une fille qui était à l'origine de mon état. Qu'est-ce qui m'arrivait ? J'étais foutrement en train de tomber amoureux d'elle, y'avait pas à dire. On aurait pas dit comme ça, mais j'étais un petit sensible. Hannah avait réveillé cela chez moi. Je l'aimais comme un fou mais elle me détestait. Triste réalité. Le pire, c'est qu'elle avait parfaitement raison, et c'était sûrement pour cela que je ne ressentais pas le besoin de me battre. Aucune excuse ne pourrait faire diminuer la colère qu'elle éprouvait contre moi. Tant que je ne laisserais pas tomber les barrières que j'avais pris soin de poser entre elle et moi, les choses ne s'arrangeraient pas.

Alors oui, c'était le bordel dans ma vie. J'avais vu Hannah quelques jours auparavant, afin que nous puissions nous expliquer, et ça c'était très mal passé. En même temps, je m'attendais à quoi ? Qu'elle m'accueille à bras ouverts ? Mais il fallait que je me fasse une raison, ça, c'était du passé. Quand elle n'avait pas encore découvert à quel point je la prenais pour une imbécile avec mes mensonges à trois francs six sous. Le pire dans l'histoire, c'est que j'étais sûr que nous en passerions par là à un moment ou un autre. Qu'elle allait découvrir mon passé, ou du moins une partie de celui-ci, et qu'elle allait m'en vouloir. Je le savais. Mais j'avais pris ce risque parce que bordel, j'étais fou d'elle. J'étais en train de me prendre une claque monumentale dans la tronche, mais bizarrement, c'était comme si je m'y étais attendu depuis bien longtemps. C'était presque un soulagement de me dire qu'au moins, je n'avais pas eu à lui dire moi-même que j'avais eu une relation avec Mathias et que j'étais bi. Parce qu'honnêtement, je n'en n'aurais pas eu le cran. Je n'étais pas un lâche, sauf en ce qui concernait ma vie privée. Bref, c'était la grosse merde dans ma vie et dans ma tête. Ça faisait longtemps que je m'étais pas senti aussi mal, tiens. Depuis Andrea, en fait. Pourquoi est-ce que j'm'entêtais à tomber amoureux de gens pour ensuite souffrir comme un débile ? Pourquoi est-ce qu'au fond je croyais si désespérément en l'amour ? Rah. J'avais repris l'héroïne. Un sacré pas en arrière, vu que j'avais arrêté trois ans auparavant. J'avais été accro à cette connerie de mes quinze à mes dix-sept ans et je pensais en être définitivement sorti, mais les vieux démons finissent toujours par réapparaître, peu importe à quelle profondeur tu les enterres au fond de toi. Je passais la moitié de mes journées hagard, le regard dans le vide, les neurones bousillés par la drogue. Juste pour ne plus penser et refouler mes émotions au fond de moi-même, comme je l'avais toujours fait. J'avais juste un peu plus de mal ces temps-ci, car la tristesse et la colère que je ressentais étaient très forts. Cet après-midi là, une affaire m'attendait en ville. Par affaire, j'entendais évidemment : vente de drogue. Bizarrement, c'était quand moi-même je me remettais à l'héro que l'on m'en demandait beaucoup. J'avais fait ma petite vente et je rentrais chez moi, à pied. J'marchais pas spécialement droit. J'étais salement défoncé. J'avais l'impression d'être de retour trois ans en arrière, quand j'habitais encore au Mexique et que je passais mes journées ainsi, le cerveau embrumé, avec mon groupe de potes. Je marchais tranquillement quand je croisais un homme dont le visage ne m'était pas inconnu. Je l'interpellais. « Hey, toi ! » Ma voix était rauque, traînante. L'homme se retourna. Mon dieu, pas lui. Il ne manquait plus que ça. Je l'avais vu sur des photos chez Hannah et je l'aurais sûrement reconnue entre mille. Je m'approchais de lui. « Oh bordel, tu s'rais pas Eliam toi ? Bordel de merde, qu'est-ce que tu fous là ? T'es pas le bienvenu » grondai-je. Mon état me faisait dire n'importe quoi, mais il était clair que je ne portais pas ce type dans mon coeur. Déjà pour ce qu'il avait fait à Hannah et aussi parce qu'avec tous les soucis qu'on avait en ce moment, le retour d'Eliam n'était pas un heureux évènement.

J'étais pitoyable. Je ne me reconnaissais plus du tout. J'aurais dû poster une petite annonce dans le journal de la ville, histoire de savoir si quelqu'un n'avait pas retrouvé l'ancien Bellamy Frobisher, celui qui gardait le moral coûte que coûte et qui se battait constamment. Parce que je n'étais plus celui-là. J'étais faible. Faible, faible, faible. Ce mot tournoyait dans ma tête. Je le détestais. J'avais tout fait pour devenir quelqu'un de fort, j'avais tout fait pour apprendre à refouler mes émotions, à me comporter comme une petite racaille que je ne suis qu'à moitié, à me construire une parfaite carapace autour de mon coeur, tout ça pour qu'Hannah débarque et détruise absolument tout. Au début, je pensais que c'était ce qu'il me fallait. Qu'il fallait qu'elle me sorte de la prison dans laquelle je m'étais moi-même enfermé. J'étais au fond d'un trou profond, immense, et Hannah me tirait vers le haut. Mais elle m'avait lâché et l'atterrissage avait été douloureux. Je ne pouvais même pas lui en vouloir. J'aurais agi de même, à sa place. J'étais le fautif, je n'avais donc pas à me plaindre. Je devais encaisser et assumer, comme je l'avais toujours fait. Mais là, tout était plus compliqué, parce que justement je n'avais plus ma petite carapace bien confortable pour me protéger. Et merde. Pourquoi j'avais cru que tout finirait bien ? Pourquoi j'avais eu l'audace d'espérer ? Bordel, c'que je pouvais être con. Après vingt ans de vie j'avais toujours pas compris que ça servait à rien que j'essaie, parce que ça marchait jamais. Jamais.

Et puis voilà que j'croise Eliam Caldas-Moore dans la rue, à Miami, alors qu'il s'est barré on ne sait où y'a quelques temps. Le premier amour d'Hannah débarque en ville au moment où rien ne va plus entre nous. Allons donc. Coïncidence ou non ? Je n'en sais rien. La drogue renforce ma paranoïa. Je me sens mieux et beaucoup plus mal à la fois. Je suis dans une sorte de nuage cotonneux, je suis là et pas là en même temps. Une partie de moi est très loin et ne pense pas à ce mec-là, cette partie a envie de tout plaquer et de retourner s'enfoncer une aiguille dans le creux du coude. L'autre partie en revanche est présente, l'autre partie souffre de voir que c'type est là, ce type tellement mieux que moi, tellement plus sain et tellement mieux pour Hannah. J'suis jaloux d'ce qu'il a pu vivre avec Hannah, mais j'le déteste parce qu'il l'a abandonnée. Il a même pas su se rendre compte de la chance qu'il avait d'être avec une fille pareille et il s'est cassé comme un couillon. J'l'aime pas. Mais je suis trop défoncée pour pouvoir dire pourquoi. L'héro me brouille tous les neurones. Ça me fait comme une vague de chaleur à l'intérieur de mon corps, j'comprends plus grand chose. C'est comme si mon cerveau roulait dans le vide. Il essaie de faire les connexions, il y essaie comme il peut, mais j'continue à entraver que dalle à la situation. J'demande à l'énergumène en question si c'est bien lui Eliam et surtout c'qu'il fout ici. Parce que s'il compte ruiner ma vie et me voler Hannah, j'allais l'empaler sur une grille. J'aurais aimé lui dire ça mais j'ai la bouche pâteuse et aucun bruit ne sort. J'comprends rien et la situation s'arrange pas quand cet abruti me saute dessus et m'fais un putain d'bisous. « Eh dégage de là, sale petit con » Il lui prend quoi ? Ça m'énerve. J'veux pas qu'il me touche. J'veux plus qu'aucun mec me touche. Andrea, Mathias, ils m'ont déjà causé trop de soucis. Alors j'essaie lui écraser mon poing sur la tronche mais il se recule et j'y arrive pas. « Comment tu m'connais en faîte? Tu m'dis rien » Il m'connaît pas et c'est bien normal, comment aurait-il pu ? J'ai envie de l'éclater, sa tête me revient pas. J'me dit que si il avait pas tout foiré il serait encore avec Hannah à l'heure qu'il est et ça m'fout la rage. J'remercie l'ciel qu'il ait déconné. « J'suis l'copain d'Hannah. Tu sais, la meuf que t'as abandonné comme le gros enculé que t'es et qu'a souffert à mort après. Mais bon ça j'pense que tu t'en fous, sinon t'aurais au moins pris de ses nouvelles. Mais nan, t'en as rien à foutre » J'suis soulé. J'suis pas d'humeur mais il m'énerve. J'comprends rien à ce que je dis. « T'es un petit con, Eliam Caldas-Moore. J'te conseillerais de ne surtout pas t'approcher d'elle. Elle a pas besoin d'toi, elle se remet et la fait pas replonger ou t'auras affaire à moi ».