La journée s'annonçait, encore une fois, très chaude. La température à Miami était élevée depuis quelques jours et avec la pollution, l'air devenait presque irrespirable. Néanmoins, habitué à la chaleur étouffante et sèche du Mexique, je me sentais à mon aise sous cette température. Les cours étaient terminés depuis fin juin mais je m'étais inscrit aux cours d'été, à l'université. En effet, mes notes, bien qu'étant en légère progression, restaient bien basse. J'avais eu beaucoup de mal à m'habituer aux cours, au début de l'année dernière. J'avais arrêté l'école à mon entrée au lycée ; j'avais seulement du faire deux ou trois de mon année de seconde et je n'y étais plus allé. Je m'étais toujours demandé pourquoi ma mère m'avait laissé faire et n'avait pas insisté plus que cela. À sa place, j'aurais attrapé mon fils par la peau des fesses et je l'aurais traîné, qu'il le veuille ou non, jusqu'au lycée. Mais à cette époque, ma mère était plus que débordée avec mes sœurs, ses grossesses coup sur coup et mon père qui ne revenait jamais à la maison. Bref, j'étais sûrement le cadet de ses soucis. Elle me trouvait débrouillard et indépendant, et elle devait penser que malgré mes quinze ans, je pouvais me gérer seul. Au final, je m'étais bien dépatouillé pour survivre mais les cours n'avaient pas été ma priorité. En arrivant à Miami, l'été dernier, j'avais eu l'envie soudaine de reprendre ma vie en main avant qu'il ne soit trop tard et j'avais passé les tests d'admissions à la fac. Et miraculeusement, j'avais été pris, moi, l'étranger qui n'avait même pas été au lycée et qui parlait à peine anglais ! Je n'en n'étais pas revenu. Mais forcément, après tant d'années à traîner dans les rues plutôt qu'à être en classe, ça m'avait fait tout drôle de me retrouver d'un coup coincé entre quatre murs, dans cette salle vaste où je ne comprenais qu'un mot sur trois du cours.

Mes profs avaient bien cernés mon problème. J'étais capable d'avoir de bonnes réflexions mais mes devoirs manquaient globalement de structures et de méthodes. J'avais aussi besoin d'acquérir du vocabulaire et d'améliorer, plus généralement, mon anglais. Je comprenais parfaitement, je me débrouillais pas mal à l'oral même si mes tournures n'étaient pas très recherchées mais j'étais une quiche à l'écrit. Je cherchais souvent mes mots, car ils ne voulaient pas sortir aussi naturellement qu'à l'oral, les vilains. Aussi on m'avait proposé des cours de soutien pendant l'été, et j'avais accepté. Pourquoi pas, après tout ? Si ça pouvait me permettre d'augmenter mon niveau l'année prochaine et d'avoir mon année.... Je n'allais pas dire non. J'avais donc passé l'après-midi avec un professeur d'anglais et une dizaine d'élève. Nous étions tous des étrangers venant de divers pays. La plupart étaient mexicains ou asiatiques, d'autres venaient d'Inde ou d'Afrique. En sortant de la salle climatisée, la chaleur m'avait frappée. Je m'étais donc dirigé vers un banc à l'ombre, près de l'université, et m'étais assis dessus. Je m'étais ensuite allumé une clope. J'étais vraiment tendu, ces derniers temps. J'allais bientôt partir à Ciudad Juarez pour voir Adela et ma fille mais ce voyage ne m'enchantait guère, en réalité. Il ne fallait surtout pas que mon retour au Mexique s'ébruite. Je n'avais pas vu Charlotte depuis mon départ pour Miami et j'étais pressé à l'idée de voir à quel point elle avait grandit. Elle devait marcher, maintenant. Il y avait aussi Hannah qui était vraisemblablement enceinte de Wayne, à qui j'avais envie de foutre mon poing dans la tronche, et pire que tout... Andrea qui venait d'arriver en ville. Génial. J'étais là, en train de ressasser tout cela quand quelqu'un s'assit près de moi. Je ne fis pas attention, au début, me contentant de finir ma clope en regardant les gens qui passaient. Je me frottais nerveusement mon bras gauche. C'était une sorte de tic. Je pouvais sentir sous mes doigts les petites cicatrices laissées par les trop nombreuses piqûres d'héro. Au bout d'un moment, je tournais la tête vers la personne assise près de moi. Et je crus voir un fantôme. C'était Mathias, j'en étais persuadé. Bordel, s'il y avait bien quelqu'un que je n'aurais pas voulu voir ici, c'était bien lui. On avait couché ensemble il y avait quelques temps et ç'avait été ma seule relation avec un homme depuis Andrea. Et comme je n'assumais que très moyennement ma bisexualité... Le pire dans cette histoire, c'était qu'Hannah m'avait souvent parlé de son meilleur ami, un type s'appelant Mathias, et elle m'avait tout récemment montré une photo de lui. Comment allait-elle réagir si elle apprenait que j'avais couché avec son meilleur ami ? Elle qui ignorait tout de ma bisexualité ? Je m'étais enfoncé dans mes mensonges, et j'allais avoir bien du mal à en sortir. Je me tournais vers lui, ne sachant pas trop quoi lui dire. « Pas un mot à Hannah, d'accord ? Elle sait rien de tout ça » lui sortis-je brusquement. Je ne savais pas s'il allait comprendre à quoi je faisais allusion. Mais je n'avais pas envie de me perdre en politesse. Après tout, je ne le connaissais pas plus que ça. Cependant, j'avais le pressentiment que nous allions être amenés à nous revoir plusieurs fois, vu nos liens respectifs avec Hannah...

Allongé dans mon lit j'observais le plafond d'un air assez étrange, lunatique presque. Ma soeur n'était pas là, sortie je ne sais où et franchement je n'en avais que faire. Disons que nos rapports n'étaient pas très glorieux pour le moment et j'y étais pour beaucoup, comme elle qui avait également ses responsabilités. Elle couchait avec le foutu meurtrier de ma petite soeur, morte bien trop tôt. Entre Hannah et moi c'était tendu, je couchais avec l'ennemi juré de ma famille Sebastian, je ne faisais rien de bon dans ma vie. En gros, mon existence entière prenait un tournant des plus tumultueux. L'enterrement de Dean approchait à grand pas, alors que franchement, je n'attendais que ça pour foutre le camp de Miami, cette ville ne m'apportait rien de bon. Un long soupire s'échappa de mes lèvres, ma vie sentimental est loin d'être toute rose, plutôt dans les nuances sombres. Me redressant calmement en position assise, mes yeux glissent sur les mûrs blancs et neutre de cette chambre qui n'était absolument pas la mienne. En arrivant en ville j'avais élu domicile chez ma soeur, ne souhaitant pas vivre avec mon père, je l'aurais sûrement égorgé dans son sommeil! Enfin, disons que ma famille et moi n'étions pas forts copains ses derniers temps. Non, que dis-je depuis bien longtemps! Un léger sourire s'affiche sur mes lèvres, pas un sourire joyeux, juste...mélancolique alors que mon pieds frôle une bouteille vide de Whisky. Voilà mon but, me souler encore et encore pour oublier la souffrance qui sans cesse semble prendre du terrain en moi.

Après plus d'une heure à ne rien faire, je me décide enfin à aller prendre une douche. Je dois m'éloigner de ses murs où je me sens simplement prisonnier. Une bonne demi heure plus tard me voilà en train de marcher dans les rues de la ville, ne sachant pas trop où aller, où me rendre. Je ne suis ici que depuis peux de temps, pourtant, déjà, je n'ai qu'une envie fuir cet endroit! Trop de souvenirs cruels, trop de complications, trop d'illusions. Quand allais-je enfin pouvoir vivre sans avoir peur de demain? Mes yeux vagabondaient dans les environs alors que mes pas me menèrent vers un endroit plus calme, comme si j'avais été attiré par cet endroit précis à cet instant mémorable. Car oui, mes yeux se posèrent sur une personne que je connaissais sans réellement savoir qui il était. Bellamy, une ancienne conquête d'une nuit, un mec avec qui j'avais couché. Tient, j'avais pensé à lui il y a peut, car effectivement, le nouveau copain de Hannah portait le même prénom sans que je n'aille fais le rapprochement. Je ne sais pour qu'elle raison mais je vais me poser à ses côtés sans dire un seul mot, je me contente de m'asseoir, me disant que les paroles seraient surement de trop. Que pouvais-je lui dire? « Pas un mot à Hannah, d'accord ? Elle sait rien de tout ça » Vu sa tronche de surpris il ne savait pas que j'étais en ville. Mais mon visage prit quelques secondes avant de passé de l'amusement au choc total.

Merde, c'était bien lui le mec de Hannah? Je reste quelques secondes sans rien dire, alors que mon cerveau semble commencer à analyser la situation. Je me tourne vers lui, les sourcils froncés.

"Sérieux? Elle sait pas que tu couche aussi bien avec des filles que des mecs? Où même que tu as couchés avec son meilleur ami? Et ben, moi qui pensais que ma vie était compliqué t'es pas dans la merde mon grand!"

Je souris avec amusement, néanmoins, je ne comptais strictement rien dire, Hannah ne connaissant pas mes penchants pour les hommes également...enfin, personne a part mes conquêtes masculines savaient mes petits vices et c'était mieux ainsi.

Plus le temps passait, et plus je me disais que mes mensonges me mettaient sacrément dans la merde. Andrea et Mathias venait d'arriver en ville quasiment simultanément. Ma-gni-fique. Et tout cela au moment où Hannah et moi nous remettions d'une période difficile de dispute. Merde, Mathias était son meilleur ami quand même ! Pourquoi avait-il fallu que je couche avec ? Cela remontait à quelques temps, mais si j'avais su, je me serais sans doute abstenu. Andrea et lui étaient les seuls hommes avec qui j'avais eu des relations, et ils faisaient partie des quelques personnes qui étaient au courant pour ma bisexualité. Les autres étant Adela et ma famille. Je n'avais rien dit à Hannah et je craignais franchement qu'elle m'en veuille énormément si elle venait à l'apprendre. Pas parce que j'aimais les hommes, non, elle était assez tolérante et ouverte d'esprit pour accepter cela, mais parce que je lui avais menti. Ou du moins, j'avais omis de lui dire la vérité. Je n'avais pas envie de la perdre pour des futilités de ce genre, mais maintenant mes mensonges avaient été trop loin et j'avais l'impression qu'il était trop tard pour lui révéler. Et voilà que ces deux-là arrivaient à Miami… Je ne craignais pas vraiment Andrea, non, bien que je le savais tout à fait capable de passer faire un petit coucou à Hannah. Je craignais plutôt Mathias car c'était son meilleur ami, à ce que j'avais compris du moins. Quand elle m'avait montré une photo de lui sur son téléphone, j'avais cru tomber des nues et j'avais eu du mal à me ressaisir, si bien qu'Hannah avait cru que je me sentais mal. J'avais vraiment le chic pour me mettre dans des situations pas possible sans même le savoir ! Alors oui, évidemment, je craignais que Mathias lui révèle notre relation. Ils étaient meilleurs amis et ça n'aurait pas été étonnant qu'il se confie à elle. Or, il me semblait que je pouvais encore éviter cela. Il était tout nouveau ici et je pouvais peut-être encore le convaincre de ne rien lui dire.

Quelle pourrait être la réaction d'Hannah si elle apprenait que son meilleur ami avait couché avec son copain, alors qu'elle ignorait que celui-ci était bi ? Elle allait péter un câble, c'était certain, et c'était pas franchement recommandé qu'elle pète un plomb alors qu'elle était enceinte. D'ailleurs, ce Mathias ne me disait pas grand chose qui vaille. Ils avaient été très proches pendant une période et le silence d'Hannah quand je lui avais posé des questions sur l'exact nature de leur relation voulait tout dire. Je ne pouvais pas m'empêcher de ressentir une sorte de jalousie à son égard, puisque c'était un homme très attirant. Je devais bien l'admettre, vu que j'avais cédé le temps d'une nuit, alors que je m'étais promis de ne plus jamais avoir de relations homosexuelles après Andrea. Et ça lui ferait une belle jambe, à lui, de se dire qu'il s'était tapé le gars et la fille ! Cette idée m'aurait sans doute amusé si ce n'était pas de moi dont il s'agissait. Sa présence me mettait un peu mal à l'aise, mais il fallait que je mette les choses au clair avec lui. J'espérais simplement qu'il ne me donnerait pas trop de fil à retordre car la chaleur ne me donnait pas très envie d'user de mes poings. Je lui demandais donc, assez durement et sans détour, de ne rien dire à Hannah. Cela détruirait notre histoire et je n'en n'avais pas envie. "Sérieux? Elle sait pas que tu couche aussi bien avec des filles que des mecs? Où même que tu as couchés avec son meilleur ami? Et ben, moi qui pensais que ma vie était compliqué t'es pas dans la merde mon grand!" me répondit-il d'un ton léger. Je lui jetai un regard noir. « Oh ferme-la » soupirai-je. J'en avais bien déjà assez honte moi-même —même si avant d'apprendre qu'il était le meilleur ami d'Hannah, je n'avais eu aucun regret de me l'être tapé. « J'ai peut-être couché avec son meilleur ami comme tu dis, mais t'as couché avec son copain, et je sais pas ce qui est le pire honnêtement. À qui elle va en vouloir le plus ? » remarquai-je d'un ton neutre. Il était dans notre intérêt à tous les deux de ne rien dire. Nous allions être compagnons de galère, apparemment. « Et puis qu'est-ce que tu fous ici, bordel ? La dernière fois que l'on s'est vus, t'étais bien loin de Miami » fis-je d'un ton surpris. « J'espère que c'est pas pour les beaux yeux d'Hannah que tu es là ». Parce que si c'était le cas, j'allais lui casser trois dents, pensai-je.

Je me retrouvais dans une situation assez cocasse je dois bien me l'avouer. J'avais couché avec le copain de ma meilleure amie, mais également amie d'enfance. Bon à cette époque ils ne se connaissaient pas encore, enfin je crois, non effectivement vu qu'elle sortait avec Hardin à ce moment là. Donc, disons que je n'avais absolument rien à me reprocher. Sauf peut-être le fait d'avoir couché avec un mec, chose que mon amie ne connaissait pas à mon propos. Je n'en avais jamais parlé avec elle, le fait d'être bisexuel n'était pas vraiment une tare, mais disons que cela ne regardait que moi et moi seul. Puis, ma dernière rencontre avec Hannah c'était foutrement mal passée. Je souris avec amusement face à son regard noir. Si il pensait me faire peur c'était largement raté, j'avais frappé bien pire que lui et disons que la baston n'était pas un art qui m'était inconnu. "Oh, ferme-la." Attention, le jeune homme sort les griffes et montre les crocs. Je lève les yeux au ciel, tirant une taff de ma cigarette, n'enlevant pas mon petit sourire amusé de mes lèvres. Non mais c'est bon, fallait vraiment qu'il se décoince et surtout qu'il arrête d'être sur la défensive. On n'avais passé qu'une seule et unique nuit ensemble, le monde n'allait pas s'écrouler non plus. Enfin, pas le mien en tout cas.

"Fais gaffes le chien enragé, t'as un peux de bave sur le coin des lèvres..."

Je ne peux m'empêcher d'hausse les épaules face à sa réflexion, franchement, pensait-il que je me sentirais coupable de quoi que ce soit, même envers Hannah? Non, ce qu'elle pouvait en penser ne me faisais ni chaud ni froid, rien à battre! Après tout, je n'étais qu'un simple ami alors que lui, c'était carrément le petit copain avec qui elle sortait. Dommage pour lui, il était en mauvaise posture, alors que moi, je ne risquais pas grand chose à part perdre une amie de longue date. Chose qui me ferait assurément chier.

"Franchement, si elle nous en veut c'est qu'elle est blonde. Tu ne sortais pas avec elle à cette époque, donc, tu ne pouvais rien prévoir et moi non plus. Puis franchement, tu crois que j'ai des comptes à rendre à Hannah? Non, c'est plutôt toi qui serait dans la merde si elle venait à l'apprendre...moi j'ai rien à me reprocher."

Disons que sincèrement je n'étais pas prêt à le dire à ma meilleure amie, après tout, ce qu'elle ne sait pas ne peut pas lui faire de mal. Surtout à ce niveau-là. Savoir que j'étais passé avant elle risquerait surement de la mettre hors d'elle, donc, je préférais de loin garder le secret. Sauf si elle venait à me casser les pieds, là, je me montrerais sûrement moins compréhensif. Plus de pitié... Je pouffe alors de rire, me mettant à tousser face à sa question. Il est sérieux là? Il pense que je suis revenu pour elle? Non, du tout. A une époque je tombais amoureux d'elle, certes, mais à présent j'étais différent, beaucoup plus sombre, plus distant envers les filles et les sentiments que cela peut engendrer. Une fois mon fou rire passé je dis simplement.

"Déjà de un Miami ne t'appartient pas, donc, si je souhaite venir ici je viens ici. De deux, je ne suis pas là pour elle mais pour l'enterrement de mon frère. Le monde ne tourne pas autour de toi Bellamy, toute ma famille est ici!"

Honnêtement, quelle était la probabilité pour que je tombe nez à nez avec Mathias ? Décidément, la malchance avait décidé de me poursuivre. Nous avions simplement eu une relation d'une nuit, passionnée et pas franchement désagréable, mais ce n'était rien de grave. Et pourtant, j'avais l'impression que cela aurait de graves conséquences —ça et le fait que nous avions tous les deux délibérément menti à Hannah. Et si je savais bien une chose à propos d'elle, c'était qu'elle détestait plus que tout la malhonnêteté. Elle était loin d'être bête et il ne fallait pas essayer de lui montrer le contraire. De toute façon, je savais qu'elle finirait par découvrir la vérité. Il ne fallait jamais tenter de lui mentir. Cette fille avait le don de toujours mettre en lumière les recoins obscurs. Aussi étais-je persuadé qu'elle apprendrait pour Mathias et moi, et honnêtement, je n'étais pas pressé que ce jour arrive. Elle allait nous tuer. Peut-être plus moi que lui, en vérité, car j'étais son copain et donc, je n'aurais jamais du lui mentir. En même temps, qu'aurais-je pu lui dire ? Mathias m'était complètement sorti de la tête jusqu'à ce qu'elle me montre une photo de lui sur son téléphone. Mais même si nous n'avions pas passé beaucoup de temps ensemble, je l'avais immédiatement reconnu. Il était pas mal, je devais bien l'admettre. Hannah avait dit que nous partagions une certaine ressemblance physique, mais je trouvais que les traits de Mathias étaient beaucoup plus fins et délicats que les miens. Mon nez avait été cassé tellement de fois qu'il ressemblait plus à une patate écrasée au milieu de ma figure qu'à un organe. Franchement, ça ne m'enchantait guère de me retrouver avec lui, mais il semblait que cela fut nécessaire. Histoire qu'aucun de nous ne commette de gaffe. Je ne savais pas ce qu'il pensait de tout cela, si cela avait une véritable importance pour lui qu'Hannah ignore sa bisexualité et tout cela. En tout cas, il n'avait pas intérêt à dire quoi que ce soit. Hannah était certainement ce que j'avais de plus précieux en ce bas monde (avec ma fille évidemment) et je ne le laisserais pas gâcher cela. Même si pour ça, je devais mentir à Hannah.

"Fais gaffes le chien enragé, t'as un peux de bave sur le coin des lèvres..." commenta-t-il alors que je lui demandais de la fermer. J'haussai les épaules. Je n'assumais pas ma bisexualité, et alors ? Je venais d'un endroit où l'homosexualité était considéré comme un crime, alors oui, même ici, dans ce pays beaucoup plus tolérant (quoi que…), j'avais tendance à cacher cet aspect de moi. J'avais sûrement tort, mais la seule personne qui ait jamais appris pour moi m'avait gentiment envoyée à l'hôpital pendant plusieurs mois. Je n'avais pas tellement envie de réitérer l'expérience. "Franchement, si elle nous en veut c'est qu'elle est blonde. Tu ne sortais pas avec elle à cette époque, donc, tu ne pouvais rien prévoir et moi non plus. Puis franchement, tu crois que j'ai des comptes à rendre à Hannah? Non, c'est plutôt toi qui serait dans la merde si elle venait à l'apprendre...moi j'ai rien à me reprocher." me dit Mathias. Il n'avait pas tort. Je n'étais pas avec Hannah à cette époque, je ne la connaissais même pas. Non, en fait, je ne pensais pas que ce fut ma relation avec Mathias qui posa problème. Elle était assez tolérante, ouverte et intelligente pour comprendre qu'elle n'avait rien à me reprocher de ce côté-là. C'était le mensonge que Mathias et moi étions en train d'élaborer qui l'énerverait. Je lui avais promis d'être honnête avec elle et pourtant, je ne faisais que lui cacher la vérité… Car après tout, je ne lui mentais pas à proprement parler. J'omettais juste de dire ce qui était véridique. J'étais bisexuel et même si je n'assumais pas, je ne pourrais jamais me défaire de cela. « Tu crois que tu serais pas dans la merde ? C'est bien mal connaître Hannah. T'es son meilleur pote, elle t'adore. Savoir que tu lui as menti la mettrait hors d'elle. Et savoir que t'es de mèche avec moi lui fera péter un plomb, c'est clair et net. Alors je crois que nous avons tout deux intérêt à nous taire si on tient à nos couilles » dis-je, non sans une pointe d'humeur. Je disais cela sur un ton léger, mais franchement, je redoutais la réaction qu'Hannah aurait si elle découvrait le pot aux roses. Je lui demandais ensuite ce qu'il foutait ici, d'un ton peut-être plus agressif que je ne l'aurais voulu. De toute manière, ce n'était pas lui, tout gringalet qu'il était, qui me ferait peur. Il prit ma remarque un peu trop au sérieux, visiblement, et me répondit d'un ton encore plus dur. "Déjà de un Miami ne t'appartient pas, donc, si je souhaite venir ici je viens ici. De deux, je ne suis pas là pour elle mais pour l'enterrement de mon frère. Le monde ne tourne pas autour de toi Bellamy, toute ma famille est ici!" D'ordinaire, j'étais toujours partant pour me battre pour des raisons futiles, mais là, je n'avais pas envie. Je baillais allègrement. Je sentais que Mathias et moi nous étions mis dans de beaux draps et que, par conséquent, nous allions devoir devenir des alliés. Moi parce que j'avais peur de la réaction d'Hannah et lui… parce qu'il devait tenir à sa vie. « Commence par te détendre, mon gars » soupirai-je en le regardant. Il s'excitait pour rien et dans le vide. « Désolé pour ton frère. Et désolé aussi que toute ta famille soit dans cette ville merdique ». Je mettais son accès de colère sur cette mort qui devait être soudaine. Je détestais Miami et le fait qu'il doive y revenir pour un enterrement devait sacrément le déprimer. Je revenais ensuite à notre sujet de discussion principal. « En bref, on doit garder le secret. On va devoir prétendre que l'on ne se connaît pas… alors qu'on se connaît plutôt intimement en réalité » constatai-je avec un petit sourire.