Il s’était échappé de l’hôtel pour profiter un peu du beau temps. Besoin de respirer et surtout, besoin de s’éloigner de tout ce qui lui rappelait Derek Watts. A force d’être à ses côtés, de l’accueillir toutes les nuits dans son lit et de ne penser qu’à leur prochaine sortie à deux en espérant ne pas faire de faux pas pour que son richissime pigeon client amant du moment s’échappe de ses griffes, il avait l’impression de se perdre lui-même et de ne plus se reconnaître dans la glace quand il se regardait le matin.
Et il détestait cette impression plus que tout au monde ! Ses femmes avaient tenté de le changer et de faire de lui un homme différent, et il avait l’impression de retourner dans ces travers : se changer pour que l’autre l’aime et ne veuille pas le voir lui échapper. C’était stupide mais cela le rongeait réellement…

Ces quelques heures loin de l’hôtel lui firent le plus grand bien, d’autant qu’il évita soigneusement les quartiers pauvres et se réfugia uniquement dans les belles boutiques de luxe. Grâce à la carte que lui avait donné Derek, il se fit même quelques plaisirs qu’il fit expédié directement à son hôtel, choisissant avec soin les pièces qui lui allaient le mieux et cachaient sa maigreur. A force de côtoyer Derek, il avait fini par prendre quelques leçons de tenue et de mode, et il commençait à s’y connaître en coupes de costumes et en tissus… Peut-être pas au point d’être un expert mais il se débrouillait suffisamment pour ne pas se laisser embobiner par les vendeurs.

Ravi de ses emplettes, ses pas le dirigèrent jusqu’à la plage : il s’amusa à faire le front de mer, profitant du soleil et de l’air marin qui réveillait ses sens, ainsi que de la foule qui se dispersait petit à petit au fur et à mesure que le soleil descendait. Avec l’hiver, ils avaient de moins en moins d’ensoleillement et beaucoup préféraient se retrancher dans le centre-ville une fois le soir arrivé pour profiter des illuminations de Noël que de rester sur la plage.

Un brin fatigué, il se dégotta un petit banc et s’y laissa tomber, observant la mer et le son reposant des vagues. Rien ne l’apaisait mieux que cela… A tel point qu’il aurait aisément pu zapper la silhouette qui s’était tapie dans l’ombre derrière les arbres. Mais dès que ses yeux se posèrent sur lui, ils y restèrent fixés, terriblement amusés par le petit manège qui se mettait en place.
L’individu, peu importe de qui il s’agisse, zieutait avec insistance une silhouette qui marchait sur la plage et qu’il devait de ce fait connaître… Il l’espionnait tant si bien, avec de tels efforts pour ne pas être remarqué qu’il finit par arracher un sourire à Thompson.
Vu sa dégaine, il devait s’agir d’un tout jeune homme… Et vu la façon dont il regardait la personne sur la plage, soit il s’agissait d’un ennemi à l’école qu’il ne voulait absolument pas voir, soit d’une personne qu’il appréciait un peu trop pour l’approcher…
Dans un cas comme dans l’autre, c’était terriblement amusant et mignon. Si Thompson avait eu le cœur nostalgique, peut-être aurait-il remarqué les ressemblances entre le jeune garçon et ses propres fils, qui devaient avoir à peu prés son âge…
Mais il s’en tint à une observation distraite de la petite scène, avant de finalement se relever pour s’approcher du garçon. Ce serait stupide de passer à côté d’une bonne occasion de s’amuser un peu. Il descendit sur la plage, rejoignit les arbres et s’arrêta à quelques mètres du jeune homme : pieds figés dans le sable, il croisa ses bras et observa la silhouette qui s’éloignait déjà de l’autre côté.

« Il est plutôt mignon, tu as du goût. »

-Mais vous êtes complètement détraqué monsieur ! Depuis quand on apparaît sauvagement derrière des gens qui.... Qui... Inspectaient les écorces d'arbre...

Thompson ne retint pas un petit ricanement amusé devant cette tentative assez grotesque de trouver une excuse de dernière minute. Comme si les écorces d’arbres présentaient un quelconque intérêt.

Non, l’intérêt en cet instant, c’était l’air surpris et effaré du jeune homme, qui ne s’attendait visiblement pas à ce qu’on surgisse derrière lui, et il était vraiment adorable dans sa façon d’essayer de se rattraper sans passer pour un pervers.
Si encore il s’était arrêté là, Thompson n’aurait rien dit, mais le jeune homme semblait décidé à lui faire croire à son mensonge grotesque, et quand il commença à parler de l’arbre qu’il trouvait ‘mignon’ ainsi que d’un diplôme en biologie, Thompson préféra hausser un sourcil dédaigneux : s’escrimer ainsi ne servait à rien, surtout vu la position où il l’avait surpris.

Cela dit, s’il voulait jouer à ce petit jeu… Parfait, il allait trouver son maître en la matière !
Car en matière de mensonge, Thompson s’était toujours brillamment illustré !

Il haussa les épaules, se désintéressant de l’arbre que le jeune homme désignait comme le plus beau spécimen de son espèce apparemment, et son regard suivit la silhouette de l’homme qui s’éloignait sur la plage. Le désignant du doigt, il enchaîna :

« Non, moi je parlais de cet homme. Mais puisque c’est uniquement cet arbre qui vous intéresse, je vais donc aller tenter ma chance avec lui. Sur ce, bonne soirée jeune homme. »

Et il fit mine d’avancer comme pour aller rejoindre l’homme en question.