J’étouffe littéralement. Le mal de crâne qui me démange depuis le début de l'après-midi menace de se transformer en migraine si je ne fais pas quelque chose rapidement. Me décider à placer tout mes rendez-vous le même jour n'était pas une bonne idée. Et je me répète à chaque fois que je le fais. Pour être honnête, c'est le rendez-vous avec mon banquier qui fut le plus chiant. Le reste était pour le boulot et comme j'ai la chance de vivre de ce que j'aime, ce n'était que du plaisir. Mais du plaisir qui me prend la tête depuis sept heures du matin. Trop c'est trop. Les rendez-vous avec les marques qui veulent travailler avec moi, créer de nouveaux projets, découvrir de nouvelles choses. J'adore. Mais là, dans le taxi en direction de mon immeuble, ma tête va exploser. J'ai besoin d'air, de me changer les idées. Je suis pas malheureuse, je suis pas à plaindre, j'ai juste besoin de souffler. Alors ma décision est prise. Au moment où le taxi me dépose au pied de mon immeuble je m'y engouffre après l'avoir payé. Une fois sortie de l'ascenseur j'envoie un texto. « Il y a un nuage dans les étoiles. » Il y a qu'une seule destinataire qui comprendrait le sens de ce message. En entrant dans l'appartement je ne prends pas le temps de me changer. Je me dirige d'emblée vers mon bureau où je prends une poignée de dessin qui trône dans un coin. Je les fourre rapidement dans mon sac et quitte l'appartement aussi vite que je suis arrivée. En sortant de l'immeuble je me rends compte que le jour commence à baisser. Il fait bon et malgré la chaleur de la journée, il y a un peu d'air frais alors que le soleil disparaît petit à petit. Je choisis donc de faire le trajet à pied. A mi-chemin, mes pieds me font vraiment trop mal et mon mal de crâne ne cesse pas. J'enlève mes talons hauts et les pinces et les élastiques dans mes cheveux. Adieu pieds endoloris, au revoir coiffure élaborée. Arrivée devant le Hilton je souffle un coup. Il est hors de question que je remette mes talons avant trois semaines, minimum. Donc j'entre pieds nus dans le hall le plus naturellement possible. Si je me fais remarquer c'est mort. Je me faufile, je souris à tout le monde, je prends mes airs de grande dame. J'ai le cœur qui bat la chamade et le sang qui tambourine dans mes tempes. Et c'est tellement agréable. Une fois dans l'ascenseur, je lève le menton et appuie sur le bouton du dernier étage. Les clients descendent au fil des étages et moi je vais toujours plus haut. Quelques minutes plus tard, j'ouvre la porte de service qui mène aux toits. Et ça y est. La ville s'étend à mes pieds. Le soleil couchant zèbre le ciel déjà sombre d'éclairs orangés et rosés. Le vent est un peu plus fort en haut des immeubles et il me rafraîchit délicieusement. Je lâche mes talons à côté d'une bouche aération et m'assois sur une dalle de pierre. Je respire un grand coup, ferme les yeux. Ce n'est que quelques instants plus tard, alors que je suis allongée sur la dalle, que le ciel n'est pas encore complètement noir et légèrement éclairé par le soleil couchant, que j'entends la porte de service grincer légèrement. Je lève la main, où je tiens un joint fraîchement roulé, vers le ciel sans prendre la peine de tourner la tête. Il est encore éteint mais ça ne saurait tarder « J'ai failli t'attendre et commencer sans toi. Tu arrives pile au bon moment pour les réjouissances Dewith. » Le stresse de la journée commence déjà à redescendre. Chill out.

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La chaleur de la ville m’engourdit légèrement alors que le soleil se couche. Les lumières s'allument petit à petit et s'étalent à mes pieds. Je me sens un peu mieux que tout à l'heure même si mon mal de tête n'est pas parti. Le joint entre mes doigts avec lequel je joue depuis quelques minutes est la solution à tout mes problèmes mais je patiente. Il est impoli de commencer sans attendre les invités.  Alors je rêvasse, je ferme les yeux, je respire calmement. Je me mets même à compter le nombre de battement de cœur jusqu'à ce que j'entende la porte de service. Je fais remarquer à Camélia qu'elle arrive juste à temps. On est bien, la brise souffle légèrement et je suis presque apaisée. Je souris au ciel lorsqu'elle vient près de moi sur la dalle. Elle me tend son briquet en s'installant. « Tiens, je te donne l’honneur de commencer cette putain de soirée, et Dieu faite qu’elle soit bonne. J'pense que j'ai passé la journée la plus longue de ma vie, j'aurais besoin de plus d'un. » Je saisis le briquet et me redresse en position assise. « M'en parle pas, j'ai la tête qui va exploser. » Je grogne en portant le joint à mes lèvres. La pierre du briquet roule sous mon pouce et la flamme s'éveille. Elle danse quelques secondes sous mes yeux alors que j'inspire pour allumer le joint. La première taffe me traverse de part en part et je me rallonge en fermant les yeux. Je tends la main vers Camélia pour lui rendre son briquet et soupire un grand coup. Je sais pas comment expliquer. Avec elle je suis bien. Calme et détendue. Sur le toit on a l'impression que tout nous appartient. Qu'on peut tout dire ici, même ce dont on a honte ou peur. Rien ni personne ne peut entendre ce qu'on se dira. Souvent on fume mais parfois juste être ici est suffisant. Je m'attache à nos retrouvailles impromptues, la tête dans les étoiles. J'ai tellement l'impression de me voir en elle. Farouche et lascive, prête à sortir les griffes ou la moue boudeuse. Je prends une nouvelle taffe et tend le bras vers elle pour lui passer le joint. « Mon Dieu ça fait du bien. Je veux plus jamais redescendre. » De l'immeuble, de mon nuage, des étoiles. J'oublie tout. Que mon petit ami me manque, que du boulot m'attend encore en rentrant, que mes parents sont loin. Au fond ma vie est loin d'être triste, mais des soirs comme celui-ci je me sens juste mentalement épuisée. « Bon alors, t'as tatoué des Schwarzenegger sur des torses aujourd'hui ? Ou tu as fait les sempiternelles colombes et symbole infini ? » Je me moque vivement des clients de Camélia. Je suis bien au dessus moi. Je le sais et je le fais comprendre. Je ne suis pas un mouton. Je veux me différencier. J'ai pas envie d'être comme tout le monde. Ils m'ennuient ces petits gens. « D'ailleurs, j'ai quelques dessins. Tu voulais me tatouer le cul mais si tu veux, avant de choisir l'emplacement, on peut voir ce que tu peux me proposer ? » Je tends vaguement le bras vers mon sac à main qui traîne à côté de mes talons, à quelques mètres. Ouais. Je vais attendre qu'elle fasse tourner le joint avant de me lever pour aller chercher mon sac.

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Je décompresse. La journée a été fatigante et m'a complètement lessivée. J'ai l'impression ne n'avoir plus aucune force dans tout mon corps. Je crois que je pourrais passer une semaine allongée sur cette dalle, face au ciel. A en voir les changements constants la nuit et le jour, avec les perceptibles modifications propres à l'aube et au crépuscule. Ah oui. Définitivement, je pourrais passer ma vie sur un toit à observer le ciel. Je sens la tension de la journée me quitter petit à petit, comme de l'eau qui glisserait sur mon corps. Il fait bon et chaud, avec un petit air rafraîchissant. Un joint, une bonne compagnie et c'est tout ce dont j'avais besoin. Lorsque Camélia arrive, je sais que la soirée va bien se passer. Tranquille, à discuter, ou juste fumer silencieusement. Mais au moins je rentrerais chez moi détendue et l'esprit vide. On entame le joint, on prend les premières taffes en sentant la tension nous quitter. Et on est bien. Terriblement bien. Je me moque des clients de Camélia. « Rigole pas, j’ai dû tatouer la photo d’un chien sur un bras aujourd’hui… » Je ris en imaginant la scène. Je ne doute pas du talent de Camélia, mais j'imagine tout a fait le client débarquer avec une photo de son clebs en exigeant une copie conforme du modèle. « Je paris que son cher amour est parti trop tôt après 15 ans de bons et loyaux services et qu'il voulait l'avoir avec lui pour la vie ? Pauvre chien, il a sûrement du porter des blousons assortis à ceux de son maître. » Je ricane en imaginant la scène. Pauvre animal. Je parle des quelques dessins que j'ai amené à Camélia. « Vas-y montre, j’te disais tatouer le cul comme ça quand à chaque fois que ton mec te troncheras il admira mon talent. » Je fais la moue en prenant le joint qu'elle me tend. Je le glisse entre mes lèvres en grognant « Faudrait déjà qu'il soit là, pour pouvoir me troncher. » Je le rallume puis prends une nouvelle taff avant de lui rendre. Je décolle mes fesses de la plate-forme et vais attraper mon sac à main. « Aller, montre-moi tes idées, j’espère qu’elles en valent le coup. » Je souris en revenant m'installer sur la dalle à ses côtés. « Toujours, je fourmille d'idées ! Bon, je les ai chopé en vitesse chez moi tout à l'heure donc fait pas gaffe, elles sont froissées. » Je sors les feuilles de mon sac et les étale devant nous. Je les lisse légèrement pour que Camélia puisse voir. « J'ai des idées de pièces plus ou moins grosses, à différent endroits. C'est très fouillis. J'aime l'idée d'une grosse pièce sous les seins mais une petite pièce un peu cachée, ça me plaît aussi. » Je lui montre quelques gribouillis de dentelles pour le tatouage du sternum mais également des animaux à l'aquarelle ou des dessins plus minimalistes inspirées des origamis pour les petites pièces. Je suis complètement indécise. Je me tourne vers Camélia. « Bon alors, l'avis de la pro ? Parce que par contre je te laisserais pas faire un de mes chats sur mon bras hein. » Je souris en coin.

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