Erwan se réveilla les mains attachées dans son dos, incapable de bouger ses jambes, un scotch sur la bouche et un voile noir devant les yeux qui l'empêchait de voir. A la seconde même où il réalisa la situation dans laquelle il était, il se mit à sangloter de façon incontrôlable. Il ne pouvait pas, il ne voulait pas, c'était impossible. Non. Il avait fini par le retrouver, et il était en train de le ramener à L.A. et il allait à nouveau faire de lui sa pute et... non. Erwan préférait crever. Vraiment après tout ça, après avoir touché le bonheur du bout des doigts, il préférait crever. Et juste au moment où il se disait que peut-être avec toute cette morve sur son visage, sa bouche fermée,et ses sanglots incessants, il allait finir par s'étouffer lui-même sans avoir à souffrir un peu plus, sans avoir à le revoir, il sentit une main saisir son bras et le guider quelque part. Il essaya de se débattre, de se défendre en utilisant les quelques pauvres prises d'auto-défense qu'il avait apprises à l'époque, mais rien à faire. C'était perdu au moment même où il était sorti du studio, seul, en pleine nuit, au moment où il avait été attaqué. « Non non non non non » furent les premiers mots qui sortirent de sa bouche lorsqu'on lui rendit la vision et la parole. Il les adressa aux figures masquées qui se trouvaient autour de lui. Il recula jusqu'à heurter un mur, et là, on lui annonça la suite des évènements. Tu vas entrer dans une arène, il y a d'autres personnes, un seul en sortira vivant, si tu veux que ça soit toi, fais en sorte de tuer les autres avant qu'ils te tuent. Erwan paniqua à nouveau. Il ne doutait absolument pas qu'il y avait des gens cruels et horribles dans le monde alors ce truc, il y croyait, bien sûr qu'il y croyait. Il ne gaspilla pas une seconde de sa vie à se voiler la face, à espérer que ce n'était qu'une blague. « S'il vous plait s'il vous plait... Pitié » il continua sur sa lancée, enchaînant les s'il vous plait, les pitié, et les je vous en prie. Rien à faire. Il fut traîné de force, après avoir offert tout ce qu'il avait, tout ce qu'il pouvait offrir, à ceux qui tenaient sa vie entre ses mains. Il se retrouva dans l'arène, à quelques secondes du départ, les yeux rouges et les joues à peine sèches.

S'il y avait une chose qui fonctionnait parfaitement bien chez Erwan, c'était ses réflexes. A force d'être toujours sur le qui-vive, toujours prêt à réagir en cas de danger. Alors quand le départ sonna, il réagit immédiatement, prenant un peu d'avance, courant en direction de là où se trouvaient les armes. Il ne savait pas pourquoi il faisait ça, il ne comptait tuer personne. Mais il devait bien s'armer pour pouvoir se défendre. Alors il s'en approcha, saisit un javelot, et piqua un sprint en direction d'une forêt. Emmené par ses longues jambes et son corps plutôt athlétique, il arriva à créer une distance entre lui et les potentiels poursuivants. Il arriva près d'un lac. C'était calme, il y avait un peu de soleil, un endroit parfait... si les conditions de sa présence avaient été un peu différentes. Il laissa tomber le javelot au sol, s'en débarrassant, se détestant pour avoir osé se trimballer avec une arme, une arme destinée à ôter la vie. Et il s'effondra contre un rocher, se laissant glisser vers le sol et s'installant dans l'herbe. Il avait réussi à ramasser une petite bouteille vide en plus de son arme, et remplit alors celle-ci d'eau. « Putain » souffla-t-il alors que ses mains tremblaient, incapable de refermer la bouteille. Il y parvint enfin, et ferma les yeux, essayant de respirer, de se calmer, d'analyser la situation terrible dans laquelle il était.

Il ouvrit les yeux d'un coup lorsqu'il entendit des bruits de pas. Merci l'hypervigilance. Erwan balaya la zone du regard, à la recherche de la moindre menace. Mais rien. Puis soudain, il vit une silhouette entre les arbres, et il se releva sans attendre, saisissant son javelot qui traînait encore au sol. Paniqué, agité, il essaya malgré tout de réfléchir à une solution, une porte de sortie, un moyen de fuir ou d'éviter une confrontation. Il fit un micro-pas en avant, un micro-pas en arrière, et son pied se prit dans une racine et il fit la plus belle chute de sa vie, se retrouva le cul dans l'herbe, son javelot couché à côté de lui. Sans défense, un peu sonné, et la personne qui l'avait perturbé fit enfin irruption sur les berges du lac. Juste là. Erwan le fixa, sans savoir quoi lui dire, tellement terrifié qu'il avait fini par s'isoler, se refermer, se dissocier de lui-même. « Euh... » couina-t-il à l'attention du nouveau venu, semblant oublier tout à coup qu'il était peut-être là pour le tuer, qu'il devrait peut-être fuir ou réagir, qu'Erwan allait peut-être mourir juste là et qu'il ne reverrait jamais Orel et... Non, le mal avait été fait et il était bien plus loin que tout ça à présent. Sa conscience était partie se cacher au plus profond de lui-même, partie se protéger de l'horreur de sa situation et... il ne restait que son corps, les battements de son coeur, irréguliers, sa respiration, comme stoppée.

L'inconnu qui s'avançait vers Erwan avait une corde dans la main, et il semblait se prendre au jeu, ce qui n'était pas particulièrement rassurant. Erwan ne l'avait jamais vu, et il profita de ce moment pour le regarder de haut en bas, essayant de savoir en l'observant s'il était dangereux, s'il fallait se méfier, s'il allait attaquer et de quelle façon. Et il réalisa que oui, bien entendu qu'il était dangereux, il était là pour participer à ce jeu de merde lui aussi, il était là pour tuer les autres. Pour tuer Erwan, par exemple. « C'est vous mademoiselle qui a fait ce "Euh?" » Mademoiselle ? Erwan n'était pas sûr d'avoir tout suivi, et il regarda autour de lui à la recherche d'une troisième personne. Mais non, rien, il n'y avait qu'eux. Alors franchement, Erwan n'avait rien contre les femmes en général, il ne trouvait pas ça offensant d'être confondu avec l'une d'elles, mais... dans cette situation, il aurait préféré avoir l'air d'un grand garçon fort et musclé, le genre qui ne se laisse pas marcher dessus. « Ecoute mon gars, j'ai faim me saoule pas. Je te tue pas, tu me tue pas et le monde il est heureux ça te va? Je te pèche même un poisson si tu veux car vu comme t'es... » dit alors l'inconnu. Il hocha lentement la tête alors que cet homme exposait la situation avec beaucoup de sagesse et proposait quelque chose qui convenait totalement à Erwan. Tu me tues pas, je te tue pas. Parfait. Excellent. Ca commençait plutôt bien. Il réussit du coup à calmer plus ou moins sa panique. Et la fin de sa phrase s'inscrit alors dans son esprit et ça, c'était offensant. "Vu comme t'es", il fronça les sourcils et fit une moue digne d'un gamin de 8 ans. Il n'était pas un incapable, loin de là. Il pouvait très bien pêcher un poisson, ça devait pas être si difficile que ça après tout. Le cul toujours dans l'herbe, il suivit l'homme du regard alors qu'il se dirigeait vers le lac, et finalement, il avait qu'à les pêcher les poissons. Erwan était très bien là où il était. « Toi aussi t'es puni et t'as fini dans ce trou avec d'autres fous? » il recommença à parler.

Erwan se redressa un peu, intrigué. Il continua à regarder l'inconnu faire ce qu'il était en train de faire sans vraiment y comprendre quoique ce soit, laissant son regard se balader un peu sur les muscles de son dos, juste comme ça, pour apprécier la vue. Il ne savait pas quoi lui répondre alors il se mit à arracher des brins d'herbe autour de lui, rassemblant quelques pâquerettes dans sa main gauche pour en faire un petit bouquet. « Je veux pas être ici. Je veux rentrer à la maison » souffla Erwan d'une petite voix, la seule réponse qu'il donna à l'inconnu. Et puis, c'était pas comme s'il attendait vraiment une réponse, la situation répondait elle-même à sa question. Erwan se mordit la lèvre alors que l'angoisse le prenait à nouveau, formant une boule dans sa gorge. Il voulait rentrer chez lui. Il avait peur. Il voulait qu'Orel le serre dans ses bras, il voulait que ça ne soit qu'un cauchemar. Merde. « Moi c'est Erwan. Et toi ? » il demanda d'une voix éraillée à celui qu'il connaissait depuis cinq petites minutes à peine. Peut-être qu'il arriverait à se faire un ami, et tout ça serait un peu moins pénible, et peut-être que ce mec était tout aussi paumé que lui, tout aussi effrayé à l'idée de devoir faire du mal aux autres. Erwan glissa quelques pâquerettes dans ses cheveux, gardant le reste du bouquet dans sa main. « J'ai une couverture de survie » reprit-il après s'être raclé la gorge pour effacer les sanglots qui menaçaient de percer. Il désigna son petit sac d'un signe de tête. « On peut la partager si tu veux » finit Erwan en tournant ses grands yeux verts vers son nouvel ami.

L'inconnu saisit le javelot d'Erwan, qui traînait encore à côté de lui, et le jeune homme le regarda simplement faire, ne se posant pas plus de questions. L'idée ne lui traversa même pas l'esprit que c'était peut-être une ruse, qu'il était en train de désarmer Erwan si facilement pour pouvoir l'achever ensuite. « Je te l'empreinte car bon il va pas te servir ici les JO c'est pas la. » dit l'homme en lui faisant un clin d'oeil (ce qui fit légèrement rougir le jeune musicien), et Erwan hocha simplement la tête avec un petit sourire, avant de retourner à ses pâquerettes. Il releva les yeux quelques fois, pour admirer le dos nu du pêcheur, qui se débrouillait plutôt bien d'ailleurs. A croire qu'il avait fait Koh-Lanta dans une autre vie. Erwan le regarda alors sortir de l'eau avec une belle panoplie de poissons en brochette sur son javelot. « Ba écoute enchanté, moi c'est Wane » il se présenta en souriant après avoir rendu son arme à Erwan. « On va devoir se faire un poisson cru car comment dire, un feu ça fait de la fumée donc ça va attirer le monde vers nous. » Le jeune homme ne put s'empêcher de grimacer. Non, c'était dégoûtant, vraiment. Et si ça se trouve le poisson était empoisonné alors... non. Et puis il avait déjà passé plusieurs jours sans manger dans sa vie, et il avait survécu, alors il était prêt à remettre ça. Au fond, il essayait de se dire que c'était un peu comme un sushi, mais non, rien à faire. Rien qu'à regarder ces pauvres poissons avec leurs gros yeux globuleux, il avait envie de vomir. Erwan fixa les cadavres des yeux, étalés là sur ce sac poubelle, et non, il était incapable de mettre ça en bouche. « Ba pourquoi pas. On fera des tours de garde ok? Comme ça on partagera pas vraiment mais bon on va tourner. » Il hocha la tête avec entrain. C'était rassurant, de se dire qu'au final il n'aurait pas à dormir collé à un inconnu. Et puis, les tours de garde, c'était une excellente idée, comme ça il avait un peu moins de chances de se faire attaquer pendant la nuit et brutalement assassiner. Erwan se demandait s'ils étaient les seuls à avoir réussi à s'entendre, à se respecter assez pour ne pas se faire la guerre. Il se demandait si tous ceux qu'il avait rapidement vus au tout début étaient encore en vie, ou s'ils s'étaient entretués. Si Wane et lui étaient les seuls survivants de ce massacre ? Il se mordit la lèvre, regardant Wane se débrouiller comme un chef. Visiblement il était vraiment tombé sur l'homme parfait (enfin à peu près). Il détourna le regard lorsque son nouvel ami se mit à découper les pauvres poissons.

« Sinon... Tu fais quoi toi dans la vie? Et tu comptes t'en sortir comment d'ici? » interrogea Wane après avoir bu un peu d'eau du lac. Erwan continua son bouquet de pâquerettes, relevant un peu les yeux vers lui pour lui répondre. « Je suis musicien chanteur... je compte chanter des berceuses et m'échapper quand les autres dormiront tous » Erwan n'était pas une personne sarcastique. Au contraire, il avait tendance à ne rien comprendre au sarcasme et à prendre beaucoup de choses au tout premier degré. Et pourtant cette phrase, elle oscillait entre sarcasme et sérieux. Parce que clairement, il n'en avait aucune idée. Il n'était pas faible, certainement pas, s'il l'avait été il n'aurait jamais survécu jusque là. Mais il était trop doux, trop bienveillant, trop naïf. Sa gorge se serra au moment où il réalisa qu'il était bel et bien dans une merde sans fond, qu'il ne se sortirait jamais de cette situation horrible. Et peut-être que quelques mois plus tôt, il l'aurait accepté, avec un petit sourire ou de l'indifférence. Mais là... non. « Je viens de retrouver le mec que j'aime et d'apprendre qu'il ressent quelque chose pour moi et maintenant je suis là et... » il se força à se taire, essuya la larme qui avait eu le temps de couler sur sa joue. « Désolé. Et toi tu fais quoi ? » demanda-t-il avec un petit sourire après ce moment émotif, retournant simplement la question en regardant Wane avec curiosité. Erwan termina son bouquet de pâquerettes et le tendit à Wane avec un petit sourire. Comme pour signer leur accord de paix, et aussi parce que les pâquerettes c'est cool.

« Ecoute.. On fait une alliance? On se lit contre le mal, contre cette Nightmare qui nous cherche la merde en nous envoyant ici? » Erwan hocha lentement la tête. Wane avait l'air sûr de lui, fort, déterminé, c'était plutôt bon tout ça. Il ferait un excellent allié. Et Erwan avait de toute façon grandement besoin de compagnie. Il n'était pas certain que cette Nightmare ait quoique ce soir à voir avec tout ça, ou même qu'il y ait un "mal" dans cette arène contre lequel se lier... mais l'arrangement lui convenait. Il offrit ensuite son bouquet de pâquerettes à Wane, en signe d'amitié. Voilà, comme ça c'était décidé. Ils ne pouvaient plus revenir en arrière. Ils étaient amis et ce qui comptait pour l'un comptait pour l'autre, et ça c'était rassurant. Au moins cette fois-ci, Erwan n'était pas tout seul dans son cauchemar. Erwan en vint ensuite à raconter sa vie, ou du moins quelques petits détails qui n'avaient rien de très personnel. « Moi? Ba je suis avocat et on m'a emmener ici pour pas que mes enfants et ma femme meurt, voila j'ai une fille et un garçon de 3-4 ans.. » Il ne put s'empêcher de sourire en entendant cela. Wane avait une petite famille, il était papa. Erwan était bien tombé, ce type-là devait être honnête et bien intentionné, le genre de personne qui ne ferait pas de mal à un pauvre gamin comme lui. Et puis Erwan adorait les enfants, alors s'ils se sortaient de cet enfer, il se ferait une joie de rendre service à son nouvel ami en gardant ses enfants si un jour il décidait de passer un moment seul avec sa chérie. Ce sourire resta gravé sur son visage, alors qu'il regardait avec curiosité les mains de Wane qui jouaient avec sa corde.

« Sinon dans un autre ordre. Je suis un ancien tueur en série. Ce jeu me fait pas peur, je suis prêt à tuer. Je suis une machine. » Et oui, pour le coup, il était très déterminé. Le sourire s'effaça lentement des lèvres d'Erwan, alors qu'il réalisait, qu'il comprenait peu à peu ce que venait de dire Wane et ce que cela signifiait. Allait-il tuer Erwan ? Etait-ce son plan ? Erwan se demandait ce qu'il devait faire... fuir ? Attaquer Wane et espérer pouvoir l'assommer ? Non... c'était idiot. Et puis, il croyait dur comme fer aux secondes chances, après tout. Alors peut-être qu'il pouvait croire que Wane n'était plus cet homme-là... C'était imprudent, mais il n'avait pas vraiment le choix. Erwan se mordit la lèvre, jusqu'à se faire mal. « Bref vas y je prend le premier quart d'heure tu peux dormir. » Il lui fallut quelques minutes pour se décider, mais il se leva finalement et alla s'allonger un peu plus loin. Là, il s'emmitoufla dans sa couverture de survie si bien que seules ses boucles brunes dépassaient. Il donnerait sa chance à Wane. Il ferait semblant de dormir, et si pendant ce premier tour Wane ne tentait pas de le couper en petits morceaux, alors seulement il dormirait pour de vrai, et mettrait sa vie entre les mains de cet homme. Erwan ferma les yeux, se concentrant sur les bruits extérieurs. Il s'endormit malgré lui.