Jamais elle n'aurait cru qu'elle prendrait la fuite de chez Noah, après s'être fait foutre dehors, en pleurant. Elle traça pour rentrer chez elle, courant presque pour réduire au maximum les quelques minutes de marche qui séparaient leurs deux maisons, et se retrouva enfin cachée à l'intérieur de son chez elle. Elle ne prit pas la peine d'aller plus loin dans la baraque, resta simplement contre la part et se laissa glisser pour aller s'asseoir parterre, recroquevillée sur elle-même, à se laisser chialer comme une adolescente en plein chagrin d'amour. Elle n'avait pas pleuré depuis des années, ou du moins ne s'était pas mise dans un état pareil depuis des années. Antey se détestait tout simplement de réagir ainsi, et de s'être attachée à Noah, d'avoir commencé à ressentir des choses, et tout le reste. Elle s'en voulait tellement d'avoir été si conne, et de ne pas avoir su gérer après l'accident et la perte de mémoire. Elle aurait du tout lui dire, lui raconter chaque détail du début à la fin, et tant pis pour les souvenirs censés revenir naturellement, d'eux-mêmes. Voilà, où ça les avait menés. Elle était pitoyable, et elle ne cessa pas d'être pitoyable de la journée. Elle resta là dans un état lamentable de longues heures, Pégase avec elle, puis elle annula le rendez-vous qu'elle avait, prétextant qu'elle était malade, et continua à se morfondre. En début de soirée, elle décida de se poser sur sa terrasse avec un paquet de clopes et une bouteille de vodka, et si lorsqu'elle alla se coucher, il restait de la vodka dans la bouteille, ce n'était pas le cas du paquet de clopes qu'elle avait vidé, tout fumé à la suite. En se réveillant le lendemain, seule dans son lit, elle fut prise de la plus grosse déprime du siècle et refusa simplement de se lever, attrapant un paquet de Ferrero Rochers dans sa table de chevet, et bouffant les vingt chocolats contenus dans la boîte. Sauf qu'il fallait bien se décider à faire quelque chose, parce qu'elle était bien trop attachée à Noah pour laisser tomber, surtout pour quelque chose d'aussi... débile. Et peut-être qu'elle serait accueillie par le canon d'un flingue, qui sait, mais elle était prête à braver tous les dangers. Alors en début d'après-midi, elle quitta enfin son lit, se brossa les dents et prit une douche, histoire de se rendre présentable, et elle retourna chez lui, sonnant à sa porte. Lorsqu'il ouvrit, elle avait trop peur qu'il referme la porte de suite, ou qu'il ne s'énerve, alors elle ne lui en laissa pas le temps. « Faut que j't'explique ok, c'est pas ce que tu crois » elle dit de suite, avant de marquer une pause. « S'il te plait » ajouta-t-elle ensuite, plus doucement. Les s'il vous plait merci et autres marques de politesse ne faisaient pas vraiment partie de son langage courant, mais là, ça lui importait, et rien que ça, ça changeait beaucoup de choses.

Elle aurait clairement du tout lui raconter en détails, et ce depuis le début, sans rien omettre. Jusque là, ça lui avait paru débile d'entrer dans sa chambre d'hôpital en le saluant et en ajoutant derrière ça qu'elle était sa pote tueuse à gage avec laquelle il s'envoyait en l'air, et qui un jour avait peut-être possiblement considéré que le tuer comme on le lui avait demandé arrangerait tous ses problèmes. Et oui, clairement, c'était ahurissant, mais ça lui aurait évité de se retrouver dans cet état plus que minable, à se morfondre et se lamenter. Et comme ça, Noah l'aurait virée de sa vie dès le début, et ça lui aurait évité un tas d'emmerdes, évité de passer deux mois avec lui pour se faire jeter comme une merde. Puis, malgré tout, elle ne regrettait pas, parce que ça avait été bien, ces deux mois. Vraiment. Pas d'emmerdes, de situations pourries et risquées, juste des journées tranquilles avec lui. Ce n'était pas idéal, loin de là avec les sautes d'humeur de l'un, celles de l'autre, puis la mémoire de Noah... Mais c'était déjà pas mal. Evidemment qu'il fallait qu'il y ait une chute, à un moment ou un autre, et visiblement, c'était arrivé. Visiblement, ils avaient eu leur dose de tranquillité. Le choc fut violent, un dur rappel à la réalité, et après s'en être plus ou moins remise, avoir encaissé comme elle le pouvait, elle décida de retourner chez lui, de tout lui expliquer. Parce qu'il n'y avait pas de raison qu'il lui en veuille, et il allait bien finir par comprendre qu'il avait une vision déformée de la réalité... du moins elle espérait. Elle sonna à sa porte et lorsqu'il ouvrit, elle ne lui laissa ni le temps de parer, ni celui de refermer la porte. A sa demande, elle ajouta même une marque de politesse, ce qui n'était pas dans ses habitudes. Y’a rien à expliquer Antey, j’me souviens très bien de ton flingue sur ma tête. J’sais que j’ai toujours tendance à faire le con, mais je doute que ce soit le genre de jeu qui m’excite ! il répondit, mais au moins, c'était une réponse, au moins il acceptait d'à peu près lui adresser la parole. De toute façon, elle était déterminée. Elle s'était enfuie la veille parce qu'elle était sous le choc, qu'elle ne savait pas comment réagir, qu'elle avait besoin d'être seule et de se poser. Mais là, elle allait lui rentrer dedans, vraiment. « C'était y'a genre... 8 mois, ok ? On s'connaissait à peine, on s'faisait même pas plus confiance que ça ! » elle dit, haussant un peu la voix parce qu'à elle, ça lui semblait aberrant, disproportionné, tout ça. Elle pouvait concevoir que pour Noah qui venait de s'en souvenir, c'était on ne peut plus frais, mais pour elle, c'était juste un vieux souvenir, quelque chose dont elle ne pensait pas reparler un jour. « Puis si j'avais voulu te tuer, tu serais mort » qu'elle ajouta, comme si ça coulait de source, et puis, c'était un peu vrai. Il ne s'était absolument pas défendu ce jour-là, et si elle avait voulu tirer, elle l'aurait fait. « Tu viens de t'en souvenir... C'est plus compliqué que ce que tu penses » fit-elle encore en essayant de capter son regard. « Laisse-moi entrer s'il te plait » ajouta Anteynara d'une voix posée, presque douce.

Elle avait décidé après tout ça de se pointer chez Noah. Elle avait laissé passer un peu plus de vingt-quatre heures, elle lui avait laissé ce temps-là, et l'avait utilisé pour se remettre de ses émotions inattendues, et maintenant, elle était décidée et déterminée. Elle avait mis de côté le choc de la veille pour redevenir la Anteynara qu'elle avait l'habitude d'être, et lorsqu'elle sonna à sa porte, elle se savait absolument prête à tout pour aller au bout de ses explications, et pour regagner Noah. Il ouvrit, ce qui était déjà un bon début, mais était loin de sembler coopératif. Elle lui demanda de l'écouter, de simplement lui accorder un petit instant, mais une fois de plus ce n'était pas suffisant. Il avait l'air de bouillir, tout simplement, d'avoir envie de ne surtout pas la voir, ce qui la blessait plus qu'elle ne l'aurait admis. Ce qui la poussait à bout, c'était que le flashback de Noah avait du durer quelques secondes à tout casser, qu'il avait vu ça ainsi, subitement, hors de tout contexte. Alors c'était normal que ça le fasse flipper, mais c'était frustrant pour elle qui connaissait l'histoire derrière tout ça. Parce qu'évidemment il se souvenait du flingue sur son front, mais pas de sa queue en elle exactement cinq minutes plus tard. Parce que la mémoire était une chose merveilleuse, pas vrai ? Elle avait tant de choses à lui expliquer à ce sujet, des choses qui justifiaient son point de vue, et elle en énonça certaines, sans entrer dans les détails, pour le prier encore de la laisser entrer. Magne-toi, j’attends quelqu’un. il fit, se poussant pour qu'elle puisse entrer. « Merci » dit-elle doucement en passant devant lui pour avancer dans la villa. Elle alla jusqu'au canapé où elle posa son sac, se mordant un peu la lèvre, sans savoir par où commencer. Et finalement, elle se tourna vers lui. « C’était juste après le truc du Canada... J'aurais jamais pressé la détente, enfin, j'veux dire... en trois secondes on avait viré le flingue et on s'envoyait en l'air sur le comptoir » elle dit, désignant de la main le meuble en question, qui se trouvait à quelques mètres. « Vraiment, si j'avais voulu te tuer, je l'aurais fait, j'aurais juste eu à tirer, rien m'en empêchait... je l'ai pas fait, j'en avais pas envie malgré tout ce qui aurait pu m'y pousser à l'époque » elle ajouta encore, tentant de le convaincre, mais ne sachant comment s'y prendre, ayant l'impression d'avoir déjà épuisé tout ce qu'elle avait comme ressources. « Si tu me crois pas, que tu penses vraiment que je me fous de toi ou que c'est un piège ou je sais pas, si c'est que tu crois... t'as qu'à te débarrasser de moi, je suis pas armée, je me défendrai pas » elle lui sortit finalement, haussant les épaules. C'était les mots d'une malade mentale, mais sur le coup ça lui paraissait tout à fait sensé. Peut-être pour le tester vraiment, ou pour lui montrer à quel point elle était sincère dans ce qu'elle lui disait, ou parce qu'elle était idiote et se disait qu'elle n'avait pas grand chose à perdre. Tout ce qu'elle savait, c'était que ces quelques mots, elle les pensait vraiment.

Pour elle, ce qui était arrivé ce jour-là n'était qu'un petit souvenir noyé dans tout le reste, quelque chose qui n'avait plus aucune importance. Ca n'en avait jamais eu, de toute façon, puisqu'ils étaient rapidement passés à autre chose, et n'en avaient pas reparlé. Sans doute qu'ils avaient tous deux considéré que la suite des évènements avait plus ou moins effacé ce petit moment de doute. Du coup, même s'il avait fallu lui en parler à l'avance, ce n'était même pas sûr qu'Anteynara y eût pensé, et surement que ça lui serait pas venu à l'idée de mentionner cet incident. Du coup, c'était plus qu'inattendu comme situation, et même si pour elle ça semblait absurde, elle allait avoir plus de mal qu'elle ne le pensait à expliquer les choses à Noah. Il avait enfin fini par la laisser entrer, lui accordant un peu de temps pour lui dire ce qu'elle avait à dire, même si celui-ci était compté puisqu'il attendait quelqu'un d'autre. Elle n'avait pas forcément envie de croiser cette personne, n'était pas d'humeur à être sociable, et elle préférait donc faire ce qu'elle avait à faire rapidement. Elle se lança dans son récit, commençant par le début, mais s'égarant rapidement. Au final, elle avait beau vouloir être précise dans ce qu'elle disait, elle se laissait rapidement glisser sur des explications vis-à-vis de ses intentions. Peut-être parce que ça lui paraissait plus important sur le moment, que ça lui semblait urgent, que ça lui pesait et qu'il fallait qu'elle mette ça au clair avant tout le reste. Elle tenta de lui expliquer qu'elle n'avait jamais voulu le tuer, que c'était loin d'être ce qu'elle désirait, alla jusqu'à lui dire que si elle avait voulu le faire, elle l'aurait fait tout simplement. Pourtant t’y a penser… il fit, haussant les épaules. Et là, elle ne savait même pas quoi lui dire ou comment s'expliquer. Bien sûr qu'elle y avait pensé, parce que ce message qu'elle avait reçu, c'était une porte de sortie, et tuer Noah aurait été l'action la plus logique, le choix pragmatique à faire. « Je... Ouais, parce que ça m'aurait sortie d'une situation merdique et... Ca aurait été la chose logique à faire, mais j'en avais pas envie, je sais pas pourquoi j'ai pris la peine d'aller jusqu'à chez toi avec ce flingue, peut-être que je voulais me convaincre que je tenais pas à toi au point de faire un choix débile, mais je l'ai fait et j'ai jamais regretté » elle lui dit, s'emballant un peu, puis elle enchaîna immédiatement, lui dit que s'il ne la croyait pas et s'il pensait réellement qu'elle avait de mauvaises intentions, qu'il pouvait faire ce qu'il voudrait, et qu'elle ne se défendrait pas. Elle regarda Noah soupirer, attendant sa réponse avec appréhension. J’vais pas m’débarrasser d’toi… c’est juste que… c’est putain de souvenirs qui vienne dans le désordre ou que à moitié ça me rends fou ! Je suis paumé… il lui avoua alors, et à son souvenir, c'était la première fois qu'il l'admettait à voix haute et aussi clairement, qu'il était complètement perdu. Elle essayait de se mettre à sa place, mais aussi rien que de le voir dans cet état, ça la déprimait un peu. Putain de merde, ça faisait deux mois... elle aurait juste voulu que les souvenirs reviennent intégralement, rapidement, et que les choses retrouvent un peu de leur sens. Elle s'avança doucement vers lui, et lui prit la main, délicatement, un geste de soutien, quelque chose qu'elle n'avait pas trop l'habitude de faire, mais qui lui était venu plutôt naturellement à cet instant précis. « J'imagine... Ca me désespère un peu moi, alors pour toi ça doit être mille fois pire » elle fit, avec une petite moue. Au fond, elle avait envie de le prendre dans ses bras, mais ça lui semblait un peu trop bizarre, au point qu'elle préféra contenir cette pulsion. Surtout que ce serait peut-être mal venu, ça pourrait tomber au mauvais moment. « Tu veux peut-être que j'te parle de certaines choses... ? Pour éviter d'avoir un repeat de cette merde ? Juste... pour savoir un peu à quoi t'attendre si jamais t'as de nouveau ce genre de flashbacks... ? » elle proposa, même si de base, c'était plutôt indiqué de le laisser retrouver ses souvenirs de lui-même. Mais il y avait quelques détails, des choses qu'elle ferait peut-être mieux d'évoquer avant que ça lui soit rappelé brutalement dans sa propre tête.

Elle avait essayé de lui expliquer, mais d'abord, il n'était pas vraiment prêt à l'écouter. Certainement qu'il lui en voulait, c'était un peu normal, et qu'il n'avait pas encore digéré, que sa colère n'était pas passée. Malgré tout, il la laissa entrer, et elle put s'expliquer, essayer d'exposer les choses clairement sans pour autant y parvenir tout à fait. Ca avait été compliqué, et sur le coup il avait peut-être compris parce qu'ils étaient sur la même longueur d'onde à cet instant-là, parce qu'ils se comprenaient malgré tout. Mais là, il réagissait dans l'immédiat à quelque chose qui était arrivé des mois et des mois plus tôt, alors qu'ils ne ressemblaient en rien à ce qu'ils étaient à présent, ou ce qu'ils avaient été même quelques heures avant l'accident. Il y avait comme un décalage qui rendait la situation indescriptible et compliquée. Et qui faisait qu'expliquer les faits était plus difficile qu'elle ne l'aurait cru. Lorsqu'elle lui proposa de se débarrasser d'elle, s'il ne la croyait pas, ça le calma un peu, et lui fit avouer qu'il était clairement paumé. Elle s'approcha alors, prit même sa main dans la sienne, et lui souffla quelques mots avant de lui proposer de répondre à ses questions, ou de lui parler d'autres évènements qui pourraient le surprendre s'ils se manifestaient en rêves, cauchemars, souvenirs... Mmmh là tout de suite j’crois que vaut mieux éviter, j’ai pas envie de niquer mon après-midi pour des conneries… mais j’t’appellerais ok ? il lui répondit en la regardant. Et elle pouvait comprendre, vraiment, surtout qu'il attendait quelqu'un et qu'elle allait donc ne pas le retenir. « Okay » elle fit avec un petit sourire. « J'vais te laisser » elle fit, avant de laisser sa main glisser hors de la sienne. « Je prends juste quelques unes de mes affaires, j'me grouille » elle lança, se dirigeant rapidement vers la chambre d'amis pour ramasser quelques trucs dont elle avait besoin, puis elle redescendit et fourra le tout dans son sac avant de revenir vers lui. « Ummm. A plus » elle lui sortit après s'être plantée face à lui, sans trop savoir ce qui était le mieux à faire, puis elle se hissa pour déposer un baiser au coin de sa lèvre, au coin à tel point qu'on pourrait se dire qu'elle visait la joue. Et elle fit volte-face pour sortir de la villa sans regarder derrière elle.