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Ses paupières s’ouvrirent en un sursaut éblouissant sur le plafond de la petite chambre d’hôtel qu’elle occupait depuis une semaine déjà. Rien de bien luxueux dans ce petit établissement miteux, dans cette petite chambre au papier peint miteux et dont l’évier dans un des coins ne semblait vouloir cesser de goutter. Le matelas n’avait rien de confortable, mais elle avait connu pire et surtout, elle ne payait pas bien cher et au fond, c’est tout ce qu’elle demandait. Une semaine déjà qu’elle avait posé pied dans la ville où son fils vivait à présent. La semaine passée, les retrouvailles tant attendues avec sa famille avaient eu lieu dans la même maison qui l’avait vu grandir. Bien sûr en presque quatre ans, les choses avaient changé et c’est avec une drôle d’impression qu’elle était montée dans son bus direction Miami. Seul son frère semblait comprendre pourquoi elle s’envolait à nouveau du nid familial. Voilà une semaine qu’un nœud gros comme une balle de tennis lui tiraillait l’estomac. Il ne lui avait pas fallu longtemps avant de retrouver leur trace. Les réseaux sociaux, internet, tout était bien plus facile que cela ne l’aurait été il y a vingt ans. Mettre la main sur une adresse n’était pas le plus dur. Oser se montrer, voilà ce qui lui faisait vraiment peur. Elle craignait la réaction d’Eggsy. Ce dernier n’avait pas répondu à sa lettre et elle se doutait que ce n’était pas par manque de temps ou bien parce qu’il ne l’avait pas reçue. Non, le message était très clair. Il ne voulait pas avoir affaire à elle. Comment pouvait-elle lui en vouloir ? Elle était entièrement responsable de sa situation, aucun doute là dessus.
Elle finit par sortir de son lit en poussant un long soupir résigné. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’il ne la repousse pas trop violement. Ou pas du tout même.
Dans la rue, elle ne réussit pas à apprécier l’ambiance pourtant chaleureuse de la ville, bien trop travaillée par ce qui allait se produire pour réussir à ne serait-ce respirer normalement. Une excitation bien tassée sous son angoisse essayait de percer, après tout, peut-être allait-elle voir Enzo ? Ce peut-être lui laissait une trainée amère dans la gorge. Elle finit par se poser contre un arbre pas loin de l’adresse supposée abriter celui qui aujourd’hui n’était plus qu’un étranger s’occupant d’un petit garçon qu’elle ne connaissait pas plus. Si elle ne s’était pas trompée d’endroit, elle ne pourrait pas les manquer, qu’ils arrivent de la rue ou sortent de la maison, elle les verrait.
A ce niveau là, plus aucune pensée cohérente ne semblait pouvoir se faire un chemin dans son esprit. Finalement, se disait-elle, venir était certainement la pire idée du siècle. Enzo ne la reconnaitrait pas, il ne l’avait jamais vraiment connue de toutes façons. Et elle s’imaginait Eggsy avoir retrouvé quelqu’un. Bien sûr, elle n’aurait jamais son mot à dire, mais quelque chose lui soufflait que ce cas là serait douloureux. Elle prit une longue inspiration, levant le visage au ciel, les yeux fermés, pour essayer de calmer cet incessant flot de pensées.


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Dire qu’elle ne s’attendait pas à une telle réaction aurait été mentir. Elle avait joué et rejoué ces retrouvailles dans sa tête plus d’une fois. Parfois, elle imaginait une rencontre mi-figue, mi-raisin, où elle avait la chance de rencontrer Enzo, d’imprimer son visage et de le garder précieusement dans un coin de sa tête avant que Eggsy ne lui demande de s’en aller. Cette version était moyennement agréable, elle n’y avait pas de réelle place, mais au fond, en avait-elle une ? Elle en était de moins en moins certaine. Dans une autre version, idyllique cette fois-ci, on l’accueillait à bras ouverts, Enzo acceptait de faire d’elle sa maman et son ancien petit-ami la tolérait à leurs côtés, mais généralement, elle finissait par se réveiller avec un drôle de goût à la bouche. Parfois, elle sortait de son cauchemar en sueur, trempant son lit, poussant un cri. Cette fois là, on ne la reconnaissait même pas et on la pointait du doigt en riant. Enfin, il y avait celle qui lui paraissait la plus plausible, la plus capable d’arriver, celle qui allait très certainement se produire à l’instant même. Eggsy l’envoyait balader, lui criait dessus, lui demandait de partir, elle n’avait pas l’occasion de voir son fils et repartait bredouille. Si elle se l’était passée en boucle depuis l’envoi de sa lettre, préparant diverses réponses, se mettant du plomb dans la tête pour ne pas perdre pied le moment venu, il la prit par surprise.
Elle sursauta, ouvrant pour la deuxième fois de la journée les yeux de manière inattendue. Sa voix la sortit de son calme apparent. Il était là, face à elle, s’approchant dangereusement, d’un pas rapide. Ses yeux qu’elle avait connu tendres, lançaient des éclairs et pour peu, elle aurait eu peur de lui. Son cœur se mit à tambouriner dans sa poitrine, tandis qu’elle se détachait du tronc contre lequel elle était appuyée. Comme pour se donner une contenance, elle serra des poings, la tête haute, décidée à ne pas se laisser faire. Pourtant, son ton de voix l’avait déstabilisé. Il avait mûri, son visage s’était durci, la vie lui marquant de ci, de là les traits. Mais, il n’avait pas tant changé que ça et si elle était bien consciente de ses tords, une vague de souvenirs lui revint à la figure. Ils avaient été heureux à une époque. Elle mit plus de temps que prévu à lui répondre et se douta que cela jouerait en sa défaveur. « Bonjour Eggsy. » Minable comme répartie, elle s’en rendait compte à chaque mot sortant de sa bouche. Elle l’observa un peu plus profondément et ne voyant pas de petit garçon à ses côtés, elle ressentit une légère déception, mais peut-être était-ce mieux ainsi, connaître ses parents en train de se déchirer, ce n’était pas l’idéal. « J’ai trouvé ton adresse sur internet. » Sans savoir pourquoi, elle n’arrivait à sortir que des banalités. Quelque chose lui disait que lancer le sujet de discorde n’était pas la bonne décision. Il n’écouterait certainement pas ses arguments, en fait, vu sa première réaction, elle en venait à se dire que cela ne valait même pas le coup d’essayer.


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Sa réaction était blessante. Evidente, pleine de sens, mais profondément blessante. En partant, sur un coup de tête, comme la majeure partie des décisions qu’elle avait prises dans sa vie, elle n’avait pas réellement songé à l’impact que son départ pourrait avoir sur Eggsy ou sur son fils. C’était terriblement égoïste et cette conclusion l’avait souvent tenue en étau ces dernières années. Une part d’elle-même se cherchait tout de même des excuses, après tout, elle était jeune, pas prête, leurs deux mondes trop différents, Enzo n’était pas un bébé comme les autres. Autant d’excuses qui ne seraient jamais recevables aux yeux du jeune homme posté devant elle, attendant qu’elle s’en aille. Elle l’écoutait attentivement, recevant chaque mot comme de petits coups de poignard dans l’estomac. Entrouvrant la bouche dans l’optique de se justifier, elle ne prononça pas la moindre parole, ne sachant finalement que répondre. Et il continua sa logorrhée de mots assassins, lui jetant à la figure ce qu’elle savait déjà très bien. Oui, elle était passée à côté de beaucoup de choses, raison qui l’avait poussée à se manifester, pour ne plus rien louper dorénavant.
Une de ses justifications, lorsqu’elle se trouvait avoir trop bu, était qu’à l’époque, elle n’avait pas encore assez profité de la vie pour avoir un enfant. Inacceptable bien entendu, quand on savait que c’est elle qui avait insisté pour le garder et que ce faisant, c’est à Eggsy qu’elle avait volé sa jeunesse. Elle ne lui dirait d’ailleurs pas, pas tout de suite du moins, mais elle ressentait une certaine fierté de voir qu’il s’en était si bien sorti. Jamais elle n’aurait la confirmation, mais elle n’était pas certaine qu’ils en seraient là si elle était restée. Seulement avec des si, on pourrait mettre Paris en bouteille, cela ne servait à rien du tout.
Son bras droit était venu se réfugier contre sa poitrine, empoignant son autre coude, position de repli, de défense face aux attaques de son homologue. Elle ne détourna pas le regard, mais sa voix avait perdu en assurance. « Je sais tout ça, c’est pour ça que je suis revenue Egg’. » Prononcer ce surnom qu’elle utilisait parfois et qui avait pour habitude de l’amuser, lui fit tout drôle, mais pas pour les mêmes raisons. Elle décida d’enchainer, reprenant un peu de confiance. « J’ai fais une bêtise d’accord ? J’en suis bien consciente, mais tu peux pas m’empêcher de le rencontrer. Je suis sa mère ! » Une petite voix lui chuchotait que ce n’était pas la chose à dire. Mais hélas, on ne reprend pas des mots une fois qu’ils sont sortis. Ce qui l’étonnait plutôt était de voir que Eggsy semblait persuadé qu’elle l’écouterait. Qu’elle partirait sans répliquer ou insister. Il l’avait mieux connue que ça. Bien sûr, il ne savait pas qu’elle avait engagé quelqu’un pour retrouver sa trace et elle ne le lui dirait pas non plus. Mais, bien plus que ça, elle était déterminée à voir son fils. Quitte à attendre devant toutes les écoles de Miami pour tomber dessus. Ce n’était pas son genre de laisser tomber. Du moins, pas si elle en avait décidé ainsi. « On était jeunes. » Aucune phrase sortant de sa bouche ne semblait être la bonne. Si seulement elle pouvait lui expliquer certaines choses, mais même avec ces cartes là en main, elle doutait qu’il puisse la pardonner un jour, il lui en voudrait de ne pas l’avoir dit sur le moment.


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En fin de compte, elle prendrait conscience que si lui ne pouvait pas l’empêcher de rester et de voir son fils, elle ne pouvait pas l’empêcher de déverser sa colère. Cette haine qu’il avait dû développer à son égard au fil des ans et qui, elle le devinait venait de prendre toute sa dimension lorsqu’il l’avait vue plantée là. Aussi douloureux cela était-il, elle allait devoir attendre que cette source se tarisse avant de pouvoir espérer quoique ce soit. Mais sur le moment, aucune de ses pensées n’avait de sens, elles affluaient toutes bien trop rapidement, aussi vite que son cœur battait dans sa poitrine, incohérentes, violentes et tristes à la fois. Jamais, elle ne l’avait vu dans cet état et savoir qu’elle était à la base d’un tel excès de colère la rendait presque malade. Tout le contraire d’elle, il était plutôt calme, posé, réfléchi. Il n’allait pas se jeter dans la gueule du loup sans avoir retourné la question. Il ne prenait pas de décision à la légère, ne s’emportait pas non plus de la sorte. Tout ça lui était auparavant réservé à elle. Mais pas aujourd’hui apparemment. Elle sentit les larmes lui monter aux yeux, tandis qu’il lui balançait au visage tout ce qu’il n’avait pas pu lui dire avant. Seulement, pleurer n’était pas la solution et elle craignait même que cela ne fasse qu’attiser sa rancœur. Il ne lui arrivait jamais de pleurer pour faire pitié ou pour s’attirer de la sympathie. Ce n’était le genre de choses qu’elle contrôlait, mais l’expérience lui avait apprise que les gens n’y croient quasiment jamais. « C’est mon fils que tu le veuilles ou non. » Les souvenirs remontaient comme un aliment mal digéré. Sa grossesse qu’elle avait passé à se demander si elle faisait ou non le bon choix. Ces mois à voir leur relation se dégrader, puis le diagnostique d’Enzo, la peur qui lui avait rongé le ventre, l’envie de s’envoler très loin, l’idée de devoir laisser Eggsy et son fils derrière. Toutes ces contradictions, ces choix qu’elle avait fait et regretté qui lui revenaient à la figure. Il avait raison, c’était un choix, qu’elle n’assumait plus. Elle était peut-être bornée, pas stupide. « Tu as raison, je n’assume plus. » Mais elle ne revenait pas pour se racheter une conscience, seulement pour assouvir ce besoin viscéral de connaître ce petit garçon qu’elle avait mis au monde.
Le visage d’Eggsy ne cessait de se durcir, dévoilant des traits qu’elle n’avait jamais vu auparavant. Elle prenait petit à petit conscience du mal qu’elle avait pu lui faire, pas qu’elle n’y ait jamais pensé, mais il lui facilitait drôlement la tâche. Elea continuait de l’écouter cracher son venin, sans bouger, sans cligner même des yeux, craignant de déclencher la crise de larmes qui allait finir par éclater. Et alors que le ton de son ex commençait à se calmer, elle sentit sa rage bouillir quelque part derrière le masque qu’elle s’était composée. Il lâcha finalement la phrase qui la fit bouger. « Peut-être que je ne le mérite pas, mais j’ai changé Eggsy, tu ne peux pas savoir ce qui s’est passé dans ma tête quand je suis partie. Ca t’arrange presque, pas vraie ? D’être celui qui a réussi à tenir le coup ! J’endosse plutôt bien le rôle de la méchante ! Mais je veux le voir ! J’ai besoin de le voir et tu ne m’en empêcheras pas ! » Tandis que sa voix venait de monter dans les aigus, à la limite de la rupture, la gorge enrouée de larmes, elle s’était approchée de lui, l’index accusateur pointé sur sa poitrine. Ce n’était pas une bonne idée que de perdre son calme, elle ne pouvait simplement pas s’en empêcher.


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La vie pouvait franchement être mal fichue, injuste, impitoyable. Et souvent, qui plus est, on ne choisissait même pas le bon chemin. La facilité était rarement la route à prendre, Elea l’avait appris à ses dépends. Elle n’était qu’une enfant lorsqu’elle en avait mis un au monde, elle était loin d’être prête. Mais c’était terriblement déplacé de prendre la position de victime et de reporter son erreur sur Eggsy qui avait dû tout gérer. Tout le monde n’a pas la même addition d’erreurs sur sa liste et la sienne prenait déjà beaucoup de place.
Elle s’était plus ou moins préparé à une réaction de la sorte, mais pas à ce qu’il soit complètement hermétique à ses arguments. Furibond, il lui répétait les même accusations, tout à fait légitimes au passage, ne déniant pas écouter ce qu’elle avait dire, balayant ses excuses et sa défense. Il avait l’air d’avoir décidé depuis bien longtemps qu’elle ne faisait plus partie de leurs vies et qu’elle n’y aurait pas sa place, jamais.
Malgré la douleur que cela pouvait provoquer, elle n’avait pas fait le chemin pour rien, refusait de le croire du moins et surtout elle n’avait pas encore abattu toutes ses cartes. Sa décision était murie, réfléchie. Elle voulait faire partie de la vie de son fils, ne serait-ce que dans un petit coin, rattraper le temps perdu comme on dit. Ainsi, sur le trottoir, elle se sentait ridicule, tout droit sortie d’un mauvais feuilleton. Il ne manquait plus qu’un amant caché surgisse de nul part et ils étaient prêts pour la télé. Mais cette pensée furtive ne l’amusa pas le moins du monde.
Eggsy se moquait aigrement de ses excuses, il n’y allait pas avec le revers de la cuiller, lui balançant sa vérité à lui, cette vérité qui la faisait passer pour un monstre. Elle était revenue, n’était-ce pas le principal ? Elle aurait aimé redevenir une enfant, pour pouvoir se cacher et échapper aux représailles, pour attendre que l’orage passe. Les enfants ont cette chance là que rien n’est jamais suffisamment grave pour ne pas avoir le droit à un pardon. Ce qui n’était plus son cas.
Il lui demandait de l’oublier, comme si elle le pouvait. Comme s’ils n’avaient pas été dans son esprit pendant ces quatre années au large… Et il finit par lui tourner le dos, s’éloignant d’elle, comme elle l’avait fait quelques années auparavant. Mais ce n’était pas fini, elle n’était pas d’accord. D’un pas vif, elle le rattrapa et le contourna pour se retrouver face à lui, bien plus près que voulu.
« Eggsy, écoute-moi s’il te plait. Je suis désolée, vraiment désolée, je sais bien que ça ne sert à rien, que le mal est fait, je peux pas rattraper ça, j’ai fais une connerie, mais maintenant je suis là et je compte rester. Laisse moi une chance, s’il te plait ! » L’impression d’être une vraie girouette la prenait à la gorge. Tantôt calme et froide, tantôt colérique, puis larmoyante. Elle ne savait pas quoi faire pour qu’il veuille bien l’écouter.



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