Elle avait reçu un message de Noah quelques jours plus tôt pour lui annoncer une nouvelle qui n'avait rien de très bon. Rincon, le chien, était malade. Mine de rien, ça lui avait fait un peu quelque chose, parce qu'elle s'y était attachée, à ce chien. Et Pégase aussi. Et par rapport à Noah, ... disons qu'elle se sentait un peu mal pour lui, parce qu'elle savait tout à fait à quel point Rincon était important pour lui. Anteynara n'était pas sûre de pourquoi il lui avait écrit ce message. Est-ce que c'était purement pour la mettre au courant de ce qui arrivait au chien ? Ou parce que malgré tout, il avait vaguement besoin d'en parler à quelqu'un qui pouvait comprendre. Ils avaient rompu depuis un petit moment, mais les choses étaient encore spéciales entre eux, et ça aurait été idiot de s'imaginer qu'ils aient subitement cessé d'être importants l'un pour l'autre. Malgré tout, elle se souciait de lui, et la dernière chose qu'elle lui souhaitait était de perdre son chien. Elle ne voulait pas imaginer ce qu'elle ferait s'il arrivait quelque chose à Pégase. Comme promis, elle comptait leur rendre visite aujourd'hui, et mit donc la laisse au cou de Pégase en lui expliquant très sérieusement que Rincon était malade et qu'il allait falloir être doux avec lui. Parce que visiblement Antey était bien placée pour donner des conseils en matière de douceur. Puis, en début de soirée, un peu avant que la nuit tombe, ils quittèrent la villa pour se rendre chez Noah, à quelques minutes de là. « Salut » elle fit très simplement lorsqu'il ouvrit, avant de détacher Pégase pour qu'il entre, ce qu'il fit, avant de disparaître à l'intérieur. Elle entra ensuite, et Rincon n'était pas bien loin, couché sur le canapé du salon. Pégase était allé se foutre à côté de lui, copiant sa position. Elle s'accroupit pour caresser le chien qui ouvrit un peu les yeux pour la regarder, puis se laissa caresser sagement. Ca lui donnait un peu la gerbe, de le voir si calme, de penser à ce que ça voulait dire. Elle se redressa pour sortir sur la terrasse, où il faisait un peu plus frais qu'en journée, puisque le soleil était en train de se coucher. Regardant silencieusement vers l'horizon, elle s'alluma une clope et commença à fumer. Visiblement, Noah avait eu la même idée, puisqu'il s'était foutu à l'autre bout de la terrasse, clope au bec, et elle ne remarqua sa présence qu'une fois la première taffe inspirée. Ils restèrent silencieux un moment, à fumer sans rien dire. « Ca va pas s'arranger alors ? » elle demanda finalement, la voix grave, sans que ça ne soit vraiment une question. Il n'y avait pas trop d'espoir pour Rincon, à ce qu'elle avait compris. Putain, elle aurait voulu être utile, mais pour quelqu'un qui avait toujours des solutions à tous types de problèmes, celui-là la laissait complètement vide.

Certaines personnes auraient pu trouver ça con, ou exagéré, tout ça pour un chien. Et Antey était la première à ne pas s'attarder sur ces choses-là, à ne pas faire dans le sentimentalisme. Mais en vérité, Noah n'avait pas vraiment besoin de dire grand chose, ou de montrer quoique ce soit, elle le connaissait bien assez, savait comment il fonctionnait et comment il était tout à l'intérieur. Elle savait aussi qu'ils avaient des points communs, dont celui-ci. Qu'ils vivaient tous les deux seuls dans une grosse baraque avec pour seule et meilleure compagnie un chien. Et elle n'était pas idiote, elle comprenait parfaitement que lorsque Rincon ne serait plus là... Noah irait plutôt mal. Qu'il se retrouverait tout seul, et que ça devait le tuer, de savoir que ça allait arriver et qu'il ne pouvait rien y faire. Elle comprenait bien, elle y avait pensé parfois, elle. Parce qu'elle se doutait bien qu'un jour Pégase disparaîtrait, et qu'elle serait dans la même situation. Et elle connaissait assez Noah pour savoir qu'il vivrait ça à peu près aussi mal qu'elle l'aurait fait à sa place. Une fois entrée chez lui, elle alla caresser Rincon, qui effectivement n'avait pas l'air bien du tout. Puis elle laissa Pégase avec lui pour se rendre sur la terrasse et fumer une clope. Une fois là-dehors, elle remarqua la présence de Noah, mais ne se tourna pas vers lui, profitant du silence pour regarder droit devant elle, les avant-bras appuyés sur la rambarde. Non, pas vraiment. Maintenant c’est le temps qui va décider du reste… répondit Noah, alors qu'elle demanda à sa façon si c'était vraiment la fin, ou quelque chose dans ce genre-là. Elle l'avait compris dans son message, mais le but là était surtout de faire parler Noah, juste un peu, pour voir dans quel état il était lui. Elle continua à fumer. C’est gentil d’être passé le voir en tout cas. C'était gênant, elle ne savait pas quoi répondre à ça, et ignora donc le commentaire. Le silence se prolongea un peu, tandis qu'elle fumait en regardant le soleil se glisser derrière l'horizon. Il faisait pratiquement nuit désormais. « T'as décidé de ce que tu vas faire quand ça deviendra trop critique ? » elle lui demanda, toujours aussi franche et directe. Peut-être que quelqu'un d'autre aurait évité le sujet, mais elle avait tendance à toujours foncer droit dans les sujets difficiles, sans peur de blesser. Finalement, elle tourna la tête vers lui, le regarda quelques secondes. « Si jamais t'es tout seul, tu peux compter sur moi hein tu sais ? Qu'ce soit pour aller chez le véto, ou après... » elle dit simplement, en recrachant sa fumée. Sa façon détournée de lui dire que s'il voulait qu'elle vienne avec, le jour où il emmènerait Rincon chez le véto pour la fameuse piqûre, elle serait là. Après un autre instant, elle quitta sa place près de la rambarde pour le rejoindre et écraser sa clope dans le cendrier, avant de s'asseoir à côté de lui.

Après avoir câliné le chien malade de Noah, Anteynara sortit sur la terrasse et se posa contre la rambarde pour s'allumer une cigarette. Arrivée dehors, elle remarqua la présence de Noah qui avait eu la même envie soudaine, et s'était calé à quelques mètres de là. Ils restèrent dans le silence et le calme pendant quelques minutes, un silence chargé, comme s'il faisait partie d'une conversation entre eux deux. Un silence qui se suffisait. Puis elle prit la parole pour se lancer dans un sujet qui n'avait rien d'agréable. De toute façon, sa visite toute entière était macabre, elle était venue là pour caresser le chien mourant de son ex. Elle ne voyait pas de quoi elle pouvait parler à Noah, à part l'énorme éléphant dans la pièce. Elle alla droit au but. Et la réponse était tout aussi déprimante qu'attendue. Et puisqu'elle restait elle-même en toutes circonstances, toujours douée pour aborder de façon inappropriée des sujets sensibles, elle lui demanda plutôt clairement ce qu'il allait faire de Rincon quand celui-ci arriverait au bout. Pas vraiment… J’suppose que quand il souffrira vraiment trop, j’abrégerais ses souffrances… Elle hocha doucement la tête, regardant l'horizon en fumant sa clope. C'était la chose la plus douce à faire, certainement. Rincon ne méritait pas de souffrir. Elle aurait pu dire à Noah que c'était bien la meilleure chose qu'il pourrait faire pour lui, arrivé à ce stade, mais elle se retint. Au lieu de ça, elle tourna la tête pour le regarder et lui dire à sa façon que s'il voulait qu'elle soit dans les parages, ça ne la gênerait pas. Peut-être que ça pourrait être une bonne chose, quelqu'un qui ne perdrait pas ses moyens, qui saurait rester solide. Il ne dit rien, elle ne s'attendait pas à autre chose, et elle vint donc s'asseoir sur le fauteuil à côté du sien. ça m’saoule de pouvoir rien faire ! fit-il, se prenant la tête, et elle ne commenta pas, le regarda juste du coin de l'oeil. Elle non plus, elle ne pouvait rien faire. Peut-être simplement... être là et disponible, et lui proposer de se vider la tête un peu. L'idée germa lentement dans sa tête alors qu'elle le regardait avec insistance, perdue dans ses pensées. Et toi alors... quoi de neuf depuis la dernière fois ? il interrogea, et ça sortait tellement de nulle part, mais elle ne releva pas, préférant hausser les épaules. Pas grand chose en fait. « J'ai pas mal bossé. D'ailleurs, j'ai un nouveau contrat un peu différent qui pourrait mener vers... j'sais pas, des nouveaux trucs pour moi. Evolution professionnelle, tu vois » elle expliqua avec un petit sourire en coin, amusée vaguement par ce qu'elle disait, hésitant un peu à lui dire exactement de quoi il s'agissait, puisque c'était un niveau ben au-dessus de ses clients habituels. Des criminels, hommes d'affaires, et autres personnes influentes mais qui n'avaient au final aucune grande importance pour elle. Mais bon, elle faisait confiance à Noah. « Disons qu'le gouvernement m'a contactée » dit-elle, lui faisant comprendre que c'était quelque chose que personne ne savait à part eux deux, et que ça devait rester comme ça.

Sur la terrasse, ils parlèrent brièvement de l'avenir de Rincon, et de ce que Noah comptait faire pour ne pas que les derniers jours de son chien soient trop atroces. Pour abréger ses souffrances. De toute façon, Anteynara ne voyait pas vraiment d'autre alternative. Elle savait que Noah était assez intelligent et sensé pour prendre la bonne décision et faire ce qu'il y avait de mieux pour son chien. Puis, elle savait aussi que c'était difficile pour lui, évidemment. Mais au moins, elle espérait un peu qu'il fût au courant qu'il n'avait pas besoin d'avoir honte avec elle, que s'il voulait aller mal et l'assumer, il le trouvait totalement, et elle ne jugerait pas. Au contraire. Mais finalement, ils n'allèrent pas plus loin, et Noah changea de sujet, interrompant un peu Antey dans sa réflexion alors qu'elle se disait que ce dont il aurait peut-être besoin, c'était se défouler. Ils parlèrent de son job, ou plutôt elle lui donna des nouvelles en lui annonçant quelque chose qui devait absolument rester entre eux deux. Si ça fuitait, elle saurait bien d'où, et même si elle faisait confiance à son ex là-dessus, elle  n'accepterait pas ce genre de trahison, peu importe d'où elle venait. Quoi ? Bah c’est plutôt cool ça ! Comment… comment ils sont venus jusqu’à toi ? Enfin comment ils ont su c’que tu faisais ? il dit, visiblement surpris mais content pour elle. Ca lui fit plaisir, même si elle n'allait pas l'avouer. Elle haussa les épaules pour répondre à sa question. « Ca se sait, ces trucs-là. A force de se passer des contacts » elle dit, s'allumant une nouvelle clope quelques minutes seulement après avoir fini la précédente. « Puis... j'ai une réputation tu sais » elle ajouta, un sourire en coin et un jeu de sourcil. Elle souffla sa fumée, se cala au fond du siège. Euh j’t’ai même pas demander… tu veux boire quelque chose ? On va pouvoir fêter ça ! il proposa alors, et elle sourit en hochant la tête.  « J'ai pas trop envie d'me bourrer la gueule, si t'as un truc genre jus ou smoothie j'suis preneuse » elle lui dit, à moitié perdue dans ses pensées. Elle n'était pas certaine que "fêter ça" était une bonne solution, et elle réalisait bien que Noah comptait utiliser ça pour faire diversion. Peut-être que ce dont il avait besoin plutôt, c'était de se défouler, de laisser sortir. Il était rentré chercher à boire, et elle décida de caler sa clope sur le bord du cendrier pour le rejoindre dans la cuisine et lui donner un coup de main, sortant les verres et les glissant vers lui, s'approchant un peu pour se retrouver à nouveau à côté de lui.  « Si t'as envie de te défouler. Te vider la tête. Je suis là. Bientôt faudra qu'on arrête nos conneries, mais en attendant... » elle dit, plutôt sérieusement, sans chercher à être spécialement sexy ou aguicheuse. Elle s'approcha un peu pour le dépasser, lui glissant dans ce qui était plus près  du chuchotement : « Si t'as envie de baiser vraiment fort », et elle continua son chemin sans regarder en arrière, retournant sur la terrasse, verre à la main, pour se remettre dans son fauteuil et reprendre sa clope. La dernière fois qu'ils s'étaient vu, c'était elle qui en avait profité, qui s'était défoulée. Elle savait à quel point ça pouvait être satisfaisant, alors cette fois-ci, elle lui proposait l'inverse. Peut-être pour la dernière fois, ou une des dernières fois, mais s'il voulait y aller fort, elle avait peut-être un peu envie d'avoir mal ce soir.

Elle avait choisi de lui parler de l'offre qu'on lui avait faite, et ce qui faisait de lui le seul à être au courant. Pendant toute sa carrière, elle s'était toujours appliquée pour être un électron libre, ne dépendre de personne. Dans son métier, on trouvait tous genres de personnes. Certaines avaient leurs propres buts, quelque chose à gagner en restant fidèle à certaines personnes. Des tueurs employés par une sélection de personnes bien précise. D'autres prenaient tout ce qu'on leur donnait. D'autres restaient sélectifs, mais pouvaient très bien tuer un jour pour quelqu'un, puis tuer cette personne le lendemain pour répondre à une offre. Antey, elle était vaguement de ce genre-là. Elle n'appartenait à personne, mais elle restait une associée sur qui on pouvait compter. Ca ne lui viendrait certainement pas à l'esprit de se retourner contre quelqu'un avec qui elle n'avait pas le moindre problème et qui avait toujours été correct. Mais malgré ce petit bout de loyauté, elle était fière de n'appartenir à personne, et de faire sa vie, tout simplement. Ce nouveau job, elle ne savait pas encore où ça risquait de la mener. Alors pour limiter tous dégâts possibles, il fallait que ça reste entre eux. Noah proposa donc de boire quelque chose, ce qui était clairement une diversion, mais pourquoi pas, et elle demanda un jus de fruit plutôt que de l'alcool. Euh ouais j’dois avoir ça, j’reviens ! A vrai dire, elle lui laissa à peine quelques secondes d'avance, puis alla le rejoindre pour lui glisser les verres, puis quelques mots, lui proposant à mi-mots de s'envoyer en l'air pour se défouler. Elle clarifia sa proposition, et retourna dehors, se posa dans son siège et reprit sa cigarette. Noah arriva ensuite et il s'installa face à elle. Pourquoi faudrait qu’on arrête bientôt nos conneries ? il demanda en la regardant. Elle le fixa, elle ne savait pas exactement, mais ça lui semblait être une bonne idée quand même. Elle haussa les épaules. « Parce que » elle marmonna, clope entre les dents. Le silence s'étira un moment, puis prit sa cigarette entre deux doigts pour la retirer, souffler la fumée. « Parce que j'pense que tant qu'on continuera à baiser, tu passeras pas à autre chose. J'pense que tant que tu te satisferas de ce truc entre nous, tu te voileras la face et tu te contenteras de ça. J'pense que tu fais diversion, parce que tu te sens seul, parce que t'as peur d'être seul. Et ça peut durer un temps, mais pas toute la vie. » elle lui expliqua lentement en le regardant droit dans les yeux. « J’pense même que ça peut durer encore, mais seulement si t'as conscience que faudra que ça s'arrête. Sinon tu vas t'enfoncer dans un truc dont tu sortiras jamais, et j'veux pas faire partie de ça. » elle ajouta, sans le quitter des yeux, avant de remettre sa cigarette entre ses lèvres et de continuer à la fumer en le regardant, attendant sa réponse. Peut-être qu'il se braquerait, que ça l'énerverait tout ça. Parce qu'elle était presque certaine qu'elle avait vu juste, et peut-être aussi parce que c'était la première fois, malgré tout ce qui s'était passé entre eux, qu'ils allaient droit au but, droit à l'intérieur de sa tête.