Ca faisait quelques semaines. Ils ne s'étaient pas revus en tous cas, depuis cette nuit-là. Pour Anteynara, ça avait été un sale moment, des heures longues et dégueulasses, dont elle se souvenait bien mais qu'elle avait rangées dans un coin de sa tête. Dans un coin, dans un tiroir, au milieu d'autres nuits tout aussi dégoûtantes, qui formaient pourtant son quotidien et auxquelles elle s'était habituée, au point d'être capable de contrôler son dégoût. Evidemment, et contrairement à ce qu'on pouvait croire, ça ne cessait jamais de provoquer des réactions, au fond d'elle, mais elle faisait avec, était capable d'encaisser. Alors voilà, une fois de plus, elle ne s'attardait pas sur le fait qu'elle avait passé des heures à découper un corps et à en jeter les morceaux dans l'océan. Ne s'attardait pas sur le fait que tout ça avait été une erreur monumentale, un accident même, et que personne dans cette histoire n'avait mérité ce qui était arrivé. Pourtant, c'était la réalité, et il fallait faire avec. Elle n'avait pas cherché  savoir comment Noah allait, même s'il y avait eu un bref échange de messages, une nuit. Rien d'autre. C'était son fardeau, et elle estimait lui faire une faveur en le laissant se débrouiller avec. Sa responsabilité à lui, elle était bien plus grande que la sienne. Et Antey savait par expérience que dans ce genre de situations, on a plutôt envie de se démerder seul avec les démons, sans avoir quelqu'un pour nous rappeler à chaque instant que c'était arrivé. Enfin, bref. Tout ça pour dire qu'après quelques semaines sans s'être vus, elle avait décidé de se pointer chez lui pour lui ramener les fringues qu'il lui avait prêté ce soir là, ainsi qu'un sweat à lui qu'elle avait toujours... et aussi, parce que malgré la distance, elle tenait encore à lui et voulait son bien, elle était passé dans quelques refuges de Miami et avait trouvé un nouvel ami pour lui. Elle y avait mis du temps, jusqu'à tomber sur un petit golden retriever, aveugle d'un oeil, en quête d'amour. Elle avait fait toute la paperasse possible, et il ne restait que quelques feuilles à remplir et signer par Noah, vu que c'était lui qui adoptait... sans le savoir encore. Dans un bras les fringues, dans l'autre le chiot, elle alla toquer à sa porte... et vu que ses mains étaient prises, elle donna quelques coups de pieds dans le bas de la porte, avec le bout de sa basket droite. « Salut » elle lâcha lorsqu'il ouvrit la porte, avant de rentrer sans lui laisser une seule seconde. « J'te ramène tes fringues. Et un sweat qui est chez moi depuis mille ans » elle fit rapidement en agitant les vêtements et les posant sur le meuble le plus proche, puis elle se tourna vers lui avec uniquement le petit chien dans les bras. « Et ça... c'est Romeo. Il vient habiter ici avec toi » elle présenta le chiot, avant de le tendre vers Noah, sans trop savoir quoi ajouter. Ce n'était pas dans ses habitudes de faire des cadeaux, ou des gestes de ce genre là. « Il est aveugle de l'oeil gauche, son ancien maître était pas tendre avec lui, et il aime les câlins » dit-elle, parce que c'était quelques précisions importantes. « Il a des cicatrices de guerre et il est un peu cassé de partout, mais il est tout doux... enfin, je me suis dit... il irait bien avec toi » Avec nous. Elle était maladroite comme toujours, lorsqu'il s'agissait de ce genre de choses, elle évitait d'ailleurs son regard. Un blanc, qu'elle ne savait pas comment combler, le regard papillonnant un peu partout, un sourire nerveux. « Bon. Je crois que... Euh, tiens c'est les papiers à remplir et signer pour Romeo ! Pis je vais vous laisser hein » elle lança, sortant les formulaires pour les poser sur la pile de vêtements et se tournant vers la porte.

Elle ne savait pas ce que sa relation avec Noah signifiait exactement, et merde. Qu'est-ce que ça pouvait bien faire ? Ils restaient amis, et il comptait encore pour elle. Il compterait certainement toujours pour elle. C'était évident. Elle avait vécu avec lui sa première rupture, son premier après-relation. Et c'était étrange mais à la fois, elle avait la soudaine impression de vivre dans la même réalité que la majorité du reste du monde, avec des soucis plus communs que ce qu'elle avait pu connaître jusqu'à présent, et c'était plutôt agréable aussi, d'une certaine façon. Parce que ça s'était bien terminé entre eux, et ils tenaient l'un à l'autre, pouvaient compter l'un sur l'autre... Ils se connaissaient et se faisaient confiance, et elle était salement fière de ça, parce qu'elle pouvait compter sur les doigts d'une seule main les personnes qui avaient sa confiance. A l'heure actuelle, Noah était le seul qui savait pour son nouveau taf, et c'était là aussi bien représentatif de leur amitié. Non, clairement, elle se sentait bien, avec la situation comme elle était, et tant pis pour le reste. Alors voilà, elle était venue lui apporter des fringues et surtout, Romeo, le chiot qu'elle avait adopté à son nom. Ce n'était pas pour remplacer Rincon, loin de là, mais parce que Noaah était seul, et qu'elle était bien placée pour savoir qu'un animal de compagnie était suffisant à rendre chaleureuse une maison vide. Puis, Noah avait de l'affection à donner, alors autant qu'il le fasse avec Romeo. La petite bête en avait bien besoin. Et avec ça, ne sachant ni quoi dire ni quoi faire, elle décida de s'en aller. Non attends. Tu peux pas débarquer comme ça et repartir comme si de rien était. Tu m’a même pas laisser le temps d’en placer une. Okay, c'était à peu près la vérité, et ça suffit d'ailleurs à la stopper dans son élan, même si le fait qu'il se mette à rire était franchement agaçant. Elle croisa les bras sur son torse, pas du tout amusée. D’abord… merci… Je ne pensais pas être prêt à avoir de nouveau une bête, mais quand tu m’la poser dans les bras… Fin… merci quoi… Tu n’étais pas obliger de faire ça et pourtant tu l’as fait… C'était gênant, elle avait simplement envie qu'il passe à la suite. Peut-être qu'il avait quelque chose à dire d'utile, ou de moins malaisant en tous cas que tout ce sentimentalisme. C'était quelques vieilles fringues et un chiot, pas de quoi en faire toute une histoire. Surtout que ce serait à lui de ramasser les crottes. Tu veux pas rester un petit peu… J’crois que Romeo veut pas te laisser partir maintenant non plus… Et évidemment, Romeo n'attendait que ça pour la regarder avec un air de chien battu qui étrangement, lui allait comme un gant. Noah s'y était mis aussi, et pour le coup en les regardant, elle se félicitait franchement de son choix car ils allaient parfaitement bien ensemble. Elle soupira. « Bon. Okay. Je reste un peu » céda Antey, revenant vers le salon pour s'y aventurer sans se gêner une seule seconde, avant de s'écraser sur le canapé. Romeo la suivit alors sans perdre de temps, et la copia, grimpant à son tour sur le sofa pour faire quelques aller-retours, comme pour tester les coussins et trouver l'endroit qui lui convenait le mieux. Il s'y coucha sagement sous les regards des deux humains dans la pièce. Elle se leva pour aller vers le frigo et y trouver une bouteille de Coca, parfait. Elle n'avait pas envie d'alcool, et décida que Noah non plus, tout en servant deux verres de soda qu'elle apporta dans le salon, le tout en entamant la discussion. « Comment ça s'passe ta vie depuis la dernière fois ? » Question anodine dans sa tête, jusqu'à réaliser la seconde suivante que la dernière fois, c'était la nuit terrible de l'accident, du meurtre, de tout ce bordel. Ca remontait à quelques semaines, et elle n'avait pas énormément bossé depuis, parce que ça s'était fait comme ça. Deux contrats, rien de plus. C'était tranquille ces temps-ci, elle avait des envies de voyage, des envies d'aventures et d'adrénaline. Ca devenait urgent, comme une addict en attente de sa dose. « Pas de nouveau cadavre au moins ? » elle ajouta, et c'était peut-être un peu trop tôt, et clairement mal venu, mais elle ne s'en rendait pas vraiment compte. Elle n'avait jamais été douée pour prendre des pincettes, ou pour rester appropriée.

Oh arrête de faire cette tête. Tu préfères que j’te dise merci et salut ? Il était légèrement fatiguant, mais bon, elle décida malgré tout de rester un peu, faisant bien comprendre que c'était un grand effort pour elle. S'installant d'abord sur le canapé, elle décida rapidement de se relever pour aller chercher à boire dans la cuisine, ne se gênant absolument pas pour faire comme chez elle. Anteynara revint donc avec deux verres de Coca, un qu'elle tendit à Noah et l'autre pour elle, avant d'engager la conversation. Boh t’sais boulot, métro dodo hein. Elle leva les yeux au ciel, une réaction instantanée qui venait du coeur. C'était toujours la même chose avec lui, il ne se passait jamais rien, ou peut-être qu'il n'avait simplement pas envie de parler. Pourquoi lui demandait-il de rester alors ? Peut-être qu'elle ferait mieux de simplement ne plus lui poser la moindre question, et leurs moments ensemble seraient plongés dans un silence maladroit. Et toi ? Le taf ça bouge un peu ? il demanda alors, et elle ne put s'empêcher de jouer à son jeu. « Un peu » elle fit, haussant les épaules. Puis elle enchaîna en le questionnant, faisant référence à leur dernière nuit ensemble. La fois où ils avaient mis en pièces ce pauvre gosse. Non. Heureusement, parce qu’un autre je tiendrais pas. Elle se demandait bien ce que ça voulait dire, "je tiendrais pas". Elle était presque curieuse de savoir ce qui arriverait dans ce cas-là, quelle connerie Noah ferait... T’aurais dû amener Pégase avec toi… Il aurait joué avec Romeo. dit-il ensuite, et elle secoua la tête. « Il est puni. Il a pissé sur un de mes vases chinois. Pour m'énerver... il savait très bien ce qu'il faisait » elle expliqua, amère, avant de se descendre son verre de Coca tout entier, et de le reposer sur la table bruyamment. « Bon » annonça-t-elle en se levant. « Je suis restée "un petit peu", j'espère que t'es content » elle lui adressa un micro-sourire et se baissa pour donner son trop-plein d'amour à Romeo, puis elle se redressa pour sourire à Noah. « Sois gentil avec lui » elle le mit en garde, avant de prendre sa veste et de sortir rejoindre sa voiture.