Il y a des jours qui ne laissent pas indifférent dans la vie d’un humain, de ces jours où une vie peut basculer. Donner la vie pour une femme fait partie de ces fameux jours si magiques, si beaux et si marquants. D’autant plus quand on a peu de moyens et qu’on offre la vie à deux petits garçons d’un coup. Gabriel est mon ainé de dix minutes et il a fallu qu’il ouvre toujours un peu sa gueule pour cela, toujours à se la jouer un peu le grand frère alors que nous avions le même âge, strictement le même âge et puis un jour … Cela n’a plus été … tout a volé en éclat, une dispute, des coups sur une table, des portes qui claquent et en souvenir, une blessure qui restera à jamais gravée dans un cœur qui n’en demandait guère plus pour se refroidir … Ce frère que je hais désormais et à qui je ne parle plus est un héros pour beaucoup, ancien militaire, il est intervenu lors d’un braquage et a pris une balle dans le buffet. Aujourd’hui dans le coma, je ne sais pas s’il survivra. Là n’est pas la question, une partie de moi y crois, putain après tout, nous sommes jumeaux. Qui suis-je ? Je ne me nomme Spector Liam et servez-vous un café car, je vais vous conter mon histoire.
New-York, 1988
Nous allons en sortie scolaire avec ma classe et voilà que je pose mon petit pied dans un musée pour la première fois de ma vie. Je suis un peu surpris par la taille d’un squelette de dinosaure qui nous accueille, il est immobile mais une de ses dents fait un peu moins de la moitié de ma taille totale donc c’est assez surprenant pour un môme. A mes côtés, se trouve mon frère le petit chéri à papa et maman … il est aussi le préféré de l’enseignante, moi je suis tout son contraire. Autant il est organisé, autant je suis bordélique, autant il est amical autant je suis froid. Il est généreux, je suis égoïste. Nous sommes bien jumeaux et pourtant si différents. Il nous arrive de nous battre mais si un autre le touche c’est à moi qu’il a à faire. Moi seul peux le cogner et l’inverse est aussi vrai. La sortie doit se conclure par une partie qui va me marquer et me donner une envie et pourtant, je n’ai que six ans. Le coin Egypte ancienne est à portée de main, une momie y est exposée ainsi qu’une statue d’un homme à tête de chien, j’apprendrai plus tard qu’il s’agit là du dieu Anubis, le passeur des morts, celui qui pèse le cœur des trépassés avant leur voyage vers l’au-delà. J’aimerais passer plus de temps à lire ce qu’il y fait, marqué même, s’il y a des mots que je ne comprends pas encore, que je ne sais même pas lire en toute sincérité. Je suis fasciné, envouté ou presque. C’est réellement cette salle que je retiendrai de ma sortie.
New-York, 1998
Mes parents sont peu aisés financièrement et pourtant nous ne manquons de rien avec l'autre crétin qui me sert de frère. Certes nous n'avons pas les derniers jeux-vidéos à la mode ou les dernières baskets de marque mais, on ne se plaint pas trop, nous avons tous les soirs à manger et un toit sur la tête. Je commence à m'éloigner de mon frère, il n'est pas le gars avec qui j'ai envie de trainer. Le petit saint est trop propre pour moi qui commence à fumer et suis souvent impliqué dans les bagarres ou dans les conneries du lycée. A peine arrivé qu'un des gars de terminal a voulu me mettre au pas … manque de pot pour lui, je n'étais pas à prendre avec des pincettes ce jour-là. Résultat ? Un nez fracassé et la tête dans les toilettes pour lui montrer la petite merde qu'il était. Je me suis fait virer de ce lycée au bout de deux mois à peine, record du bahut d'après les dires. Cela me va j'aurai au moins ça à mon palmarès. Je peux voler de mes propres ailes, je ne suis enfin plus comparé à l'ange, je suis Liam et c'est tout. C'est dans un lycée un peu plus glauque que je me retrouve, terminé les petits anges qui ressemblent tant à Gabriel, ici je suis dans un monde de requins, cela tombe bien, j'en deviens un. C'est là que je rencontre mon meilleur ami et qui me fera tester mon premier joint, un spleen qui entrainera une étreinte, des coups de reins et un premier flirt au coin d'une ruelle sombre une nuit d'automne. Premier amour et aussi première désillusion mais, au moins l'autre con n'en sera le responsable. Deux jeunes testant leur libido avant un passage dans les années deux mille et son fameux bug tant attendu.
New-York 2001
Voilà déjà une année que je n’ai pas de nouvelles de mon frère, ce dernier est parti à l’armée en grand saint qu’il est. Monsieur veut sauver le monde, se montrer supérieur une fois de plus. Je suis toutefois patriotique et je veux que l’on gagne toutes nos guerres et qu’il revienne en vie. Je commence à bosser doucement dans une banque comme étudiant, je suis dans un premier temps à l’accueil pour les conneries du genre la carte bloquée, expliquer à mémé comment on fait un code et ce genre de nullité, les jours où je ne bosse pas, je me retrouve à la fac pour mes études. J’ai abandonné l’idée de devenir archéologue, trop cher pour mes pauvres parents. Je n’ai pas obtenu non plus une bourse car pas assez méritant et pas sportif pour un sou. Le seul sport que je pratique se fait avec en duo et n’est pas olympique du tout. C’est dans la banque où je bosse que je vais rencontrer Anatoly Oulianov, un russe qui va me prendre à la bonne. Une partie de mon histoire a tourné ce jour-là mais est-ce en bien ou en mal ? Cela reste selon l’opinion de tout un chacun. Cet homme est venu plusieurs fois me voir juste pour parler et au début, j’ai cru qu’il me draguait, je me trompais lourdement, il plaçait simplement ses pions et je n’allais pas à en devenir un doucement mais surement. Un jour en riant, je lui ai dit que je n’étais pas du même bord que lui et cela l’a fait rire, il a fait un geste et une femme d’une certaine beauté est entrée en minaudant, elle était sa troisième ou quatrième épouse d’après ce qu’il me disait, je n’ai pu m’empêcher de pouffer de soulagement, un certain poids s’était envolé d’un coup. Il venait simplement faire des affaires avec un de nos conseillés mais aussi me tester. Pourquoi moi ? Tout simplement au feeling, voilà ce que fut sa réponse quand j’ai osé lui poser la question. Cet homme approchant la cinquantaine avait un don pour sentir des choses et sans doute qu’il avait déjà enquêté sur moi pour savoir ce qu’il voulait connaître. Il m’offrait une porte de sortie que je ne tarderais pas à prendre en sachant que je mettais dans la gueule du loup et il n’y avait pas de petit chaperon rouge cette fois.
New-York 2006
Gabriel est revenu, je le trouve différent et nous passons plus de temps ensemble. Il nous arrive souvent d’aller nous souler la gueule après mon boulot. Sexe, drogue et alcool, le mélange parfait pour qu’on devienne enfin les jumeaux que nous devrions être. Il n’est pas rare que nous nous amusons à nous faire passer pour l’un l’autre afin d’avoir les filles que nous voulons dans notre lit au petit matin.
Toutefois, il a fallu qu’il redevienne l’enculé qu’il a toujours été … un soir alors que je semble réellement attaché à une nana, j’ai entendu un bruit qui m’était connu. Sans hésiter, j’ai pénétré dans la chambre de mon frère et je l’ai vu. Son bassin claquait frénétiquement contre celui de l’autre garce… elle avait toujours voulu se taper des jumeaux et elle avait était servie. J’ai attendu que mon pseudo frère se finisse et ensuite je me suis défoulé sur sa gueule d’ange … une droite directement dans la mâchoire, la bagarre a été violente je crois que nous avons tout pété dans l’appartement ce soir-là. Les flics sont intervenus et évidemment c’est moi que l’on a embarqué … lui était un héros de guerre et mon cul … je suis certain qu’il a été un des pires planqués que cette foutue armée ait compté dans ses rangs ! Dans un dernier regard rempli de haine, je lui ai craché à la face. La suite a été pour moi une cellule durant quelques heures avant qu’Anatoly m’envoie Zoltan, l’un de ses hommes de confiance, pour payer ma caution. Maintenant en plus de travailler pour lui, je lui suis redevable et l’on sait qu’avec ce genre de type une dette est sacrée.
New-York 2012
C’est le soir où, je vais pourvoir honorer ma dette. Je dois convaincre l’épouse d’un haut placé de coucher avec moi pour ensuite le faire chanter via des photos très compromettantes. J’ai de la chance, la femme que je dois manipuler est réellement une beauté, je ne vais pas me faire prier pour la faire crier. La soirée se passe divinement bien au point que je n’ai aucune difficulté pour l’emmener dans un endroit bien précis, un bar où seuls des initiés peuvent entrer. La dame en est une et peu farouche dans les locaux. Mur de velours rouge, tapis de sol d’une couleur satinée, ambiance feutrée, je me croirais dans un film pour adulte alors que je suis bien dans la réalité. Rapidement, nous prenons une chambre à thème, elle me fait une demande spéciale, la traiter comme un animal, bordel j’ai compris et je me fais obéir des plus rapidement en prenant des photos de nous dans des positions suggestives à faire pâlir Eros et Aphrodite réunis. Je n’ai pas peur et je pense que cet endroit nommé The Decadent, aussi connu sous TD par ses initiés, va devenir mon petit paradis.
Miami 2015
Une brise me réveille en toute légèreté. J’ai gagné la confiance définitive d’Anatoly après lui avoir remboursé ma dette. On peut dire désormais que je fais partie de son clan pour ne pas dire famille, nous laissons cela aux italiens. Mes mains ont fait couler le sang mais c’est surtout par ma place dans la finance que j’ai réussi à faire mon trou. Pour la seconde fois, je me réveille dans la ville côtière, je n’ai que peu dormi, la gueule de bois est assez violente, j’ai des hauts le cœur, je risque de gerber mais non … La vodka ce n’est définitivement pas pour moi ou en tout cas à forte dose. Je vais pourtant devoir me lever, m’habiller et aller non pas travailler mais superviser l’arrivé des meubles de mon nouveau bureau. Avec le fils du russe, je vais m’atteler à augmenter le capital des actions de son paternel. Une douche froide, un costume bleu nuit, des lunettes noires vissées sur un masque des mauvais jours et surtout un duo de médocs contre le mal de crâne plus tard, me voilà enfin à la banque, je salue Oulianov junior et nous commençons à donner nos ordres. Une nouvelle vie débute pour moi loin de Saint Gabriel.
Miami de nos jours
Voilà désormais deux ans que je vis ici, je m’y sens bien, loin de lui. Ce frère qui aurait dû être mon complice mais qui est mon vice. Nous sommes désormais deux étrangers, nous ne nous parlons plus, nous ne nous portons plus un regard, je ne sais rien ou presque de sa vie hormis qu’il a été fiancé à une jeune femme nommée Dulce mais dont j’ai oublié le patronyme. Même elle n’a plus voulu de lui. Doucement dans un ricanement, je pousse la porte de mon établissement, la banque va bientôt ouvrir et j’ai quelques financements pour mes russes favoris et voilà que je suis dérangé par le téléphone, mes parents Gabriel est encore le sujet de conversation … Il a pris une balle en voulant jouer à superman, une fois de plus il s’est cru invincible et il a failli le payer de sa vie. Crétin … Je raccroche après avoir dit à ma mère que je dois travailler et pousse un soupir. Je ne pense plus qu’à une chose désormais et cela se nomme dollar avant un weekend mérité et certainement ensoleillé comme on pourrait le chanter.