Le lac est un endroit romantique par excellence. C'est clairement là où on rêve tous de se faire demander en mariage, alors quoi de mieux qu'un balade en canoe pour sortir la bague de fiançailles ? Sans doute que ramer pendant des heures ne sera pas aussi excitant que l'image qu'on s'en fait, mais peut-être qu'à la fin de la balade, celui ou celle qui aura le plus sué aura le droit à une petite gâterie ?
« Arrêtez de crier ! lâchai-je sèchement à une jeune femme que son petit ami venait de gifler. Voyez ses coups comme les libérateurs du mal qui vous habite. »
Comme motivé par ce que j’avais adressé à l’encontre de son amante, l’homme la gifla si fort qu’elle se retrouva complètement sonnée. Titubant en arrière, elle fit tomber un chevalet sur lequel se trouvait un panneau informant les clients de la boîte de nuit sur les activités de la Saint Valentin.
C’est ce qu’on appelle faire d’une pierre deux coups, pensai-je en regardant le panneau à terre.
Parmi toutes les fêtes, la Saint Valentin était celle qui me dégouttait le plus. Elle poussait à la consommation, elle n’avait pas de réel intérêt et elle me rappelait que cela faisait déjà plusieurs mois que je me trouvais loin d’Andrew. Mon époux et maitre me manquait plus que tout, mais je lui avais promis de détruire Alec, alors je ne pouvais pas retourner à ses côtés tant que ce n’était pas fait.
Mais ce meurtrier restait introuvable. C’était même à ce demander si l’information que nous avions eu au sujet de son positionnement n’était pas étonnée. Alors, pour ne pas perdre de temps dans cette ville de débauches je prêchais les bonnes paroles d’Andrew à des oreilles qui me semblaient être potentiellement attentives.
« N’écoutez pas ceux qui vous disent que frapper quelqu’un est mauvais. J’ai été frappée, et je remercie Dieu chaque jour pour ça ! racontai-je à l’homme. Si vous voulez que vos histoires de couples s’arrangent, voici un lieu qui devrait vous convenir. »
Avec un grand sourire je lui tendis la carte de la secte. Il l’attrapa d’un geste vif et poussa la femme vers la sortie en lui hurlant tout un tas d’injures. Sur ce, ayant terminée ma journée j’attrapais mon manteau et partait vers mon appartement pour m’écrouler dans mon lit.
***
Il était près de onze heures quand la sonnerie de mon téléphone portable me réveilla. Je venais de recevoir un message de mon père m’indiquant qu’Emma avait très bien dormi. Heureuse de cette information je serrai le mobile contre mon cœur, comme s’il représentait ma fille. Mais ce bonheur diminua lorsque je me rappelais ce qui c’était passé la veille. Le monstre avait encore fait des siennes et j’avais été incapable de la contrôler. A cause d’elle, une femme avait été frappée, peut être à mort.
A cette pensée, je sentis une boule se former dans ma gorge. Quand cela allait il donc cesser ? Combien de gens allaient mourir ? Combien allaient souffrir ? Combien allaient perdre la tête ? Un nouveau message me demandait quand je comptais passer récupérer Emma. J’hésitais un instant mais en voyant le calendrier je décidais de demander à mon père de la garder une journée de plus. Nous étions le 14 février, jour de la Saint Valentin. Afin de faire comprendre au monstre et à Andrew qu’ils n’étaient que des monstres du passé, j’allais penser à moi. J’allais sortir pour trouver un homme ou une femme qui me ferait oublier le passé.
Après une légère consultation des activités proposées dans la ville je décidais de me rendre au lac. Une pancarte indiquait qu’il fallait être à deux par canoë. J’attendais donc qu’une personne arrive seule pour lui proposer d’embarquer avec elle.
C’était un homme aux cheveux bruns, un sourire charmeur sur le visage. D’un pas décidé j’allais à sa rencontre.
« Vous cherchez quelqu’un pour vous accompagner ? demandai-je. On peut partager un bateau si vous le désirez. »
« On m’a dit que vous aviez besoin d’un compagnon de route et je suis malheureusement seul donc … _ Parfais ! Dans ce cas inutile de rester planter là, lâchai-je avec un petit sourire amusé. »
Il haussa un peu les épaules et je craignais un instant qu’il change d’avis. Je lui semblais peut être un peu trop bizarre. Ou trop motivée à l’idée d’embarquer avec un inconnu. Mais finalement il me rendit mon sourire. Il s’avança et je le suivis en direction des canoës.
« Je m’appelle Lukas et toi ? me demanda-t-il avant de reprendre. Je me permets de te tutoyer, ça ne te dérange pas ? _ Oh non pas de problème. Vouvoyer ça vieillit. Ou alors ça fait trop sérieux. »
De nouveau j’affichais un petit sourire. J’étais bien décidé à m’amuser et à ne pas écouter ce que le monstre pourrait dire dans ma tête. Mais pour le moment, tout allait bien. Elle était silencieuse. Quand j’embarquais dans le canoë avec l’aide de Lukas, il tangua légèrement. Mais je parvins à trouver l’équilibre et à m’asseoir sur le petit siège prévu à cet effet.
« Oh en fait, moi c’est Aislinn, dis-je en réalisant que je n’avais pas répondu à sa première question. »
Je trouvais à mes pieds un gros bidon étanche qui permettait de ne pas mouiller et couler nos affaires si on se retrouvait à l’eau. Le lac avait l’air plutôt calme mais dans le doute, j’y plaçais mon sac.
« Tu veux mettre quelque chose dedans ? lui proposais-je. »
J’attrapais ensuite une rame et la plongeait en partie dans l’eau. Elle était plutôt lourde mais ce n’était rien en comparaison avec certains poids que j’avais soulevés à la secte. Malgré tout, j’étais bien obligée de reconnaître que ces mois de tortures m’avaient donnés une grande force musculaire.
« Bien, vers où voulez vous aller ? Je vous préviens, cela fait une éternité que je n’ai pas fait de canoë ! »
C’était sur la Wye avec Rory et Gwen, l’été de nos dix ans. A cette pensée un petit frisson parcourra mon échine. Depuis que j’étais sortie je n’avais pas eu le courage de prendre de leurs nouvelles. J’avais peur qu’ils me fassent des reproches. Que Rory m’en veuille d’avoir épousé un autre homme que lui, qu’il ne comprenne pas. Je préférais les imaginer tous les deux, vivants une vie heureuse et paisible. Je chassais ces souvenirs de mon esprit pour regarder Lukas qui était devant moi. Peut être était-il en train de regretter d’avoir embarqué avec moi.
« On peut aller droit devant nous dans un premier temps et puis ensuite on verra pour bifurquer, proposa-t-il. Je sais pas ce qu’il y a d’intéressant à voir … à part le soleil couchant peut-être. _ D’accord, ça me convient ! »
Je ne préférais rien dire d’autre afin de me concentrer sur les mouvements de ma pagaie. Mais lorsque je commençais à ramer j’eu la surprise de constater que je me débrouillais encore assez bien. Lukas avait l’air plongé dans ses pensées, je le laissais donc en compagnie de lui-même pour quelques instants.
« Tu devais être accompagné de ton petit-ami ? demanda soudain Lukas. C’était prévu que j’y aille avec la mienne mais elle a été placée dans une autre activité, je ne sais où … Moi qui me faisait un plaisir de passer ma première St Valentin avec elle ! C’est un raté ! »
Cela semblait le contrarier car la rage avec laquelle il claqua sa pagaie sur le lac nous éclaboussa. Au contact de l’eau froide sur ma peau me fit légèrement frissonner. Instinctivement je serrais un peu plus l’écharpe que j’avais autour du cou.
« Oh que s’est il passé ? demandais-je curieuse. »
Je regrettais presque aussitôt ma question. Ce n’était pas parce que j’avais décidé d’être sociable qu’il fallait que je me mêle de ce qui ne me regardait pas ! Le pauvre jeune homme n’avait sûrement pas envie de raconter ses problèmes de cœur avec une inconnue. « Oublie ma question, m’excusai-je. J’espère que ça s’arrangera entre vous. »
Ce n’était que pure politesse. Je ne connaissais pas la femme en question et je ne pouvais pas dire que je connaissais Lukas après quelques minutes sur un lac. Rien ne me disait si ce couple était vraiment recommandable. Tandis qu’un autre bateau nous coupait la route et que nous arrêtions de pagayer un petit moment, j’en profitais pour réfléchir à la réponse que j’allais lui donner au sujet de ma vie amoureuse. Lorsque nous repartîmes je décidais de lui donner une vérité dédramatisée.
« Et non, je ne devais pas être accompagnée de mon petit ami, répondis-je enfin. Pour tout te dire, je suis mariée. Mais disons que nous sommes séparés depuis quelques mois. »
Je fixais ma bague quelques instants. Malgré sa valeur, il m’était arrivé plusieurs fois de la jeter. Mais à chaque fois, le monstre s’était réveillée pour aller la récupérer. J’allais donc éviter de prendre ce risque aujourd’hui.
« Il est au Canada, précisai-je au cas où Lukas aurait peur de se retrouver face à un mari jaloux. »
« Tu sais des fois ca à du bon les séparations. C’est souvent douloureux mais on en ressort grandis. »
Je fis un léger sourire. Il ne croyait pas si bien dire ! Cette séparation ne m’avait pas seulement fait grandir. Elle m’avait sauvé la vie. A l’idée que j’aurai pu me retrouver boquer toute ma vie dans la secte je frissonnais.
« Bon et sinon, tu fais quoi dans la vie ? demanda-t-il. Vu qu’on est ensemble pour un moment pourquoi ne pas apprendre à se connaitre un peu ? »
_ Tu as parfaitement raison. Je suis serveuse dans une boite de nuit, répondis-je. »
Je ne précisais pas le nom de l’établissement mais de toute manière il était fort probable que mon lieu de travail ne lui aurait pas trop parlé. Nous étions à Miami, les boites de nuits se comptaient en dizaines !
« Moi je suis assistant-vétérinaire, mais j’aimerais devenir un véto et travailler au zoo de Miami. Je sais qu’il y a une possibilité de boulot là-bas, j’ai plus qu’à me lancer. Mon poste en cabinet me plait mais je n’ai pas envie d’attendre indéfiniment une augmentation. » _ Oh c’est super ça ! fis-je simplement »
J’aimais beaucoup les animaux mais je n’aurais jamais pu devenir une vétérinaire. Surtout dans un zoo où certaines espèces n’étaient pas des plus rassurantes ! De plus j’avais toujours entendu dire que les études faire ce métier n’étaient pas faciles. Mais peut être qu’une longue expérience suffisait ? Après tout je n’avais pas fait une seule année d’étude en agriculture, mais avec ce que j’avais fait la secte je pouvais sans le moindre souci travailler dans une ferme. La traite n’avait plus le moindre secret pour moi.
« Et tu ne vas pas avoir besoin d’études supplémentaires pour passer d’assistant vétérinaire à Vétérinaire ? demandais-je cependant avant d’ajouter. Je me dis parfois qu’il faudrait que je reprenne des études. J’étais bonne élève avant, à mon avis je dois pouvoir trouver autre chose que Serveuse.»
Nous étions à présent à coté d’une petite île qui semblait entièrement sauvage. Lorsque nous fûmes assez près j’aperçus un petit panonceau qui indiquait « Ici se trouvent des Paruline de Kirtland. Merci de ne pas les déranger ! ». Je renonçais cependant à m’éloigner totalement. Préférant avoir l’avis de Lukas. S’il était passionné par les animaux il voulait peut être saisir l’occasion d’apercevoir l’un des oiseaux. Je ne m’y connaissais pas vraiment mais je savais qu’ils étaient assez rares.
« Tu veux rester un peu ? proposais-je d’une vois basse. »
« Ce serait avec plaisir ! Les animaux c’est mon dada comment refuser ? _ Alors allons y dans ce cas, souris-je. »
A coups de pagaies nous nous approchâmes de l’île. Nous n’avions pas le droit de nous aventurer sur l’île mais j’étais sûre que personne n’irait nous reprocher de nous arrêter sur cette petite plage. Ainsi Lukas pourrait observer les oiseaux. J’étais heureuse d’offrir ce moment à un inconnu. D’une certaine manière cela faisait un peu pencher la balance de mes actes vers le bien. Après les horreurs que j’avais commises pour la secte. Une fois près de la plage je me levais pour m’apprêter à sortir du canoë. Quand soudain, je me retrouvais à plat ventre dans l’eau et mon esprit se trouva dans une succession de sentiments et d’impressions.
Il y eu d’abord le choc. Je m’étais préparée à avoir froid et à être mouillée. Mais je ne m’attendais absolument pas à tomber ! Puis ce fut le froid. L’eau était vraiment glaciale. J’avais presque du mal à sentir les différentes parties de mon corps. Sauf ma tête. J’étais tombée sur un caillou pointu et à cause de cela ma tempe était douloureuse et le fait d’y penser rendait la douleur encore plus intense. Après, c’est la rage qui me submergea et je compris que le monstre allait débarquer. C’était l’un des éléments déclencheurs. Alors je pris peur. Cet homme était un gougeât, mais le monstre allait vraiment gâcher ma journée.
« Désolé, mais ma copine m’attend, l’entendis-je dire. »
Etait-ce une excuse pour me faire tomber ? Pour me laisser sur une île au milieu d’un lac glacial ? Certainement pas ! J’avais envie de lui dire quelque chose mais le mal de crane était trop intense. Ce n’était plus ma tempe qui me faisait souffrir. Cela était plus interne. Elle allait bientôt être là…
***
« Tu le payeras cher espèce de bon à rien ! J’espère que tu te feras bouffer par les animaux que tu voudras soigner ! criai-je en me levant. »
Je n’allais pas rester ici à attendre que quelqu’un vienne me chercher. Alors je décidais de marcher vers le bord du lac puis lorsqu’il serait plus profond je nagerai. L’eau froide ne me faisait pas peur. Je n’étais pas l’une de ces idiotes qui grelottaient dès que la température de l’eau était inférieure à 15°. J’avais nagé dans des eaux ayant une température négative. Assez vite je me trouvais sur la terre ferme. Un type des loueurs de canoës vint à ma rencontre et me rendit le sac que l’idiote avait mis dans un bidon étanche. Je les prenais dans un geste furieux. Je n’allais pas oublier ce Lukas et j’étais prête à lui faire vivre un enfer. Et j’étais prête à parier que pour une fois l’idiote n’allait pas me contredire !