"Tomber, c'est permis, se relever, c'est ordonné."

Alessandro ne souvint pas vraiment de l’Italie. Il était bien encore trop jeune lorsqu’il avait dû quitter ce pays. Il ne souvint pas des scooters rutilants, des rues pavés, des maisons colorées et de cette odeur citronnée mélangée avec du romarin. Non, il ne se souvint pas du minable petit appartement où il avait vu le jour.  Il ne se souvint de rien. L’Italie pour lui, était le pays de ses origines. Ses premiers souvenirs furent des rues sales, des coups de feu et ce vent frais qui s’infiltrait au dessus de son lit, puis il y avait cette odeur acre du tabac froid qui venait à ses narines. Quelque chose de fugace mais tellement flous qu’il n’arrivait pas vraiment à déterminer l’origine de cela.

Son premier vrai souvenir fut l’un des plus traumatisants qu’il avait eu à vivre. Il se souvint d’une odeur douce, presque maternelle, des cheveux noirs, des yeux si semblables aux siens, une peau d’olive et des larmes. Il se souvint d’une valise, d’une once de regret dans les yeux de cette femme qu’il appelait «  mama ».  Il était tellement jeune à cette époque, il ne comprenait pas ce qui se passait. Il avait à peine 4 ans quand cela est arrivé. Il avait entendu la porte s’ouvrir, un soupir déchirant le silence de l’appartement, puis la porte se refermer sur cette femme qu’il ne reverrait jamais. Il n’avait pas compris à cet instant, de ce geste mais il venait d’être abandonné par sa mère.  Ce fut le seul souvenir qu’il allait garder de sa mère et qui allait le hanter pendant le reste de ses jours.

Alessandro se souvint qu’après son père avait changé de comportements, des femmes venaient et repartaient dans l’appartement sordide. L’odeur amère de l’alcool mélangé au tabac et à la sueur régnait dans cette maison. Il entendait des gémissements, des coups, des verres qui se brisaient et le bruissement des billets. A ce moment,  le petit garçon espérait encore que sa mère revienne. Selon lui, elle était partie au travail et elle allait revenir, remettre les choses à la normale. Il avait encore cet infime espoir. Il se souvint de la faim qui tenaillait son ventre, cette soif ardente qui brûlait sa gorge. Son père ne s’occupait pas de lui, ne faisait rien pour lui à part toucher des aides qu’il dépensait dans les prostitués et le crack.

Alessandro se souvint du jour où l’espoir de voir revenir sa mère disparut et que la violence allait faire partie de son lot quotidien. Ce fut l’une des soirées où il était rentré de l’école, commençant à apprendre peu à peu la langue anglaise. Chez lui, son père et ses amis ne parlaient qu’italien, alors il n’avait pas encore appris les rudiments de sa langue d’adoption. Alessandro avait voulu faire ses devoirs, il adorait l’école. Cela installait quelque chose  de routinier, un certain réconfort. Il avait une maîtresse gentille et patiente. Puis son père était arrivé, il avait vu son fils faire des devoirs, apprendre. Alessandro se souvint que son père puait l’alcool et le tabac froid mélangé avec une odeur de sueur.  Il ne souvint de que son père avait pu voir mais ce fut selon lui, insultant et mauvais.

 Alessandro se souvint de la douleur, des coups qui allaient rythmer son enfance ainsi que son absentéisme à l’école à cause des coups Il se souvint des médecins qui disaient que cela allait se réparer mais pas poser plus de questions que ça. Des mensonges de son père quant aux hématomes qu’il avait partout sur le corps. Alessandro aurait  pu être un enfant sauvé mais le silence de ceux qui étaient au courant l’avait condamné à une vie faite de violence et de souffrance. Alessandro se souvint des cicatrices que son père lui faisait, des coups qui faisaient mal intentionnellement, des insultes. Il se souvint quand il passait du petit garçon frêle et effrayé à l’adolescent plutôt musclé et violent. A force d’avoir été traité comme une bête sauvage, il en était devenu une. Il se souvint d’avoir traîné avec ses potes au lieu d’aller en cours, de fumer des cigarettes tout en écoutant du rock. De charmer les femmes puis il avait dû arrêter l’école. Son père devait une dette à quelqu’un et il avait dû rentrer sous son service. Dès lors, il commençait à apprendre les métiers de la rue.

Alessandro se souvint des soirées qu’il passait en équipe, en train de couper et de compter les espèces. L’odeur forte de la drogue qui imprégnait ses vêtements et la traque des policiers qui venaient encore et encore. Il se souvint des bagarres de rues, des coups de feu qui partaient. La violence avait toujours fait partie de sa vie mais elle évoluait et prenait d’autres formes. Finalement, sans qu’Alessandro s’en rende compte, il était tombé dans le milieu du vice et des plaisirs de la chair achetés, prenant goût à cette vie de débauche. Cependant, ce genre de vie pouvait prendre quelque chose de plus essentiel à un homme. La liberté. Alessandro se souvint du jour où il avait entendu la sentence et où il avait fini en prison. Il avait été jugé comme un adulte alors qu’il avait 17 ans. Il avait pris pour 3 ans de prison. Derrière les barreaux, Alessandro se souvint d’avoir été traité comme un vulgaire chien, comme une vulgaire bestiole. Il y avait de la haine, de la colère et du vice même chez les matons.

Alessandro se souvint des temps durs suite à sa sortie de prison. Les petits travails payés une misère comparés à auparavant.  Puis avec les filles, ce n’était pas trop le succès alors il avait fini par replonger dedans. Peu de temps après, il avait rencontré une jolie blonde, une patineuse mais leur histoire fut brève. Alessandro était un solitaire et puis, cette fille avait une carrière prometteuse dans le patinage, il ne pouvait pas briser sa vie ainsi. Peu de temps, Alessandro se souvint d’être de nouveau tombé en prison mais ce coup-ci, il avait écopé une peine de 8 ans. Ce fut dur, cette peine laissait une souffrance indélébile sur lui. Il était tombé dans une des pires prisons. Là, où ceux qui n’avaient plus rien à perdre s’en prenaient à ceux qui avaient écopé quelque mois. Cela forgeait un caractère mais cela montrait ce qu’était la véritable cruauté humaine.

Alessandro se souvint lorsqu’il était sorti, il n’avait pas essayé de s’en sortir, il avait 30 ans, il ne pouvait plus rien faire. Alors il avait déménagé et est venu à Miami pour rentrer au service du parrain de la mafia. Il était devenu son bras droit, celui qui tuait lorsque le parrain lui disait. Le parrain avait confiance en lui mais Alessandro ne voulait plus être rien, le chien en laisse de quelqu’un. Il voulait être libre, tuer s’il en avait envie. Il voulait être le parrain alors il avait manigancé, comploté puis il avait fini par tuer le parrain, prenant sa place.

Depuis  7 ans, il était le parrain, régnant dans l’ombre de Miami. Il était sa face sombre, ses fêtes où la débauche régnait. Maintenant, il n’était plus rien, il était le parrain de la mafia à Miami.