« Ugo, tu promets qu'on restera amoureux pour toujours ? », je n'avais pas plus de 6 ans, le froid d'Ottawa me brûlait les joues, j'attendais sa réponse en sautillant, petite fille impatiente que j'étais déjà. Ugo c'était mon voisin, lui et moi on était inséparable, des Bonnie & Clyde en culotte courte. On s'est promis un tas de choses plus insignifiantes les unes que les autres, de se marier lorsque l'on serait grand, qu'il mangerait plus de hot dog que moi à la fête foraine, qu'il aurait le courage de sonner chez le vieux d'à côté sans partir en courant, que jamais rien ne nous séparerai… On était jeune et innocent et moi j'étais un peu naïve aussi. J'ai toujours grandi surprotégé par mes parents, il fallait surtout que rien ne puisse me blesser. Je sortais avec trois écharpes autour du cou l'hiver, il ne se passait pas un soir sans que ma mère ne passe trois fois dans ma chambre pour être certaine que je respire encore... Je ne peux pas leur en vouloir, ils m'ont tellement attendu et désiré... J'ai toujours été une princesse, dont tout le monde a toujours pris soin et Ugo ne faisait que renforcer cette idée.  A l’école j’étais une gamine brillante, attentive, celle que tout le monde aime détester, une petite bouille d’ange douce et attentive que les professeurs adorent. Mes parents ont toujours eu comme maître mot, que la vie était un jeu il fallait s’amuser, cependant un jeu ne se gagne qu’à force de persévérance et de travail. J’aime cette vision des choses elle m’accompagne toujours dans mon quotidien. J’ai eu une enfance douce, ampli d’amour et de joie, je n’ai jamais connu la peine et la souffrance.

Mes premières peines sont arrivées vers l'âge de 8 ans, lorsque la vie est encore qu'insouciance. Ugo avait les yeux rougis depuis plusieurs jours, je ne comprenais pas bien ce qu'il se passait. Ma mère me disait qu'Ugo avait besoin de moi, que j'étais trop jeune pour comprendre mais qu'il fallait que je sois présente pour lui. Sauf que lui ne voulait plus de moi. Je passais, comme à mon habitude, tous les soirs, sonner chez-lui et chaque jour un nouveau prétexte m'était servi. Ce n'était plus pareil les choses avaient changé et moi je n'y étais pas préparée. L'été est vite arrivé, avec le soleil j'avais repris espoir que les choses s'arrangent. De toute façon l'été nous ne passions jamais un instant l'un sans l'autre, nos parents avaient notre garde partagée, si on peut appeler cela ainsi. Ugo était pourtant resté muet, mon rire ne le faisait plus rire, ma vivacité l'agaçait, mes jeux l'ennuyaient… J'avais perdu mon Ugo sans aucune explication. Las j'ai fini par lâcher prise moi aussi. J'ai cessé d'aller frapper à sa porte, j'ai arrêté de l'attendre au pied de notre arbre pour que nous nous contions nos histoires absurdes... On se voyait encore de temps à autre, je me contentais de profiter de ces précieux instants. Ugo me manquait, mais j'avais appris à vivre autrement…

Enfin jusqu'à nos 13 ans. Je rentrais du collège, un sac bien trop lourd sur le dos et j'ai vu au loin cette pancarte à l'entrée du jardin des Tremblay « A vendre ». J'ai couru vers leur porte, j'ai appelé Ugo jusqu'à l'extinction de voix, j'ai tambouriné à la porte jusqu'à en avoir mal au poing, mais je n'ai jamais eu de réponse. Je me suis alors assise sur les marches d'entrée, les heures défilaient, le soleil s'était caché et ma mère a fini par arriver. Elle s'est assise à côté de moi et m'a serré dans ses bras. Les larmes ont roulé sur mes joues, il était bel et bien parti sans même me laisser un mot. J'aurais surement dû me douter que cela allait finir par arriver, cependant je n'ai jamais voulu y croire Ugo et moi ça ne pouvait pas se terminer comme ça. Alors je l'ai détesté, comme jamais j'ai haïe personne. Il m'avait trahie et je ne supporte pas la trahison. Je l'ai maudit, insulté de tous les noms… j'ai cru que cela m'apaiserait, pu j'ai compris qu'il fallait juste garder le meilleur et tourner la page pour avancer…

J'ai continué mon bout de chemin, toujours aussi vive et brillante, j'ai terminé mes études sans la moindre embuche. Ayant moins d'activité extérieure, les soirs d'hiver je me suis mise à la couture. J'ai commencé par avoir raison d'une machine à coudre de ma mère puis j'ai fini par comprendre le truc et adorer ça. J'avais trouvé une vraie passion dans la couture. C'est comme ça que tout a commencé pour moi. J'étais entrée en fac' car il fallait bien trouver une suite à mes études, mais ça ne me plaisait pas. Moi l'élève presque modèle je n'y ai pas trouvé ma place. J'y allais juste pour montrer mes tenues et mes créations. C'est ainsi que j'ai déclenché mes premières commandes. Sans vraiment le vouloir j'avais mis en place mon propre système de promotion de ma « marque », qui n'était rien à l'époque. Puis de file et aiguille, c'est le cas de la dire, je n'ai plus fait que ça. Mes vêtements étaient aimés et portés, j'étais reconnue pour ce que je faisais. Ma tête s'affichait dans certains magasines locaux, une amie de ma mère, qui était tenancière d'une petite friperie, s'est mise à vendre mes créations. Le début de mon aventure était lancée, j'avais enfin trouvé ma voie, très loin de tout ce que j'avais pu imaginer.

Mes 25 printemps sont vite arrivés, je n'ai pas vu les années défiler. Aujourd'hui mon nom est reconnu dans le monde de la mode, j'ai des boutiques, les gens dans la rue portent mes vêtements. Je suis invitée sur des plateaux TV, dans des défilés, je donne des interviews, je vis un rêve de petite fille et j'adore ça. Mes parents ont fait le tour du Canada avec moi, ils ne me lâchent pas. Ma mère prend soin de moi, comme elle le faisait des années en arrière. Elle passe toujours dans ma chambre le soir avant d'aller se coucher juste pour se rassurer. Je les aime plus que tout, ce sont des piliers, les pièces maîtresses de mon existence. Il ne manquait presque rien à ma vie, enfin juste un homme. C'est à ce moment précis de mon existence que j'ai rencontré Thomas. Maladroite comme Gaston Lagaffe, j'ai réussi à me trancher la main avec un bout de verre. Ma mère qui était partagée entre le malaise de voir le sang couler et l'adrénaline de me voir blessée m'a jeté dans la voiture en direction des Urgences. Thomas, interne en médecine et alors apparu. Je ne sais pas si c'est l'état désespéré de ma mère ou alors le fait que j'avais perdu un peu de sang, mais nos regards ce sont juste croisés et nous nous sommes mis à rire. J'ai beau y réfléchir il n'y a aucune logique à ce moment. Mais depuis cet instant il n'a plus jamais quitté ma vie.

Il y a quelques temps, tout s'est enchaîné dans ma vie, Thomas m'a demandé en fiançailles, vous savez comme dans les films, un truc mielleux et romantique. Thomas est un peu trop sérieux, ne prend pas beaucoup de temps pour s'amuser et n'a pas ce petit grain de folie qui me fait rêver mais c'est un homme génial. Il vient d'être diplômé, je suis certaine que ça sera un grand chirurgien. Il a trouvé son premier poste… il me faut quitter Ottawa et ça je ne l'avais jamais vraiment envisagé. Mes parents se font vieux, mon père commence à avoir des soucis de santé, je ne me sens pas prête à les laisser et pour eux il n'est pas question de déménager. Pourtant, la douceur du soleil de Miami nous attend, mais le cœur n'y est pas. Nousavons fini par partir, laissant mon enfance derrière moi je suis montée dans l'avion le cœur lourd, je n'avais jamais plus ressenti une peine aussi grande depuis le départ d'Ugo. Cela fait des décennies que je n'avais plus prononcé son prénom…

Cela fait cinq mois que nous avons emménagés en Amérique. La vie est bien différente ici. J'ai un peu de mal à me faire à mon environnement et, à cela, sur le plan professionnel vient s'ajouter une plainte pour « plagiat ». Une créatrice en manque de reconnaissance et à la recherche d'un coup de projecteur me reproche d'avoir copié une de ses créations. Plutôt mourir, je ne suis pas de celle-là. J'ai embauché un avocat, un abruti de première qui ne voit que dans cette affaire la liasse de billet qu'il a à y gagner… Thomas a entendu parler d'un brillant avocat à Miami qui a sauvé la peau d'un de ses collègues. Il s'est chargé de prendre rendez-vous avec lui j'espère juste qu'il acceptera de reprendre l'affaire en cours. Sinon je promets de faire la peau à l'autre opportuniste s'il perd ce foutu procès.