Une vraie tête de gland. L'insulte, somme toute sortie d'un autre âge, tournait encore et encore dans la tête de Blake. La journée n'avait vraiment pas été agréable pour le jeune homme. Déjà, il s'était levé du mauvais pied après un cauchemar affreux où Aloysia s'était servi de ses erreurs passées pour lui imposer une ordonnance restrictive l'empêchant d'approcher sa fille. S'il savait (consciemment) qu'elle n'allait pas le faire (du moins pas comme ça, par surprise), le jeune homme n'avait pu s'empêcher de revoir leur dernière rencontre, quand elle était venue chez lui pour voir des éléments de leur passé et mettre des images sur les souvenirs qu'on avait pu lui raconter, mais que les choses ne s'étaient pas passées comme prévues. Après un peu de galère sur la voie rapide pour rejoindre Sunrise, Blake avait enchaîné les entraînements avec toute la mauvaise volonté du monde. Même s'il avait utilisé sa colère pour défendre, il avait été très agressif dans son jeu. Trop. Et il avait fait pas mal d'erreurs qui, dans un match, les auraient conduis aux sanctions. Le coach avait été complètement fou de rage et l'un de ses collègues (qui le détestait royalement et réciproquement) n'avait pas été des plus tendres avec lui. Les deux hommes en seraient venus aux mains si leurs partenaires ne les avaient pas retenu l'un et l'autre. L’entraînement avait été stoppé prématurément et ils avaient eu droit à une séance doublement épuisante de musculation et endurance. Tout le monde avait un peu eu la haine contre lui après ça.

Libéré de ses obligations professionnelles, Blake avait ensuite appelé Aloysia pour avoir Anastasia au téléphone, mais la joyeuse petite famille ayant prévu une sortie (Merci Monsieur Machin le frenchy et ses idées ''brillantes et adorables''), Anastasia n'avait trouvé ni beaucoup d'intérêt à parler à son père ce soir (autrement que pour dire combien Julien était ''trop bien''), ni beaucoup plus à le garder en ligne très longtemps. Il avait à peine pu lui dire bonne soirée qu'elle avait déjà repassé le téléphone à sa mère pour finir de mettre ses chaussures. La mauvaise humeur de retour, Blake avait à peine balancé un « bonne soirée » à la jeune maman avant de raccrocher. Deux secondes de plus à entendre le rire de ce connard en arrière-fond et il aurait balancé son téléphone par la fenêtre.

C'était donc un Blake Harmon des plus agréables à fréquenter qui posa son séant sur une des banquettes du pub qu'ils avaient convenus de rejoindre avec R.J.Ryker. Il arriva avant son ami et commanda une bière dans l'attente. Attaquer directement au wisky lui semblait une mauvaise idée, au vu de l'humeur.

Plusieurs minutes et son verre terminé plus tard, alors qu'il était dans ses sombres pensées, Blake vit son verre disparaître et un autre plein être poussée à sa place avant qu'il n'ait le temps de protester. Il leva alors les yeux vers son ami. « Dure semaine », rectifia le hockeyeur de son air renfrogné. « Dure vie, même. » Il attrapa la pinte et en avala plusieurs gorgées avant de la reposer sur la table, R.J. attrapant déjà la carte pour évaluer le menu alimentaire. « Manger c'est tricher, non ? » Un léger sourire amusé se dessina sur les lèvres du brun, alors qu'il ne pouvait s'empêcher cette boutade digne de ces années de fac qu'il n'avait jamais eu. Enfin, il avait bien été sur un campus ou deux, mais invité par des étudiantes pour faire la fête. Il n'avait lui-même pas été plus loin que le lycée, sa carrière dans le patinage et son job alimentaire ne lui ayant pas laissé la moindre place pour pousser les études. On pouvait dire que, malgré tout, il ne s'en était pas trop mal tiré.

Poussant un léger soupir, il regarda le panneau des snacks qui traînait non loin. « Je vais prendre une coupelle d'onion rings et des mozzarella sticks. » En vérité, il avait déjà mangé, oui, mais il n'avait jamais été contre un ou deux trucs à grignoter. « Tu en es au combientième de repas sauté au juste ? Parfois, je me dis que le nutritionniste de l'équipe s'éclaterait plus à te suivre toi que moi. » Il est vrai que s'il trouvait parfois à redire sur les écarts de Blake, il n'avait pas grand chose à lui reprocher au vu de sa masse musculaire et de son faible taux de graisse et puis Blake ne sautait que rarement des repas. Toujours en cas de force majeure. Il n'avait donc que rarement besoin de lui faire de reproche. Après ce soir, en revanche, il allait certainement entendre parler du pays. L'alcool n'était bon ni pour les performances, ni pour le corps. Qu'importe. À l'heure actuelle, le poison qu'était l'alcool pour un organisme sain était le dernier de ses soucis. Il voulait boire. Point.