Cela ne servait à rien de ressasser le passé. On ne pouvait malheureusement rien y changer. Cependant, cela faisait tout de même du bien de mettre les choses au clair. Je m’étais longtemps dit que toute cette histoire n’avait rien signifiait pour Blake. Là j’avais l’impression qu’elle avait eu un peu d’importance, peut-être pas autant que pour moi, mais c’était tout de même bon à attendre. Puis je savais que pour Blake, ce n’était pas évident de se livrer ainsi. Cela donnait une double importance à ses propos. Néanmoins, il ne pouvait pas affirmer avoir douter de mes propos. J’avais toujours été sincère et explicite. Peut-être pas autant qu’il ne l’aurait souhaité, mais probablement plus que lui ! « A l’époque quoi ? Je veux bien t’excuser sur plein de choses, mais pas là, désolé. » Répliquais-je simplement.

Il reprit alors la parole et je soupirai. « Ecoute, même si James serait entièrement d’accord avec tes propos, ce n’est pas à lui ou à toi d’en juger. Tout n’a pas été toujours tout rose, mais on a passé de très bons moments ensemble, alors s’il te plait, arrête de te flageller, merci. »

Le sujet dévia sur mon frère, mais je restai brève sur le désaccord que j’avais avec lui. « Hey ! Je ne te permets pas. » dis-je dans un léger rire. « Je suis la seule qui peut le critiquer. Puis de toute façon, tu ne l’as jamais apprécié donc tu ne peux pas être objectif. » Bon, ce n’était pas tout à fait vrai. Ils avaient été amis, il y a bien longtemps. En fait, James avait arrêté de l’apprécier, le jour où Blake avait décidé de me laisser dans la merde après l’accident.

Finalement, et à ma grande surprise. Blake décida de se rendre à la rééducation. Ce n’était qu’une petite victoire, mais c’était un bon début ! « C’est parti ! » souriais-je avant de pousser son fauteuil. « Demain, je ne travaille pas. Je peux t’amener Ania’ avant d’aller à l’entrainement. Enfin si tu veux. » Je savais que cela ferait plaisir à Anastasia, mais peut-être était-ce trop tôt pour Blake.

Elle ne pouvait pas avoir plus faux, pensant que Blake n'avait jamais éprouvé pour elle les sentiments qu'elle avait pu nourrir à son égard. Il y avait longuement réfléchis, surtout ces derniers temps et compris bien des choses sur ce qu'il avait ressentit pour elle... Depuis littéralement toujours. Depuis le jour où il l'avait rencontré. Mais comme bien des choses, les sentiments qu'il pouvait nourrir pour elle faisait partie des choses qui le terrifiait et, convaincu de ne, de toute manière, pas la mériter, il se disait que cela ne valait pas la peine d'épiloguer sur le sujet. Il aurait dû lui dire plus tôt, quand cela comptait encore et pouvait encore faire une différence dans leur vie. Aujourd'hui, cela ne ferait jamais que la blesser plus, alors mieux valait ne rien dire, même s'il avait du mal à entendre qu'elle avait toujours pensé qu'il ne l'aimait pas. Cela faisait mal, mais il le méritait et – une fois de plus – c'était une preuve incontournable du fait qu'il ne la méritait pas, ne l'avait jamais fait et ne le ferait jamais. Elle méritait mieux et elle semblait avoir trouvé bien mieux. Son ego en prenait un coup, chaque fois que son mari était mis sur le tapis, mais il l'avait mérité.

Décidant donc de ne pas relever, pour ne pas entrer sur une conversation pleine de mines, il préféra taper dans le joker rééducation. Elle venait de passer près d'une heure à le convaincre d'y aller, donc il savait qu'en lui disant qu'il voulait y aller, maintenant, elle oublierait tout le reste. Momentanément, certes, mais assez longtemps pour lui donner du répit, le temps de se recomposer et de trouver quoi dire pour ne pas révéler des choses qu'il ne voulait pas dire. Elle ne méritait pas qu'il la blesse plus avec ses sentiments. Il était important qu'il évite les sujets qui fâchent, maintenant qu'il avait pu dire ce qu'il avait à dire sur leur passé. Le présent était plus important. Leur fille était importante. Son cœur à elle était entre les mains d'un autre et le sien... Il n'avait pas d'importance.

« C'est lui qui ne m'aime pas », répliqua le brun, lorsqu'elle argumenta que sa façon de penser à propos de James n'était pas juste. Il haussa les épaules. « Moi, il me gonfle, c'est tout ! » Blake n'avait pas de haine réelle pour le jumeau de la bonde. Par bien des façons, il comprenait même la haine que le garçon Mayer pouvait lui porter. Il le méritait, après tout. S'il quelqu'un avait fait à sa mère la moitié de ce qu'il avait fait à Aloysia, il l'aurait détesté plus que n'importe quoi au monde (il détestait son géniteur, entre autres), alors il comprenait. Ça n'était pas pour autant qu'il approuvait et certainement pas pour autant qu'il allait laisser quelqu'un (même James Mayer) le traiter comme de la merde. « Puis maintenant j'ai une raison de dire qu'il n'a pas de leçons à me donner, vu comme il t'a dit de la merde. Qui sait, un jour, je pourrais devenir plus louable que lui ! » Bien qu'il aurait aimé être mauvais, il savait qu'il parlait d'une personne très cher au cœur de la jeune femme, alors il se contenta de dire les mots avec détachement et un petit sourire amusé au coin des lèvres. Elle aimait son frère, ce qu'il pouvait comprendre et il savait qu'il n'avait donc aucun droit de le traiter comme de la merde... du moins s'il le faisait, il devait faire en sorte qu'elle ne le sache pas.

Prenant de nouveau les commandes du fauteuil, la jeune infirmière commença ensuite à le guider vers la salle de rééducation, en expliquant qu'elle pourrait lui amener leur fille le lendemain. Le cœur de Blake s'emballa et il se figea. Quel spectacle il lui donnerait, ainsi ? « Je ne... Je... » Il ne voulait pas. Enfin si, il voulait. C'était horrible comme il en avait besoin... Mais il avait honte et il ne voulait pas qu'elle voit ça, alors il était déchiré par la proposition. « Je veux la voir », avoua-t-il, le cœur lourd, soudain libéré d'un poids alors qu'il l'avouait. « Bon dieu, si tu savais comme elle me manque, c'est atroce, j'ai juste envie de la serrer dans mes bras... Je passe littéralement mes nuits à regarder des photos d'elle. » Ce n'était même pas une exagération. Il n'arrivait pas à dormir la nuit, les cauchemars d'une vie sans but l'arrachant brutalement au sommeil chaque fois qu'il parvenait à fermer les yeux. « Mais regarde moi ! » Il fit un grand geste des bras pour englober sa personne. « A quoi je ressemble ?! Je vais juste lui faire peur, alors... Ce n'est sans doute pas une bonne idée... On devrait probablement attendre que je puisse à nouveau me tenir debout... Que je ne sois plus un bon à rien... » Diminué

Blake s’était montré plus ouvert en 10 minutes ici, dans hôpital qu’en 10 ans. C’était plutôt surprenant de sa part et j’avais du mal à saisir pourquoi il avait besoin de me dire tout cela maintenant, alors que c’était bien trop tard. Un regret ? Je n’en savais rien et je savais qu’il n’en dirait pas plus. Il avait déjà dépassé ses propres limites. Lui en demander plus serait injuste de ma part.

Le sujet dériva sur mon frère. Frère qui avait plutôt merdé avec moi dernièrement. Enfin, il avait aussi merdé envers lui-même. Tuer quelqu’un, même si on était persuadé que cette personne le méritait, n’était pas un geste anodin. Pouvait-on vivre normalement après ça ? J’en doutais. Alors oui, je lui en voulais pour ça, même en même temps, je m’en voulais aussi car je savais pourquoi il avait fait ça : pour me protéger, pour éviter que cela recommence. C’était un geste d’amour oui, mais… un geste de trop aussi. « Parce que tu l’apprécies toi ? Permets moi d’émettre un doute ! » dis-je dans un léger rire. Ils ne s’appréciaient pas et avait juste tenté de rester civilisé en ma présence. Mon frère avait des raisons d’en vouloir à Blake et si les rôles avaient été inversés, j’aurais sûrement fait comme lui, voir pire. Après tout, j’avais déjà fait une crise à son ex Elisha. Bon, elle l’avait méritée… Je ris de nouveau aux derniers propos du jeune homme. Je savais que c’était une plaisanterie. Du moins, j’en avais l’impression. Blake avait ses défauts, mais jamais il ne s’était permis de critiquer fortement une personne à qui je tenais.

Finalement Blake décida de se rendre à la rééducation. Peut-être que ma leçon de moral avait marché ? Ou peut-être qu’il essayait simplement de se tirer de là et que dès que je retournerais dans mon service habituel, il n’y reviendrait plus. Je préférais croire qu’il s’agissait de la première option. Alors que nous nous dirigions vers la salle, je proposai à Blake de lui emmener Anastasia. Il avait probablement envie de la voir. Il accepta avant, à nouveau, de se lamenter sur son sort. Ma réponse fut immédiate : une claque à l’arrière du crâne. Une légère claque bien sûr ! Je soupirai ensuite avant de prendre la parole. « Putain, mais c’est ta fille ! Tu pourrais avoir deux jambes en moi qu’elle s’en ficherait. Arrête de fuir un peu ! Assume pour une fois ! Elle vient de passer un an à faire le tour de monde avec sa mère qui ne se souvenait pas d’elle, alors tu vois, son père à l’hôpital, elle peut gérer ! » Bien sûr, elle s’inquiéterait et poserait des questions, mais c’est ce qu’elle faisait déjà ! Il fallait être franc avec elle. Puis attendre qu’il aille mieux serait prendre le risque de perdre la relation qu’il avait construite avec elle ces derniers mois !

Le proverbe disait ''mieux vaut tard que jamais''. Blake savait d'expérience que cela était faux. Il avait décidé d'affronter son monde trop tard et il n'aurait plus jamais ce qu'il avait vraiment désiré à l'époque, sans même s'en rendre compte. Aujourd'hui, il préférait juste ne pas y penser, pour ne pas en souffrir. Ce qu'il avait eu était passé et il ne l'aurait plus jamais. Cela ne servait à rien de se torturer avec des ''Et si'' qui n'aboutiraient jamais nul part. La seule chose qu'il voulait maintenant, c'était faire comprendre à Aloysia combien il était désolé et conscient de ce qu'il avait perdu par son unique faute.

« Si je ne l'aime pas, c'est uniquement parce que lui me déteste et qu'il me traite comme de la merde », grommela le brun pour toute réponse. Il aurait pu bouder, s'il ne faisait pas déjà la tête en permanence depuis son accident. « J'ai beau le mériter, il a rien à dire. C'est toi qui as le droit de m'en foutre plein la gueule. Pas lui. » Et c'était une pure vérité pour Blake. Il avait merdé en beauté, plus d'une fois, mais s'il pouvait accepter et supporter pendant des années les reproches de son ex-petite-amie, de sa fille, si un jour elle voulait émettre des griefs contre lui, il n'allait pas l'accepter de la part d'un abruti qui, de toute manière, ne l'avait jamais apprécier, même avant qu'il merde.

Alors qu'elle le conduisait vers la salle de rééducation, elle lui donna une claque, sans préambule aucun, en réponse à ses inquiétudes. « Aïe ! », gémit-il, avant de se frotter l'arrière du crâne. « Okay, okay !!! », dit-il, fort, se tordant le coup pour la regarder, hochant vivement la tête. « Alors oui, je le veux. Plus que tout. Elle pourrait... Enfin, je pourrais la garder pendant ton entraînement... Si tu veux... » En fait, il en rêvait. Elle lui manquait tellement, sa fille. Il avait besoin de cette petite boule d'énergie, cette princesse parfaite. Il avait besoin d'elle dans sa vie et il savait que si elle était là, il serait obligé d'aller mieux. Il serait obligé de se lever, d'aller en rééducation et de remarcher, parce qu'elle avait besoin de lui. « On pourrait voir si c'est possible. Comme ça, si ça fonctionne pour une deux ou trois heures, on pourrait envisager que je puisse la reprendre avec moi quand tu travailles les week-end ou n'importe quoi ! »

Plaquant ses deux mains sur les roues, il bloqua leur avancée pour pouvoir se tourner vers elle. « Tu as raison, je dois me battre pour me remettre d'aplomb. Si je ne le fais pas pour moi, je dois au moins le faire pour elle. Je ne veux pas louper des étapes de sa vie parce que j'ai pas été capable de mettre un pied devant l'autre. » Il n'avait peut-être plus de job, mais il n'avait pas ''plus de vie''. Il avait un enfant et une raison de faire quelque chose, d'aller mieux, de retrouver un état de santé lui permettant de gagner de l'argent pour pouvoir continuer d'offrir le monde à sa fille.

« Je comprendrai si tu préfères qu'on attende et se contente pour le moment de visites en ta présence... », acheva-t-il, un peu tristement malgré tout.