- C'est la pédale de droite pour accélérer.
Le ton est calme mais l'acidité de la réplique arrache un regard noir de la part de son coéquipier.
- Dis Jake, tais-toi un peu pour voir ?..... Ah oui, c'est mieux.
Ils se fusillent des yeux, tranquillement alors que la voiture de patrouille avance. Ils n'ont pas d'urgence ce soir, alors autant s'amuser un peu aux dépens de l'autre. Keira adopte un demi-sourire ironique, Matt y répond par un ricanement goguenard.... et ils explosent soudain de rire dans la voiture, à leur façon un peu gamine et puérile, qui n'appartient qu'à eux.
- Putain tu vas me manquer quand tu vas partir. Sérieusement, t'as pas pris l'option annulé ?
Le sourire de la jeune femme s'efface doucement et se teinte d'un peu de tristesse, celle qui ressemble à s'y méprendre à de la nostalgie. Son coéquipier ne s'y laisse pas prendre : il sait bien qu'elle ne le regrettera qu'un temps, celui de grimper dans l'avion pour commencer cette nouvelle aventure. Keira a toujours été une fonceuse, c'est d'ailleurs pour cela qu'il a autant aimé travailler avec elle. Des deux, c'est lui qui la regrettera le plus, il le sait déjà.
- Faut que je foute le camp de cette ville, tu le sais bien.
- Ouais... Tu sais que tu te défiles, je t'apprends rien ?
Elle détourne le regard pour observer ces rues qu'elle a appris à connaître par coeur, ces endroits qu'elle a appris à aimer. Malgré tout. Malgré les désillusions, les coups durs, la perte d'un coéquipier il y avait cinq ans de cela, les nombreux petits-amis abandonnés de-ci de-là, l'absence de tout et de rien... Elle s'était fait les griffes dans cette ville et elle savait qu'elle n'allait jamais oublier cette formation à la dure. Mais elle savait aussi qu'il était temps de tourner la page et de recommencer, ailleurs, loin de toute cette merde qui avait fini par s'accumuler et l'empêcher d'avancer.
- En plus ils vont te détester à Miami.
- Comment ça ?
La voilà qui rebondit : les ombres pensives dans ses yeux disparaissent et laissent place à cette énergie incroyable qui l'animait de tout temps. Cette énergie qui faisait d'elle une excellente policière et une amie en or.  
- Tu plaisantes, ils vont m'adorer ! Je suis jeune, belle, intelligente, je remplis les sudoku plus vite que mon ombre, je connais pas moins de quatorze recettes de cocktails différentes, je...
- Tu ne sais faire que bosser et tu dormirais dans ton bureau si tu en avais la permission !
- Et alors ? Ca fait de moi la femme parfaite, qu'on peut tromper quand on le veut ! Regarde, Ben a su y faire, il avait parfaitement compris et...
La main de son coéquipier quitte soudain le volant pour venir se poser sur la sienne, calmement.
- Arrête ça, Jake. Il ne te méritait pas, tu le sais.
- Hum... En tout cas, il a mérité le coup de poing que je lui ai filé dans les dents.
- Pas faux !
Il rit doucement et l'ambiance s'apaise, laissant les derniers vestiges amers se diluer dans leur complicité. Ces rues semblent décidément interminables....
- Dis, Keira....
C'est rare qu'il l'appelle par son prénom : entre coéquipiers, le nom primait toujours.
- Oui ?
- Fais-moi la promesse de t'en trouver un qui vaille la peine là-bas, à Miami. Un qui comprendra quelle perle tu es et qui n'aura pas besoin d'aller voir ailleurs.
- Il faut absolument qu'il soit réel ?
- Keira... , gronde-t-il, amusé.
Elle laisse échapper un rire et détourne de nouveau le regard : le vase clos de la voiture l'empêche de se défiler à cette promesse. Et elle a l'impression - l'espoir fugace - que ce renouveau pourrait peut-être lui permettre d'espérer. Juste un peu.
- J'essayerai. Je ne promets rien, mais je vais essayer.
Il sourit, heureux de cette réponse. Parce que cette femme-là, il l'adore. S'il n'avait pas eu la chance d'avoir une soeur, il en avait trouvé une en la personne de Keira Jake. Une vraie boule d'énergie qui vannait, souriait et se démenait dans son boulot comme il n'avait jamais vu un flic le faire. Pas étonnant qu'elle soit passée aussi vite commissaire ! Et pas étonnant qu'elle fasse autant de jaloux dans la profession, au vu du nombre d'affaires qu'elle avait bouclé. Il connaissait les ragots qui circulaient sur son compte et cela faisait longtemps qu'il ne les écoutait plus. Il espérait juste qu'ils sauraient en faire de même à Miami...
- Non Matt, à gauche je te le répète, c'est pour freiner. Essaye voir la pédale de droite.
- Tu pars quand déjà ?