This is the story.
- Tu n'as pas le droit ! Tu ne peux pas l'emmener aussi loin !
Avait commencé à tempêter celui qui, surgissant comme un fou furieux, de ce qui ne serait plus jamais leur maison, se précipita vers elles deux. Cette femme qu'il avait jadis eu la folie d'aimer au point d'en faire non seulement son épouse légitime mais aussi, et surtout, la mère de son unique enfant. Cette femme pour qui il aurait pu tout faire, tout donner mais que, là et maintenant, il aurait pu éviscérer de ses propres mains pour ce qu'elle osait lui faire. Ses poings qui se serraient à en faire craquer et blanchir ses articulations au point qu'il en eut mal. Mais mieux valait encore cela plutôt que de céder à ses furieuses envies de lui démolir sa face de poupée sur le retour. Ses mâchoires qui s'étaient crispées alors qu'il tentait, encore une fois, de la raisonner.
- Tessa ! C'est ici chez elle ! C'est sa maison ! Tu ne peux pas l'emmener loin de tout ce qui fait sa vie !
- Oh que si je le peux ! Et, pour que les choses soient bien claires entre nous : je n'arrache ma fille ni à cette maison, ni à ces amis qu'elle n'a d'ailleurs même pas et encore moins à ces jouets que tu n'as de cesse de lui offrir que pour mieux tenter de te faire pardonner tes absences !
Le ton montait entre ces deux êtres qui se déchiraient avec encore plus de passion et d'ardeur qu'ils n'en avaient mis à s'aimer. Ils immolaient sur l'autel de leurs rancoeurs cette histoire dont, elle, avait été le plus beau des fruits. C'est du moins ce qu'ils avaient pensé quand elle était née. Leur petite merveille. Aislin Venus Foley. Celle qu'ils avaient couvée de leurs plus tendres regards, baisée du bout de leurs lèvres tremblantes d'émotions. Pour elle, pour eux, pour cette famille qu'ils formaient enfin ils avaient alors tant de projets ! Encore quelques coups et il arrêterait, il le lui avait juré. Quant à ces autres femmes entre les draps desquelles il s'en était trop souvent allé se perdre, c'en était aussi fini ! Désormais il n'y avait plus qu'elles. C'était il y avait tout juste six ans ou presque. C'était il y avait une vie. Celle qu'ils enterraient à coups d'insultes et de reproches. Et devant les yeux de celle qu'ils se disputaient déjà.
- Je te préviens Meredith ! Ne t'avise même pas de tenter quoique ce soit contre moi ou je te jure que…
- Que quoi ? Mais vas-y ! Dis-moi Tessa ! Que feras tu si j'ai la folie de refuser de renoncer à ma fille ?! Parce que c'est quand même de mon enfant que nous parlons !
- Parce que tu crois qu'acheter à une enfant de cinq ans un cheval ou lui organiser des fêtes d'anniversaire dantesque où personne ne vient jamais suffit à faire de toi le père de l'année ?
- Alors quoi ?! Mais dis-le-moi bon sang ! Que dois-je faire pour te convaincre de ne pas m'enlever mon enfant ?! Dis-le-moi !
- Par quoi veux-tu que je commence ? Tes putes qui se trimballent à poils dans notre jardin ? La coke qui recouvrait toute sa table de jeux ? Non mais tu imagines ce qui aurait pu se passer ?!
- Mais il ne s'est rien passé ! Aislin va très bien !
- Parce que j'étais là ! Et les flics qui ont débarqué pas plus tard qu'hier et t'ont passé les pinces devant elle ? Ça non plus c'est rien peut-être ?!
Encore des noms d'oiseaux et plus aucun d'amour. Des menaces qui remplaçaient les promesses. Et l'enfant, encore une fois, que l'on se disputait comme si elle n'eut jamais été qu'une vulgaire poupée de chiffons. Un caprice. Un trophée qui montrerait au monde entier qui était le plus fort. Ce jour-là Tessa fut désignée grande gagnante. Quand, après avoir balancé avec un plaisir plus même dissimulé le jugement à la figure de son désormais ex époux elle agrippa le bras de sa fille. Si fort que Aislin en avait, dans l'indifférence générale, glapit. Ses chaussures, celles que la petite adorait parce que c'était avec son papa qu'elle était allée les acheter, qui avaient raclé la tomette de leur allée. Ses mains qu'elle avait tendues, dans un geste désespéré vers ce père qu'elle ne voulait pas quitter. Celui qui prétendait si fort vouloir la garder auprès de lui mais ne l'entendait même pas hurler. Et puis la porte de ce taxi qui s'était refermée sur elles. Celui qui les emmenait vers l'aéroport. Celui où elle prendrait ce vol qui les mènerait jusqu'à cette Australie qui serait sa nouvelle maison. Maman le lui répéta tour le long du trajet : oui, elles seraient bien là-bas. Ailsin n'avait rien dit. Non, elle ne le serait pas. Parce que Papa ne serait pas là. Parce que Papa ne serait plus jamais là.
Elle avait pleuré.
Mais, encore une fois, sa mère n'avait rien vu.
Et l'enfant s'était demandé : pourquoi se disputer pour elle si, en réalité aucun ne l'aimait ?
Aislin avait cinq ans.
C'est triste de penser ainsi à cet âge.
Non, c'est la vie qui, parfois, l'est.
~***~
Un…- Mais non ! Combien de fois devrais-je vous le dire ? Ces cartons-là vont dans la chambre d'amis ! Et la télé aussi ! Ma fille n'a pas besoin d'en avoir deux dans la sienne !
Comme d'habitude, Tessa avait laissé sa colère et sa frustration, enterrer ses déjà bien rares bonnes manières. Et cela faisait maintenant des heures que, sa clope dans une main et son bloody mary dans l'autre, elle houspillait ces pauvres déménageurs. Une fois c'était parce qu'ils ne mettaient pas les cartons à l'endroit désiré. La suivante parce qu'ils n'allaient pas assez vite ou osaient seulement rouler des yeux. Abritée derrière la grande baie vitrée de leur nouveau salon, Aislin observait la scène. Elle les trouvait bien calmes ces messieurs, n'empêche… A leur place, son papa il ne se serait pas contenté de soupirer… Ah ça non ! A leur place son Papa il aurait crié encore plus fort que sa mère et quand elle lui aurait foutu une claque, il la lui aurait retournée direct ! Mais les pauvres déménageurs ne pouvaient pas claquer sa mère, eux. Parce qu'elle était leur boss et que sans elle ils n'auraient pas d'argent. C'était quoi l'argent, au fait ? Ça devait être super important vu le nombre de fois où le mot avait servi de balle de ping-pong à ses parents quand ils se disputaient ! Maman en réclamait toujours plus. Et Papa mentait en prétendant ne pas en avoir. Et là…
Ses sourcils s'étaient froncés et son petit nez était venu se coller, tout comme ses paumes, à la vitre. Une tête. Une tête d'enfant venait de surgir, une fraction de seconde, par-dessus la palissade séparant leur jardin de celui des voisins. La rêveuse en elle crut avoir imaginé cela, après tout ce n'aurait pas été la première fois qu'elle comblerait sa solitude en s'inventant un petit compagnon de son âge. Mais alors qu'elle détournait les talons et s'en retournait dans le royaume de sa chambre la tête lui était de nouveau apparue. Une fois. Puis une autre. Et quand, la suivante, il lui avait fait une grimace Aislin avait explosé de rire. Puis, lui tirant à son tour la langue elle avait haussé les épaules, lui avait tourné le dos et était simplement partie. De cette pièce pour mieux se précipiter dans la chambre de sa mère. Celle qui donnait aussi sur la terrasse et dont elle ouvrit silencieusement la lourde porte fenêtre. Son petit museau qu'elle laissait passer prudemment et sa langue qu'elle se mordit bien fort alors qu'elle regardait la tête apparaître, encore et encore. Toujours un peu plus haut. Comme si l'enfant cherchait des yeux celle qui, de son côté, s'était accroupie et longeait à pas de loup la palissade. Des vieilleries entassées dans un coin et qu'elle empila de son mieux avant que de se hisser à leur sommet. Quand elle avait collé son oreille contre les lattes elle avait entendu les ressorts d'un trampoline grincer. Alors, elle s'était préparée et, au moment précis où le couinement s'était fait entendre elle avait sauté et s'était agrippée au bord de la palissade.
- Bouh !
Avait-elle crié alors qu'apparaissait à quelques centimètres de son visage cet autre. Celui sur lequel la surprise, la colère et même une pointe d'amusement se le disputèrent avant que, dans un bien gros boum pour un aussi petit corps, le bambin tombe à la renverse. Aislin qui avait glapit et s'était hissée plus haut encore pour mieux tenter de s'assurer que le galopin sur ressorts allait bien.
- Hey ! Ça va ? Hé ! Tu me réponds oui ?!
Le son suivant qui s'échappa de sa bouche fut une unique, mais très longue, note. Ou voyelle puisqu'il s'agissait d'un sublime A. Celui qui était monté dans les aigus quand, elle, était tombée dans les buissons feuillus de ses voisins. Sa tête qui en émergeait quelques instants plus tard, couvert de feuilles et de terre. Et avec une coccinelle sur le bout de son nez. Elle prenait d'ailleurs délicatement la petite bête à bon dieu sur le bout de son doigt quand celui du petit garçon, vint tout aussi délicatement s'en emparer. Elle l'avait regardé faire en silence, n'avait pas même bougé d'un pouce tandis qu'il était allé la reposer un peu plus loin dans un parterre de fleurs. Quand il était revenu vers elle et s'était agenouillé devant elle pour mieux la débarrasser de ses feuilles Aislin l'avait laissé faire aussi. Et quand, se relevant, il lui avait tendu la main elle l'avait saisie.
- Tu veux une limonade ?
- Oui, merci.
Il l'avait entraînée vers l'entrée de la luxueuse maison puis, alors qu'il voyait sa mère poser sur leur étrange tandem son regard amusé et un brin curieux l'enfant avait simplement dit
- J'm'appelle Sage.
- Moi c'est Aislin.
Il lui avait souri. Elle en avait fait de même.
Il suffit parfois de si peu de choses…
Un trampoline, une coccinelle et une limonade.
Et c'est le début d'une histoire.
Deux…La voiture s'était arrêtée en bordure de trottoir couvert de fines poussières de sable. Les portières ne s'étaient ouvertes que pour mieux claquer dans un bruit sec et les notes acidulées du rire des deux adolescentes. Des remerciements et des promesses d’être sages qu'elles faisaient en sachant déjà qu'elles ne les tiendraient pas. Leurs planches qu'elles récupéraient dans un gloussement et voilà les deux naïades déjà parties. Leurs affaires de classe qu'elles jetaient sur les serviettes déjà étendues de leurs amis. Leurs shorts et leurs t-shirts qui s'en allaient décorer le sable et Deborah qui enfilait sa combinaison tandis que, à ses côtés, Aislin observait l'océan. Ou, pour être plus précise, celui qui était déjà à l'eau et émergeait tout juste d'un sublime barrel. Ils étaient nombreux à s'en être allés faire corps avec les vagues mais elle n'avait d'yeux que pour lui. Au plus grand amusement de celle qui, faisant remonter la glissière de sa combi, jetait sans avoir l'air d'y toucher
- Il paraît qu'entre June et lui c'est fini.
- Ah ? Et depuis quand ?
Avait répondu sans même s'en rendre compte celle qui aurait voulu pouvoir détourner les yeux de l'onde et de celui qui en semblait le prince mais qui s'en savait incapable. Elle aimait le voir ainsi, attendre sur le line up cette lame qu'il domptera pour mieux faire corps avec elle. Elle adorait plus que tout et sûrement bien plus que de raison le voir aussi libre. Enfin, libre.
- Il l'aurait larguée hier.
- Surprenant. Il avait l'air d'y tenir à celle-là.
- D'après Mickey il s'est décidé précisément quinze secondes après avoir appris que Jay et toi s'était fini.
- Mauvaise saison pour les couples faut croire…
- Ouais, c'est ça ! Et mon cul c'est du poulet ?
La rouquine avait soupiré et attaché ses longs cheveux avant que d'elle aussi, enfiler sa seconde peau. Elle savait pertinemment où son amie voulait l'entraîner. Insistait même lourdement pour l'entraîner
- Ash'… Vous savez qu'à part vous deux tout le monde sait comment les choses se finiront pour Sage et toi ?
- Ah ouais ? Vous êtes tous devenus voyants alors ?
- Non, on vous connaît et on vous supporte juste depuis le bac à sable ?
- Je note. Pour le « supporter » ça fait toujours super plaisir. Vraiment ! Ce qui est génial avec des amis comme vous c'est qu'on a même pas besoin d'ennemis.
Avait soupiré dans un roulement d'yeux celle qui se rasseyait dans le sable et attrapait d'une main la cannette lancée par l'un de leurs amis. Celle qu'elle achevait tout juste d'ouvrir et portait à ses lèvres quand Deborah reprenait en bonne petite pie
- Quoi ? Avoue quand même que vous êtes chiants tous les deux ! Depuis toujours vous êtes inséparables.
- Normal on est voisins…
- En classe aussi vous êtes toujours fourrés ensemble !
- On est dans la même classe !
- Quand il se fait virer curieusement toi aussi ?
- On est nés sous les mêmes mauvaises étoiles ?
Avait maugréé Aislin alors qu'elle sentait venir la conclusion, toujours la même, de leur sempiternelle conversation. La même aussi dès que Sage ou elle avaient la, apparemment, fâcheuse idée de se retrouver célibataires.
- Vous faites tout ensemble !
- Surtout nous disputer, nous insulter et nous battre même parfois ?
- Et rire, et vous soutenir, partager vos loisirs, vos rêves et vos secrets. Putain Ash' : vous partez même en vacances ensemble !
- Nuance : nos mères partent ensemble et nous entraînent dans leurs délires.
- A ce sujet… C'est vrai que la dernière fois vous avez du partager la même chambre ?
- Qui t’a dit ça ?
- Ta mère.
- Ma mère parle trop.
- Mais c'est vrai ou pas ?
Aislin avait haussé les épaules. Oui, c'était vrai.
- Donc en gros Sage et toi partagez des chambres, et même un lit, mais vous ne sortez pas ensemble ?
- C'est ça.
- Mais c'est débile !
- Non, ça ne l'est pas.
- Ah pardon ma belle mais ça l'est !
- Non. Mais oublie tu ne pourrais pas comprendre.
Avait répondu tout bas celle qui, se saisissant de sa planche, courait se mettre à l'eau elle aussi. Leurs planches qui se trouvaient maintenant côte à côte et leurs regards qui allaient, dans un même élan, se porter vers l'horizon. Sa main qu'elle tendit et lui qui l’avait saisie. Leurs doigts qui s'étaient noués et elle qui avait ri avant qu'il ne lui pose la question. La leur. Depuis qu'ils avaient fêté ses sept à elle et ses huit ans à lui. Cette question qu'ils se posaient chaque année en un rituel étrange mais qui n'appartenait qu'à eux.
- Quand on sera grands tu m’épouseras ?
- Non.
- Pourquoi ?
- Parce qu'on grandira jamais.
- Et si on grandit quand même tu m’épouseras ?
- Toujours pas, non.
- Pourquoi ?
- Parce que je t'aime trop pour t’épouser.
Ils avaient encore ri.
Leurs doigts s'étaient quittés.
Leurs planches et leurs corps éloignés.
Mais, ce jour-là et sans même qu'ils ne s'en rendent réellement compte, deux cœurs avaient battu au même tempo.
Et puis s'en va…Dans la rue, les lumières jaunâtres des réverbères vinrent frapper la carrosserie de cette voiture de patrouille que les jeunes saluèrent de leurs sifflets et de leurs plus fleuris mots. Les fesses posées sur la frêle rambarde, adossée à l'un des piliers branlants du porche sans âge, Aislin n’avait pas ri, elle. A sa main une bière ouverte mais à laquelle elle n'avait pas même encore touchée. A ses iris, cet éclat que seules les plus retenues des larmes peuvent faire naître. Et à sa poitrine, à l'endroit où elle pouvait sentir son cœur hoqueter de peur, sa main. Celle qu'elle regarda trembler. Avant que de soupirer et, lasse, se lever. Sa silhouette longiligne qu'elle trimballa au travers de ces pièces dont elle connaissait le moindre recoin, la plus petite égratignure au vernis du plancher, le moindre éclat à la laque des murs. Là, dans cette cuisine, elle se souvenait de leurs fous rires alors qu'ils apprenaient, sans grand succès il est vrai, à faire leurs tous premiers pancakes. Ici, sur ce canapé au cuir désormais délavé et tanné par le temps, ils s'étaient écroulés de fatigue. Ils y avaient noyé leurs chagrins au fond d'un verre ou d'un pot de crème glacée. Ils y avaient regardé leurs films préférés. Et, la plupart du temps, ils avaient fini par s'y endormir. Ne se réveillant que le lendemain quand l'un de leurs camarades de classe, le plus charitable, daignait leur rappeler qu'il était temps de bouger leurs fesses s'ils ne voulaient pas, une fois de plus, arriver en retard au bahut. Oui, cette maison sur la plage qui les avait tous vus grandir était emplie des fantômes de leur histoire. Et, ce soir, cela faisait mal. Mal à en crever en silence puisque même hurler lui semblait au-dessus de ses forces.
- Toujours pas de nouvelles ?
Non, pas la moindre. Et même si elle savait son geste parfaitement inutile, Aislin n'en avait pas moins vérifié une fois de plus son portable. Checkant avec une méticulosité dérangeante autant que dérangée chacune de leurs applications. Mais, comme elle ne s'y était que trop bien attendue, il n'y avait rien. Ou plutôt si. Ce détail qui n'en était pas un et qui, sans qu'elle ait seulement eu le temps de l'encaisser la faisait éclater en sanglots dans ces bras que sa meilleure amie refermait sur elle. Il l'avait supprimée de partout. Envoyée se perdre dans les abysses de son indifférence. De son rejet. Comme si disparaître du jour au lendemain n'avait pas été suffisant. Comme s'il lui avait fallu enfoncer jusqu'à la garde et en un cœur bien trop tendre la lame de sa trahison. Il aurait pu partir, elle aurait compris. Vraiment. Et même, oui peut-être même bien qu'elle aurait pu se réjouir de le voir prendre un nouveau départ loin de cette ville où, ces derniers temps, elle l'avait senti s’étioler plus encore que s'éloigner d'elle. Elle … Ses doigts qui se crispaient sur le coton du tee-shirt de Deborah alors qu'elle confessait enfin, mais trop tard.
- Je l'aimais…
- Je sais ma chérie. Je sais.
- Non, tu ne sais pas… Personne ne le sait !
S'était-elle emportée alors qu'elle s'échappait, s'enfuyait à son tour. Loin de cette amie qu'Aislin adorait mais dont, là et maintenant, elle ne supportait pas de voir la pitié luire au fond de ses prunelles. Loin de ces phrases toutes faites et si creuses de tous sens que ses amis auraient pourtant à cœur de lui servir les prochains jours comme ils l'avaient fait les précédents.
C'était un salaud. Non, il ne l'était pas ! Elle, le connaissait assez pour le savoir ! Ses doigts qui s'emparaient de cette peluche qu'elle ne se souvenait pas même avoir été chercher mais qu'elle serrait entre bras alors qu'elle rejoignait la terrasse. Et ouvrait le livre de ses souvenirs. Non. De leurs souvenirs.
Quelques jours plus tôt ils avaient fêté ses neuf ans à elle. Pour l'occasion elle avait mis son tee-shirt préféré, le vert pomme. Et sa mère avait commandé son gâteau préféré. Celui au chocolat. Ils avaient passé la plus belle des journées dans ce jardin qui, grâce à l'argent envoyé par son père, ressemblait à une véritable fête foraine en miniature. Il y avait même les machines à barbe à papa et le manège de chevaux de bois ! Aislin avait été gâtée croulait sous tous ces cadeaux qu'on lui avait faits. Mais le plus beau des cadeaux, c'était lui qui lui avait fait. Cette peluche Bisounours qu'elle rêvait d'avoir. Ce n'était qu'une peluche ridicule disait sa mère qui, à la place, lui avait offert une superbe poupée. Sauf que Aislin n'avait jamais aimé les poupées… Lui, elle ne lui avait même pas dit qu'elle voulait ça. Elle avait peur qu'il se moque. Mais pourtant il lui avait offert son Bisounours. Et quand, des étoiles dans les yeux, elle lui avait demandé comment il avait su il avait ri. Il l'avait vue littéralement baver devant la dernière fois qu'ils avaient été se promener au mall avec leurs mères. Il avait vu et compris. Et il avait dépensé ses économies pour lui offrir ce qu'elle voulait vraiment. Elle n'avait jamais oublié. Parce que, de tous, il avait été le seul à réellement l'écouter, la voir, la comprendre. Le seul à s'être réellement intéressé à elle. Le seul à la comprendre.
- C'est pas un salaud…
- Est-ce que ça compte encore qu'il le soit ou non ?
Avait dit celui qui, venant de la rejoindre, s’asseyait à ses côtés et laissait son regard se perdre à l'horizon sombre d'une nuit sans lune.
- Il ne reviendra pas Ash'.
- Comment peux-tu en être si sûr ? Il te l'a dit ?
Un silence encore plus violent et douloureux que n'auraient pu l'être des mots. Et Mickey qui passait un bras autour des épaules de celle qu'il ramenait à lui pour mieux en baiser le front. Celle qu'il garda longtemps ainsi contre son cœur qui se serrait à chacune de ces larmes que son amie, trop fière et trop brisée, se refusait à verser. Les secondes. Les minutes. Et puis les heures avaient fini par passer. L'aube naissante emportant avec elle les déceptions et les souvenirs assassinés de celle qui avait fini par s'endormir. Épuisée et ne parvenant toujours pas à comprendre ce qu'elle avait bien pu faire de si terrible pour ne pas mériter le plus petit mot d'adieu. Et Mickey eut le cœur presque brisé alors qu'il remontait sur elle qu'il venait de coucher sa couette. Elle pleurait. Trouvant dans un sommeil qui ne pouvait être qu’agité la paix des larmes. L'adolescent s'était levé et, une cigarette coincée entre ses lèvres plissées il était venu fouler de son pas harassé le sable humide du bord de l'eau. Un portable qu'il extirpait de sa poche et une profonde inspiration alors qu'il laissait ses doigts virevolter sur le clavier et composer un numéro. Une sonnerie à peine et une voix tendue qui décrochait.
- Alors ?
- Elle a compris je crois.
Un silence, comme une hésitation, et puis cette question qui fit presque grogner Mickey quand il l'entendit résonner à son tympan.
- Comment va-t-elle ?
- A ton avis mec ?! Elle est en miettes !
- …
- Tu t'attendais à quoi Sage, sérieusement ?!
- Merci Mickey.
Puis celui qui manquerait désormais à l'appel avait raccroché. A ses côtés Meredith Foley avait souri. Une tape, presque amicale, à l'épaule du jeune homme. A Perth le soleil se levait quand, à Miami, les deux hommes assistaient à son coucher. Le père d'Aislin avait simplement commenté
- Elle oubliera.
Non, elle n'oublierait pas, Sage le savait. Tout comme, il le savait, elle ne pardonnerait pas.
Parce qu'il n'y a pas pire trahison que celle qui vient de celui en qui on avait le plus confiance.
Celui qu'on aime. Et elle l'aimait, non ?
Elle oublierait, s'était-il à son tour menti.
Tout le monde oublie ses amourettes d'adolescence, non ?
Oui, bien sûr.
Mais qui oublie son premier amour ?
Personne.
~***~
Juin 2020 La portière ne s'était pas même encore totalement ouverte que déjà les confettis et les paillettes licornes pleuvaient sur les cheveux de celle qui ne put qu'en rire de bien bon cœur. Une main qui apparaissait dans l’entrebâillement et se secouait comme pour mieux la saluer. Et une figure de gros nounours qui surgissait à son tour.L'œil aussi clair que la longue tignasse était, elle, bien sombre.
- Te voilà enfin ! Ah bien on peut dire que tu sais te faire désirer toi !
Avait-il feint de gronder avant d'ouvrir la portière en grand et d'attraper avec une douceur étonnante vu son gabarit de colosse celle qui glapit de surprise lorsque, pareille à un fétu de paille, elle se retrouva jetée par-dessus son épaule. Pieds en avant et tête vers ce large qu'Aislin ne put nier être heureuse de retrouver. Elle profita un instant de la vue, s'enivrant de ces embruns si différents de ceux de Perth. Là-bas ils portaient en leurs cœurs la richesse des terres montagneuses et la rudesse des terres arides. Là-bas c'étaient les histoires compliquées des peuples dépossédés que le vent charriait au milieu des parfums de fleurs d'orchidée. Ici, à Miami, la mer faisait rouler entre ses vagues les odeurs musquées et urbaines d'une terre asservie et asphyxiée par l'homme. Ici c'était les hululements mécaniques des voies express qui claquaient dans les airs. C'était différent, plus violent. Mais c'était là qu'elle était née. C'était
aussi chez elle. Une claque à ses fesses un peu trop sonore, mais aussi cuisante, et voilà son géant préféré qui penchait légèrement sa tête en arrière et lui murmurait
- Y a une surprise pour toi.
- Pourquoi j'ai limite peur d'un coup ?
- Hé ! Je vais finir par me vexer !
Avait finalement jeté une voix qui, quand elle la reconnut, fit papillonner des cils le fétu de paille humain. Une fois, deux fois… et sa tête qui se releva d'un coup alors que paraissait devant elle cette silhouette aussi familière qu'adorée. Le temps que son cerveau soit certain de ne pas avoir rêvé et la voilà qui hurlait si fort sa joie que le pauvre Deeclan dut en perdre un tympan et, tout aussi sûrement, une épaule. En tous cas ses osselets en tremblèrent ! Aislin se sentie de nouveau soulevée, passant des bras de l'un au cou de l'autre. Celui à la taille de qui elle laissa ses jambes s’enrouler tandis que son nez tout constellé de taches de rousseur, allait se nicher au creux de l'épaule du nouveau venu. Un éclat de rire, pour tenter de ne pas laisser sa tendresse s'exposer et voilà Mickey qui caressait ses cheveux, baisant son front.
- C'est ta façon de me dire que je te manquais ?
Elle n'avait pas répondu, se laissant mollement ramener jusqu'à cette maison décorée spécialement à son intention. Des ballons flottait au gré du vent, une banderole peinte à la main lui souhaitait la bienvenue et, bien à leurs places, les bières attendaient sagement dans leur glacière d'être ouvertes. Jay finissait de décharger les valises d'Aislin quand la voix de celle-ci se fit entendre.
- Tu restes pour les vacances hein ? Tu n'es pas juste venu pour une semaine ou deux, promis ?
- Et si je te disais qu'en fait tu risques de devoir me supporter encore un bail ?
- Que…
- J'ai été accepté à l'UF ! Je vais pouvoir finir mes études ici !
il avait encore ri puis, d'un doigt sous son menton, il avait doucement contraint Aislin a le regarder droit dans les yeux. Alors ? Heureuse ?
- Oh que oui ! Je t'aime Mickey ! Je t'aime !
Avait murmuré dans une chose proche du sanglot, celle qui se serrait encore un peu plus contre son ami d'enfance. Lorsqu'elle avait décidé, sur ses conseils d'ailleurs, de postuler à l'école vétérinaire de Miami Aislin avait longuement hésité. Parce que revenir sur ce qui était le terrain de jeu de son père était une chose qu'elle n'avait plus envisagée depuis un moment. Oh pendant longtemps son « Daddou » comme elle l'appelait avait été son tout et, oui, l'homme lui manquait tant qu'elle rêvait de venir le retrouver sur ces terres qui, à en croire son passeport américain, étaient aussi les siennes. A une époque, même, elle et les autres riaient et imaginaient cette maison sur la plage où ils pourraient tous se retrouver après leurs cours de fac. Jay, sous ses airs parfois idiots, deviendrait médecin chirurgien comme il l'avait toujours voulu. En plus son frère aîné, Deeclan, habitait déjà là-bas et il y étudiait pour devenir océanologue : il pourrait les aider ! Debbie, elle, rêvait de journalisme et s'imaginait déjà en grande prêtresse de la presse écrite locale. Ou même pourquoi pas à la télé ? Elle était mignonne après tout. Mickey lui, se rêvait un jour pilote de F1, le lendemain avocat mais lui comme les autres le savait : il reprendrait ai final les rennes de la pieuvre d'entreprises familiales. Tous savaient déjà ce qu'ils feraient plus tard. Alors pourquoi ne pas tenir leur serment de ne jamais se quitter et émigrer là-bas ?
La maison était jolie. Une façade bleutée comme pour mieux narguer le ciel lui-même. Un petit jardin qui n'avait pas dû voir de jardinier depuis plus d'une décennie tant il ressemblait à une jungle en miniature. Une piscine car n'est-ce-pas là le comble du snobisme que de posséder une piscine quand, à quelques foulées à peine de chez soi, l'océan attend ? Bien sûr que si. Mais ces cinq amis qui pénétraient dans ce qui serait leur nouvelle demeure étaient, quoiqu'ils en disent, des parangons de douceâtre et quelque part inconsciente hypocrisie. Ils n'avaient pas trente ans, pas même fini leurs études mais vivaient déjà mieux qu’une majorité d'êtres humains ne le pourraient jamais. Ils se plaignaient d'avoir dû s'endetter sur plus d'une décennie pour financer leurs études mais devant leur maison étaient garés de purs bijoux de mécanique. Deux ou quatre roues. Italiennes, anglaises et évidemment américaines. Ils râlaient parfois d'avoir un frigo vide mais envisageaient déjà d'aller passer leur prochain spring break à Paris. Ils étaient jeunes, beaux et promis à des avenirs tous si roses que même les flamands et leurs si hautes cannes en auraient viré vert de jalousie ! Ils étaient les archétypes parfaits d'un système qu'ils entendaient pourtant dénoncer, faire tomber. Ils étaient juste des jeunes privilégiés tentant de faire leur place dans un monde pas aussi doré que cela.
- Alors, finalement, tu l'avais pas jeté hein ?
Murmurait dans un sourire en coin celui qui venait d'entrer dans la chambre et s’asseyait sur le lit de son amie. Entre ses mains le vieux Bisounours prénommé Paz. Celui avec qui, chaque soir, Aislin s'endormait. Peu importait bien qui pouvait se trouver avec elle sous les draps seule sa peluche parvenait à la rassurer assez pour qu'elle glisse doucement vers les rives du sommeil. Sauf quand c'était avec lui qu'elle avait partagé ses nuits. Lui qui était parti avant qu'ils n'aient seulement eu la chance d'en partager plus. Parfois, à cet instant très précis où la conscience n'est plus tout à fait et l'inconscience pas encore, Aislin pourrait presque jurer sentir le fantôme de ses bras se refermer sur elle. Son nez venir se nicher dans son cou. Ses lèvres effleurer les siennes. Et le parfum de sa peau. Le seul qu'elle n'ait jamais oublié. Le seul qu'elle ait jamais aimé. Celui qui lui manquait chaque jour quand bien même elle n'en parlait jamais. Son prénom, la jeune femme ne l'avait plus jamais prononcé depuis cette nuit où elle avait compris, mais sans l'admettre, qu'il ne reviendrait pas. Sage l'avait trahi. Abandonnée. Alors, non, elle ne prononcerait plus jamais son prénom !
- Non, mais tu connais ma mère elle aurait piqué une crise si je l'avais fait.
- On parle bien de ta mère là ? Celle qui aurait été prête à payer un homme de main pour, enfin, se débarrasser de ce nid à microbes ?
- Ouais, on parle bien de cette mère là. A croire qu'elle a finalement changé d'avis.
- Ou qu'elle sait ce que Paz représente pour toi.
- Possible oui…
Avait répondu sans même une pirouette celle qui reprenait sa peluche et la serrait bien fort entre ses bras. Puis elle était venue vers ce mur où en un patchwork de cadres, s'étalait leur histoire commune à tous. Des photos choisies soigneusement parmi ces milliers qu'Aislin possédait d'eux. Depuis leur rencontre jusqu'à aujourd'hui. Chacune des étapes, importante ou non, de leurs vies avait été immortalisée. Et ils y étaient tous. Vraiment tous. Sur sa table nuit trois photos. Une de ses parents à l'une de ces désormais bien rares occasions où ils ne rêvaient pas de s’entretuer. Une autre de toute leur squad prise sur la plage évidemment et avec leurs planches pour tout décor. Sur celle-ci Aislin était accrochée au dos de Sage et riait aux éclats. Sur la dernière, celle où ils n'étaient plus que tous les deux, ils étaient assis à même le sol. Elle entre ses jambes, une main sur sa cuisse l'autre à son cœur. Lui avait une main à sa nuque. Et leurs lèvres se frôlaient en une promesse de baiser. Derrière eux, la moto de Sage. Sa toute première. Au sol, tout près d'eux, une carte de l'Ecosse.
- C'est ce jour-là qu'on vous a grillés pour la toute première fois.
- Franchement vous n'étiez pas doués !
- Oh hé ! C'est surtout vous qui étiez super discrets oui !
- Possible, oui.
- D'ailleurs on n'a jamais compris.
- Quoi ?
- Pourquoi vous vous l'êtes jouée en mode scred ! C'est pas comme si on se doutait pas que vous étiez ensemble hein…
- On l'était pas.
- Bon, que vous sortiez ensemble si tu préfères.
- On sortait pas ensemble non plus.
- C'est ça ! Et quand ta mère vous a surpris à deux dans ta douche là non plus vous n'étiez rien d'autre que des amis je suppose ?
Aislin avait ri mais s'était abstenue de répondre. Parce que aussi fort Mickey puisse-t-il les aimer Sage et elle ils ne comprendrait pas. Il ne pouvait pas comprendre. Ces choses qui n'appartiendraient jamais qu'à eux deux. Des anecdotes glanées au fil des jours et au gré de leurs humeurs. Des rires jetés aux vents de leur complicité aux cris de leurs orages. Et de ces mots bien trop tendres pour leurs cœurs pudiques. Ces serments qu'ils peinaient parfois à mettre en mots mais qu'ils mettaient en musique. Quand, ensemble et dans le secret de l'une de leurs chambres, ils chantaient leurs musiques préférées. Quand, du bout de leurs doigts maladroits, ils s'étaient découverts. Il avait été son premier. Elle pensait sincèrement qu'il aurait même pu être le dernier. Parce que…
- Vous foutez quoi là tous les deux ?
avait jeté un sourcil haussé et la malice au bleu de son œil Jay tandis qu'il bondissait dans la chambre et ajoutait dans un clin d'œil complice Enfilez vos maillots et vos combis, choisissez votre planche et rejoignez nous !
- La météo est comment ?
- Offshore ma belle ! Offshore toute !
- Je me change et je vous rejoins.
- Ca va aller ?
Avait demandé, une pointe d'inquiétude dans sa voix, celui qui quitta néanmoins la chambre quand elle l’en avait congédié d'un sourire. Il se dirigeait vers sa propre chambre quand la voix de Jay avait résonné à ses côtés
- Elle va bien ?
- Fatiguée et inquiète mais tu la connais : quelques bonnes vagues, autant de bières et surtout un bon gros dodo et elle sera redevenue ce tourbillon d'énergie qui, dans moins d'une semaine, nous aura tous déjà foutus sur les rotules.
Ils avaient ri de concert avant que la question de Deeclan ne douche leur bonne humeur.
- Et elle sait ? Pour Sage ?
- Non.
- Et lui il le sait ?
- Non plus.
Alors que ses amis fronçaient les sourcils Mickey avait soupiré.
- Un volontaire pour leur parler ?
Comme il s'y était attendu le silence fut la seule réponse qu'il obtint. De toute façon, et ça aussi le brun le savait, si quelqu'un devait se risquer à jouer les pacificateurs ce ne pouvait être que lui. Non ? Il avait laissé ses potes entraîner vers l'eau et bien vite il oubliait sa mélancolie. Demain viendrait bien assez vite et les lapins crétins se retrouveraient eux bien assez vite aussi.
A son tour Aislin sortait de la maison. A son flanc ce tatouage de renard qui ferait bien rire Mickey quand il le verrait. A ses oreilles ses buds préférés. Entre ses mains son téléphone et ses doigts qui scrollaient la liste immense de ses playlists. Un sourire et la musique qui, doucement, résonne à ses tympans et s'écoule de ses lèvres en notes cristallines.
« You will remember
When this is blown over
And everything's all by the way
When I grow older
I will be there at your side to remind you
How I still love you (I still love you)
Back, hurry back
Please, bring it back home to me
Because you don't know
What it means to me
Love of my life
Love of my life
Ooh, ooh »