Alors qu'il était allongé sur son lit de fortune, Dean eut l'idée de jeter un œil sur les offres d'emploi saisonnier. En effet, lorsqu'il n'était pas appelé à exercer à l'extérieur du pays, son salaire se trouvait amoindri, et il avait pris pour habitude de chercher de quoi renflouer son compte en banque en fouinant sur l'Internet. Les sites qui m'étaient en relation employeur et salarié ne manquaient pas. Tantôt nounou pour chien, jardinier, ou encore réparateur de petites casses, il était tombé sur une annonce qui stipulait rechercher un ouvrier polyvalent dans une ferme de Floride. Ce fut d'autant plus intéressant que le butin octroyé pour ces deux matinées de travail était de deux cent dollars. Le militaire n'hésita pas à donner un coup de fil et faire valoir sa motivation. Le fait qu'il serve le pays et soit entraîné à porter des charges lourdes avait aidé, et il fut même informé qu'une deuxième personne était recherchée, juste au cas où. Naturellement, ses pensées se tournèrent vers un ami en particulier...


Le jour était arrivé. Dean et Spencer s'étaient mis d'accord pour arriver à destination par leur propre moyen. L'asiatique était rendu le premier sur les lieux, mais préféra attendre sagement son camarade pour aller se présenter aux propriétaires. Muni d'un sac à dos avec, à l'intérieur, des affaires de rechange et des bottes en caoutchouc, il s'adossa à la clôture qui entourait la ferme et envoya un premier message à Yaël, pour l'informer qu'il avait trouvé l'endroit, puis un autre à son compère, pour savoir où il se trouvait. Ils étaient attendus trente minutes avant le début des premières missions, histoire de prendre connaissance de ce qu'on attendait d'eux. A Miami, ils n'avaient pas forcément l'occasion de s'aventurer dans des fermes autres que ces fameux parcs animaliers. Et encore, ils n'étaient que de simples touristes, ravis de profiter des habitudes d'animaux derrière vitres et barrières de sécurité. Là, ils allaient faire face à de nombreuses espèces qu'ils ne croisaient que dans leur assiette.

Spencer pointa le bout de son nez peu après l'envoi du SMS, et Dean lui fit un signe pour le saluer. Une fois tous deux à la même hauteur, ils s'empoignèrent la main, heureux de se retrouver. Ça date, depuis cette fameuse fois au Starbucks, ajouta-t-il. C'était vrai qu'il aurait pensé le revoir davantage, mais les emplois du temps ne coïncidaient pas toujours, et le militaire n'était revenu que quelques semaines par-ci, par-là, depuis. J'espère qu'on trouvera plus d'un après-midi cette fois-ci, profita-t-il d'enchérir, parce qu'il savait rester sur Miami un bon mois avant de retrouver le régiment. Tu pètes la forme, l'interrogea-t-il, histoire de savoir si rien n'avait eu l'occasion de saccager la bonne humeur de son acolyte, ou sa santé physique. Ils étaient restés en contact grâce à leur téléphone, mais c'était si simple de dire que tout allait bien dans un message, lors d'un appel. Face à un ami, il était compliqué de mentir. J'suis grave enthousiaste de commencer, pour tout avouer, ce qui expliquait l'excitation qui se ressentait dans sa voix.

Il n'y avait absolument rien dans sa vie qui pouvait le faire déprimer, en fait. Même si les entraînements commençaient à lui prendre la tête, et qu'il croisait les doigts pour partir en mission à l'intérieur du pays ou en opération extérieure prochainement, il ne se plaignait pas spécialement de son travail. Son nouveau grade l'avait mené à travailler en tant que chef d'équipe, et à découvrir d'autres militaires qu'il porterait sous sa responsabilité, et il adorait ça ; prendre du galon avait toujours l'un de ses principaux objectifs. Sa vie privée avait même connu un nouveau sort depuis mars. La fluctuation de moments plus ou moins compliqués n'avait pas entaché sa volonté de se projeter dans cette relation, et il y croyait dur comme fer, à tel point qu'il avait sauté le pas pour la rendre officielle. Il n'avait plus cette intention de la cacher, maintenant qu'ils étaient en couple depuis près de six mois. T'as déjà bossé dans une ferme, demanda-t-il, de façon à savoir s'il pourrait se reposer sur Spencer.


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Prendre sa retraite de l'armée, c'est sa mère qui sauterait de joie. Dès le jour où il avait informé sa famille qu'il avait passé les sélections et devait se rendre en centre de formation, ils ne rêvaient tous que du moment où, épuisé physiquement et mentalement, il reviendrait auprès d'eux. Et pour faire en sorte que cet instant ne se fasse pas trop attendre, ils avaient trouvé cette astuce absurde de critiquer gentiment tout ce qui pouvait être critiquable à leurs yeux. Manque de bol, Dean avait un caractère très ambitieux, et tout ce qu'ils avaient mis en place pour le dissuader de continuer n'avait fait que renforcer cette passion qu'il avait acquis pour son métier, à tel point qu'il avait pris du galon et était devenu le Sergent Hassani. Chef d'une équipe de neuf hommes, pour sûr que prendre sa retraite était la dernière chose à laquelle il pensait.

La Russe, répéta-t-il, totalement plongé dans l'incompréhension. Il y avait bien eu une femme dont il avait fait rapidement mention à Spencer, originaire de Russie, qu'il avait rencontrée quelques années auparavant, et avec qui il avait fricoté à New-York. La relation s'était soldée sur un échec, car la demoiselle avait trouvé bon de se laisser aller dans les bras d'un autre alors qu'il avait été blessé. Son excuse avait été qu'elle le pensait mort, mais il se doutait bien qu'elle n'avait pas attendu qu'il soit hospitalisé pour aller voir ailleurs. Alors, oui, il y avait bien eu une Russe dans sa vie, mais cette histoire était ancienne, et il ne connaissait pas son ami capable de déterrer des souvenirs qu'il préférait laisser derrière lui. Oh, tu parles de la métisse avec qui j'avais rendez-vous, se rappela-t-il en remettant le calendrier en place dans sa tête.

Ils arrivèrent à une barrière qui entourait un bâtiment, et firent quelques pas de côté pour trouver une vieille sonnette du siècle passé qu'ils actionnèrent. Ça ne s'est pas concrétisé, haussa-t-il les épaules, encore un brin déçu de cette soirée. Il n'avait pas grand-chose à ajouter, si ce ne fut : on a préféré rester potes, ça valait mieux. En y repensant, ils s'étaient tous deux utilisés : elle pour son expérience sociale, lui pour tenter de guérir de sa relation avec Zahra. Ils ne s'étaient pas revus d'ailleurs, et il ne ressentait pas le besoin de la voir pour l'instant. De toute façon, il ne saurait quoi lui dire ; le temps faisait son travail, et parfois il fallait attendre un peu plus que prévu. Dean comprit néanmoins qu'il se faisait cramer tout seul, et décida de tempérer davantage son enthousiasme, parce qu'il n'avait parlé de Yaël à personne.

Jamais, avoua-t-il à son tour, je crois même que je n'en ai jamais visité une... Il n'était pas trop zoo et parc national. Sa famille n'avait jamais eu l'argent nécessaire à l'achat de huit tickets, et maintenant qu'il y avait enfants et petits-enfants, autant dire que les rares fois où il avait mis le pied dans un endroit qui renfermait des animaux, ça n'avait été que pour faire plaisir à une jeune femme ; rares fois, donc. On verra bien, se rassura-t-il, même si l'odeur commençait déjà à lui monter au nez, alors qu'ils n'étaient même pas sur la propriété. Il gratta ses narines, en espérant se montrer discret, quand le maître des lieux vint à leur rencontre avec un large sourire sur les lèvres. Il les salua, accompagné de son chien de berger, et leur ouvrit la passerelle en fer gris. Il semblait heureux de pouvoir compter sur des jeunes hommes ponctuels.

Le militaire n'était pas très à l'aise avec les chiens, notamment parce que sa religion lui avait appris qu'il fallait préférer les chats si l'on souhaitait de la compagnie. Il tenta de faire abstraction de la présence de l'animal, mais ce dernier vint se frotter à ses affaires. Même si celles-ci avaient été choisies spécialement pour le travail à la ferme, il savait déjà qu'il ne pourrait les garder après cette incroyable aventure en campagne. On vous laisse nous montrer ce que vous attendez de nous, fit-il au propriétaire. Et il aurait dû se taire, peut-être, car il les emmena vers l'étable où des casiers de paille souillée attendaient d'être nettoyés. J'vous laisse enfiler vos bottes, dit joyeusement le vieux gaillard devant la mine déconfite du citadin ; et peut-être de Spencer aussi ? Son regard observa ce qui ressemblait à une scène de crime avant de le tourner vers son acolyte.

Comment s'était-il décrit, déjà ? Enthousiaste, n'était-ce pas ?


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Alors que le propriétaire leur présentait les outils qu'il avait mis à leur disposition pour l'exercice de leur mission, Dean sentait déjà l'odeur de l'endroit imprégner les tissus des vêtements qu'il portait. Il n'avait pas imaginé sentir la rose après s'être acharné une matinée entière dans une ferme, mais il aurait espéré attendre la fin du travail pour ressentir les premiers effets de la crasse humide et odorante qu'il aurait remuée. Enfin, ils étaient là, et s'étaient engagés à effectuer les tâches qu'on leur confierait. Ils ne pouvaient plus faire marche-arrière. Le militaire lança un sourire au plus vieux qui se déchargea de leur montrer de quelle façon son ouvrier habituel procédait, et les laissa gérer comme ils le souhaitaient, tant que le résultat restait le même in-fine. L'asiatique enfila ses bottes au moment où l'exclamation de son acolyte vint lui tirer une vilaine grimace à son encontre. Heureusement qu'il est question de deux cent dollars alors, répondit-il au retour vers le XIXe siècle conté par Spencer.

Il prit l'équivalent d'une grosse et grande pelle et se rendit dans le fond du premier casier de l'étable. Il commença à ramener la paille souillée de bouses vers l'allée centrale quand son ami lui fit remarquer une chose qui lui parut improbable : attends, c'est pas un troupeau entier qui a fait ça ? Il s'était arrêté cinq secondes pour attendre la confirmation d'une blague que l'artiste avait trouvé chouette de lâcher, mais il n'en fit rien. Ses yeux s'écarquillèrent, et il finit presque débridé de l'information : sérieux ? Alors comme ça  une vache produisait autant de déchets en l'espace d'une seule nuit ? Voilà une information qu'il pourrait ressortir à l'occasion ; si l'occasion se présentait de parler d'animaux et de leurs déjections. Le travail promettait d'être long, alors ils ne tergiversèrent pas davantage, puisque le but était tout de même d'être payés avant midi. Ce fut alors à coup de bêche et de balai qu'ils tentèrent de rendre l'endroit propre, et ils finirent par un bon jet d'eau afin de retirer ce qui était incrusté.

Ils étaient en âge. Le mission était tout autant physique que l'environnement était lourd et humide. La combinaison des deux les dessécha et les gouttes de sueur avaient gagné leur front. Les vêtements qu'ils avaient préparé pour l'occasion étaient mouillés, mélange de transpiration et d'eau claire. Dean essuya ses tempes de son avant-bras avant de se tourner vers la jeune femme qui apparut dans le bâtiment munie d'une cruche et de deux verres. Le militaire ne s'attarda pas dessus, affirmant simplement que c'était bienvenu. Il enleva ses gants crottés, prit le gobelet en plastique et but l'intérieur d'une traite avant de demander s'il était possible d'en avoir un autre « pour la route ». Merci, lança-t-il avant de s'équiper à nouveau. Elle sembla vouloir s'intéresser à eux et engagea une brève discussion et Dean ne répondit que par des phrases courtes, surtout lorsque son acolyte ne pouvait le faire pour lui. Il n'était pas là pour se faire des amis, car une fois le tout terminé, il s'en irait sans se retourner.

Elle quitta l'endroit avec la cruche vidée de son liquide, et l'asiatique se mit à pailler l'endroit qu'ils avaient nettoyé. Tu trouves, retourna-t-il à son ami alors qu'il restait concentré sur les poignées de brins secs qu'il faisait tomber au sol, j'ai pas bien regardé. Il n'avait pas prêté plus que ça attention au physique de la fermière, et il ne pourrait même pas dire de quelle couleur étaient ses yeux. Quant à ses cheveux, était-ce un châtain ou un blond foncé ? Il n'écouta que d'une oreille le commentaire de Spencer, et il s'arrêta uniquement de bosser lorsque celui-ci énonça le très célèbre Charles Ingalls d'une série. T'es entrain de me la vendre, ou je rêve, l'interrogea-t-il, plus rieur que jamais. Tu sais, si tu veux mon avis, je trouve que les chemises à carreaux t'iraient bien mieux qu'à moi, renvoya-t-il la possibilité qu'elle soit sa promise à lui, et non la sienne, et puis tu la trouves jolie, reprit-il mot pour mot sa remarque.

Et puis, je n'ai clairement pas envie de jouer au combat de coqs avec toi, fit-il, les animaux n'auront pas ce qu'il me reste de dignité. Oh que non, il ne se transformera pas en l'un d'entre eux pour une femme. De plus, on ne dit pas que les fermiers sont très protecteurs avec leur progéniture, supposa-t-il avoir déjà entendu ça quelque part, je serais toi, je garderais les yeux dans mes poches pour éviter tout problème. Il termina cette phrase par un clin d’œil complice ; ils avaient besoin de ces deux cents dollars, l'un comme l'autre. Et puis, j'ai toujours préféré les brunes, lâcha-t-il avant d'étaler correctement la paille à l'aide d'une fourche ; la Russe ne comptait pas. Ça se passe comme vous le voulez, sortit une voix féminine, cette même voix qui les avait invité à se rafraîchir plus tôt. Dean ne répondit rien, hocha furtivement la tête, même s'il avait imaginé une labeur moins puante, puis regarda Spencer, lui laissant le loisir de faire la causette.

Mon père m'a demandé de vérifier si vous aviez compris ce qu'on attendait de vous, mais je crois qu'il n'y a plus à en douter, fit-elle en jetant un oeil sur le travail qu'ils avaient effectué tous deux, et Dean en fut plutôt fier, surtout pour une première. J'espère que vous n'avez pas peur des poules, leur demanda-t-elle pour introduire le deuxième travail ; où avait-elle entendu leur conversation d'une oreille ?


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Dean avait eu tout juste le temps de hausser les épaules avant l'arrivée de la jeune femme aux cheveux clairs, et bandana vert à pois. Sans le savoir, elle avait écourté une conversation bien intéressante : deux hommes qui parlaient d'amour, c'était beau, non ? Avec deux ex-copines à son actif, le militaire n'était clairement pas un expert du sujet, mais c'en était un de ceux que les hommes savaient aborder à leur manière. Une manière un peu trop moqueuse, peut-être, qui déplairait à la gente féminine. Car, contrairement à eux, elles étaient du genre à prendre trop au sérieux tout ce qui s'y rapportait. Le centième jour de relation, les  « moisiversaires » du couple, la Saint-Valentin, la Saint-Amour, les traditions du mariage, les noces. Tellement de dates qu'il fallait retenir pour espérer satisfaire la dame de son cœur. Et s'il n'était question que de dates... Il ne fallait pas avoir peur de dépasser ses limites, et les chouchouter à la moindre occasion. C'était exagéré de penser ainsi ? Pourtant, c'était bien l'impression que l'asiatique se faisait d'une relation : stressante. Peut-être parce que les ratés de sa maigre vie de compagnon, majoritairement absent, lui demandaient d'être plus exigent avec lui-même.

Le sous-officier ne comprit pas vraiment le sous-entendu qui s'était fait entre Spencer et la fermière, encore moins la mimique qui se tatoua sur le visage de son ami, ni le petit sourire malicieux qui se glissa sur les lèvres de la fille du propriétaire. Il laissa tomber, et le fait de comprendre, mais aussi la fourche contre un panneau de bois, avant de suivre sagement la paysanne avec, à ses côtés, l'ouvrier polyvalent d'un jour. Ils sortirent alors de l'étable, et Dean eut l'impression de respirer enfin. Deux heures qu'ils avaient été au contact d'une atmosphère étouffante, alors il en profita pour inspirer la pureté de l'air. Le poulailler était de l'autre côté de la cour, et ils eurent le temps de reprendre là où ils s'en étaient arrêtés. Tu parles de Zahra, demanda-t-il lorsque son voisin de marche fit allusion au passé. Le ton du plus grand s'était voulu sérieux, et un brin d'amertume s'était caché derrière le prénom de celle qu'il avait pensé « la bonne ». Ils n'avaient jamais eu l'occasion d'en parler vraiment, de cette rupture, mais Spencer avait été témoin bon nombre d'années de ce que Dean avait été prêt, et aurait été prêt, à faire pour la syrienne. Alors forcément, cette fin de relation, il l'avait longtemps gardé en travers de la gorge.

C'est fait, répondit-il après quelques secondes à s'être terré dans le silence, quasiment. Il ne put s'empêcher de sourire à son ami. Il ne lui restait plus que de boucler la boucle avec la fille Khouri, et justement ils devaient se revoir quelques jours plus tard pour mettre un terme à ce poids qu'il portait en son cœur. Ils n'eurent pas l'occasion d'approfondir la conversation puisque celle qui les avait devancé de quelques mètres s'arrêta devant un long et grand grillage. Elle leur présenta l'endroit où ils devaient entrer pour nourrir les poules et le coq. Une fois tout le monde à l'extérieur, vous serez tranquilles pour aller chercher les œufs qui se trouvent dans la maison des volailles, les informa-t-elle. Dean ne put s'empêcher d'observer les animaux de la basse-cour picorer la terre à la recherche de vers à se mettre sous le bec, et il espéra qu'ils n'avaient pas pour habitude de picorer autre chose. C'est pas dangereux, interrogea-t-il la fermière qui ne put s'empêcher de lâcher un rire, impossible à retenir, peut-être qu'ils n'aiment pas accueillir des étrangers sur leurs terres, j'sais pas. Cette réflexion semblait stupide ? Autant pour lui. Il préférait tout de même rester sur ses gardes, c'était ce qu'on lui avait appris à l'armée.

Elle leur montra les deux baluchons de graines qu'ils devaient porter sur l'une de leurs épaules, et leur indiqua que le toit des baraquements pouvait s'ouvrir ; histoire qu'ils n'essaient pas de passer par la petite porte destinée aux poules. Je vous ouvre, dit-elle une fois qu'ils se munirent d'un sac chacun. Dean invita Spencer à entrer en premier. Il fallait avouer qu'il était bien plus à l'aise face à des ennemis à sa taille. Lorsque la porte se referma derrière eux, le bruit du grillage sembla donner l'alerte. Une vingtaine de volatiles sortirent, et le militaire eut l'image de centaines de mercenaires accourant de toute part, de tout endroit, coin et recoin. Tant et si bien qu'il n'atteignit pas la première coupole avant de lâcher la totalité du repas à même le sol, secouant la toile pour leur céder jusqu'au dernier grain. Courageux, oui, mais sous certaines conditions. Elles ont l'air plus sympas dans les assiettes, commenta-t-il, après s'être écarté.


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Dean n’avait jamais vraiment eu de grandes affinités avec les animaux, et si on lui demandait pour quelles raisons, il ne saurait même pas dire pourquoi. Du plus loin qu’il se souvenait, jamais il n’avait vécu de situations traumatisantes, pas au point d’être si indifférent aux espèces qu’il pouvait croiser au quotidien. Il n’avait jamais eu d’animal de compagnie à la maison, et il ne se rappelait pas en avoir vu chez des membres de sa famille non plus. Pour autant, était-ce suffisant pour expliquer son cas ? Probablement pas. Et ça le rendait mal à l’aise d’être ainsi, car il entendait beaucoup de personnes autour de lui confirmer ô combien les humains étaient faits pour adorer les bêtes. Tous, sauf lui. D’ailleurs, même avec le chat de sa petite-copine, ça ne passait pas. Elle se montrait horriblement jalouse et rancunière envers lui, prête à lui faire vivre le pire enfer. Et lui, un peu puérile sur les bords, n’hésitait pas à l’enfermer dans une pièce pour prendre son petit-déjeuner tranquillement lorsque la maîtresse de l’appartement s'absentait.

En-dehors de ça, il était capable d’en prendre soin. Il pensait à Luna à chaque fois qu’il passait près d’une animalerie, ou d’une allée dédiée aux animaux, et ne pouvait s’empêcher de lui prendre une pâté, une souris mécanique ou une canne à plumes. Il savait aussi donner le restant de son sandwich aux pigeons qu’il croisait dans le parc, où trouver une coupole à remplir d’eau pour l’offrir aux animaux errants des rues. Non. Dean n’était pas un sans-cœur, c’était juste le feeling avec les êtres à poils, à plumes, à écailles, qui ne passait pas. Il faisait l’effort qu’il lui convenait de faire, et c’était aussi le cas lorsque Spencer reprit le pas vers un sujet fort intéressant. Tu veux que je t'explique quoi, demanda-t-il à son ami en levant le couvercle de la maisonnette en bois dédiée aux poules pondeuses, la façon dont on range les œufs dans le panier en osier ou la manière dont leurs chères mamans vont être… couic, fit-il ce geste sous le menton qui caractérisait la façon dont on retirait la vie à ce genre de bêtes..

Oh, ce n’était bien-sûr que pour la farce, -sans mauvais jeu de mots-, il savait pertinemment de quoi son acolyte voulait causer, et ce ne fut que pour faire durer le suspens qu’il joua son rôle de crédule quelques secondes supplémentaires avant de céder. Il se pourrait que j’ai quelqu’un, dit-il dans le plus grand calme, comme si c’était d’un banal. Un banal pour la majorité de la population masculine, certes, mais une grande étape pour lui. Cela impliquait qu’il ait accepté de tirer un trait sur le passé, d’arrêter de croire que Zahra reviendrait à ses côtés, de rêver plus que ce que sa carrière professionnelle de militaire lui permettait de voir. Depuis, commença-t-il avant de compter sur ses doigts pour ne pas dire de bêtises, presque six mois maintenant. Rien à voir avec une relation de passage, donc. Même si tout portait à croire que la vie tourmentée de l’Asiatique menait forcément à des histoires peu sérieuses, les faits étaient bien réels : il avait une copine, et il la fréquentait depuis un moment déjà.

On se connait depuis la fin du collège, donna-t-il un premier indice. Indice qui stipulait ouvertement qu’il l’avait rencontrée alors qu’il était déjà en couple avec sa syrienne, même s’ils avaient réussi à rester discrets. Mais j’imagine que tu ne vas pas te contenter de ces maigres informations, supposa-t-il. Et il aurait parié de l’argent pour sûr si ça n’avait pas été prohibé par sa religion. Alors, dis-moi, fit-il en reprenant le rangement des œufs frais dans le fond du panier, tu veux savoir quoi ?


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