ême si j'essayais de me convaincre que ma nouvelle vie à Miami me plaisait, je savais pertinamment que ce n'était pas le cas. Je n'étais pas heureux ici, tout comme je ne l'étais pas à Washington. Je ne serais heureux nul part, en réalité ; j'avais eu tort de penser que déménager me soulagerait. J'avais vraiment le don de fuir les problèmes au lieu de me confronter à eux et de les régler une fois pour toute. En essayant de les fuir, pour ne plus y penser, ils ne cessaient de me tourmenter. Mais je ne me sentais pas la force de revivre les évènements. Je ne pouvais émotionnellement pas revenir à Washington et me confronter à la douleur de mes parents et ma soeur. Revenir à eux me rappellerait immédiatement tout ce que j'avais vécu avec ma jumelle. J'avais peur de ne pas tenir. Tout cela était au dessus de mes forces. Je me sentais si faible et si vide. J'essayais de me convaincre que j'allais bien, mais au fond, je savais que tout allait mal. Pire qu'un drogué, la sensation de manque m'était insupportable. J'étais réellement accro à June, elle était ma lumière. Maintenant elle s'était éteinte, et j'étais seul dans l'obscurité, sans personne pour me guider. J'avais ressassé ses pensées toute la nuit, allongé sur mon lit. Comme d'habitude, le sommeil n'était pas venu me trouver, et j'avais vidé la moitié de mon paquet de cigarettes pour essayer de me détendre. J'avais même essayé de regarder une comédie à la télé, mais tout me semblait fade et dépourvu de sens. C'était donc ça, la dépression ? Comme si je ne ressentais plus rien qu'une tristesse vague et infinie. Plus étonnant encore, j'éprouvais une sorte de colère envers moi-même. J'aurais tellement aimé m'en sortir, et mon manque de courage m'effrayait. Est-ce que j'étais aussi lâche que ça ?

Quand l'aube se leva, je pris rapidement une douche et m'habillai. Mon reflet m'effraya : mes cheveux, comme d'habitude, vivaient leur vie, indépendamment de ma volonté ; mes yeux étaient rouges de fatigue, encadrés par d'immenses cernes noirâtres. Je faisais vraiment peine à voir. Je sortis ensuite dans la rue, respirant l'air frais du matin, tâchant de ne pas réveiller Blake, qui lui devait dormir paisiblement. Il faisait déjà relativement chaud dans la ville ; venant du nord, je ne m'étais toujours pas habitué au climat. Je m'assis d'abord sur le trottoir, et me fumai une énième cigarette. Les rares personnes qui passaient à cette heure matinale me regardaient de travers, sûrement effrayé par mon air cadavérique. Puis, je me mis lentement en marche et me rendis au cimetière. J'y venais assez souvent, ces derniers temps, en général tôt le matin, avant d'aller au travail. J'avais besoin de faire le deuil de ma soeur, même si je n'acceptais toujours pas sa mort. Je le devais. Or, son corps reposait à Washigton, à des centaines de kilomètres de là. À défaut de venir pleurer sur sa tombe, j'allais au cimetière de Miami, au côté d'autres morts. Je trouvais le cimetière reposant. J'avais l'impression que ces gens silencieux me comprenaient. Je m'assis, comme d'habitude, auprès de la tombe d'une femme qui s'appelait Milicent Walker, morte à l'âge de 68 ans. Je ne la connaissais absolument pas, mais j'aimais m'asseoir près de sa tombe et parfois, il m'arrivait de m'adresser à elle. C'était presque devenu une amie. Quelques minutes après mon arrivée, je remarquai qu'une jeune femme se trouvait là. Étrange, il n'y avait d'habitude personne ici à cette heure. Elle se dirigeait vers la tombe à côté de la mienne. Ce n'était pas vraiment une tombe en fait, on aurait dit qu'un animal y reposait. Je savais que quelque fois, on autorisait les animaux à être enterré dans les cimetières des "humains". Elle déposa lentement des fleurs sur la tombe, puis nous nous regardèrent mutuellement. J'avais peur qu'elle ne soit effrayée. Un homme avec une allure si épouvantable, dans un cimetière un matin, c'était digne d'un scénario de film d'horreur. Je baissai les yeux, un peu honteux. Je trouvai moi aussi ma présence étrange. « Je suis désolé pour votre perte » fis-je en levant mes yeux vers la brune. « Comment s'appelait-il ? » Je savais qu'engager la discussion dans un cimetière était bizarre, mais j'étais si épuisé que je ne savais pas tellement ce que je faisais.