Assis à la terrasse du Seven Devil bar, j'attendais Teddie. Je l'avais rencontré quelques jours auparavant, et elle m'avait tout de suite intéressé. Pas au niveau relationnel, bien entendu. Comme si cette fille aurait pu m'intéresser ! Elle n'avait pas l'air méchante, au contraire, mais je ne vois pas pourquoi diable j'aurais noué contact avec elle si c'était pour autre chose que son argent. J'avais tout de suite vu qu'elle était blindée. Se faire payer par son père un carré vip en boîte de nuit, si ça n'était pas un indicateur de richesse... ! Je connaissais très peu de gens qui avaient les moyens et l'envie de faire cela. J'avais immédiatement compris que je pouvais tirer quelque chose de cela. J'avais attiré sa pitié en me faisant passer pour un homme malade du cœur (ce que je n'étais absolument pas) et j'avais réussi à m'introduire dans son carré. Nous avions discuter, et je crois que je m'en étais plutôt bien tiré. Teddie avait eu l'air de m'apprécier. Preuve en était que nous nous étions échangé nos coordonnés. Évidemment, je ne lui avais pas donné mon vrai numéro de portable, mais celui d'un téléphone secondaire que j'utilisais pour mes diverses magouilles. Je lui avais donné rendez-vous aujourd'hui ; j'avais même précisé que je tenais à l'inviter, pour la remercier de sa gentillesse. Teddie était un cas particulier, cependant. Je devais me montrer prudent. Elle venait d'une famille apparemment très aisée, peut-être même illustre ; je ne doutais pas que si elle avait le moindre soupçon concernant mes réelles intentions, elle n'allait pas se gêner pour couper les ponts et appeler les gardes mesurant deux mètres de son père. Si sa famille était riche, elle était forcément influente, c'était ainsi que notre monde fonctionnait. Elle aurait donc les moyens de trouver mon casier judiciaire, ma véritable identité, bref toutes ces petites choses que j'avais moyennement envie que l'on découvre. Cette histoire prendrait du temps, car j'allais devoir me lier à Teddie d'une manière ou d'une autre. Il allait falloir qu'elle s'attache à moi et qu'elle me porte une confiance aveugle. Je ne pouvais pas lui pointer un revolver contre la tempe en lui disant de me filer de l'argent comme je le faisais régulièrement. La peine serait certes plus grande, mais je ne doutais pas que je réaliserais peut-être l'un des meilleurs coups de ma carrière. Et puis, j'aimais les défis. Relever celui-ci serait très amusant.

Je n'avais pas eu le temps de la retrouver avant aujourd'hui. En effet, j'avais été très occupé ces derniers temps. Il y avait toute cette histoire avec Alysse qui ne faisait que commencer mais dont je comptais également tirer beaucoup. Mais, plus important que je n'osais me l'avouer, j'avais retrouvé Hayden. Nous nous étions parlés, et même si la rage que j'éprouvais contre elle était encore immense, celle-ci était tombée dans mes bras. Littéralement. Je n'aurais pas attendu mieux. Certes, pour cela, il avait fallu que je lui balance quelques banalités, comme quoi j'avais changé... Ce genre de conneries. Elle m'avait, bien évidemment, cru. J'avais été surpris, au début, mais en y réfléchissant mieux, ça ne m'avait pas étonné. Hayden avait toujours été incapable de me résister, incapable de me juger comme celui que j'étais : un monstre, et un monstre qui n'avait pas la moindre intention de changer d'un iota. Même pour la femme qu'il aimait. J'étais beaucoup trop orgueilleux pour cela. Je portais un tee-shirt noir, un jean de la même couleur et des lunettes de soleil. Même si nous avancions doucement vers l'octobre, la température était toujours au beau fixe. Après un an et demi passé enfermé entre quatre murs, je trouvais presque cela plaisant de passer du temps en terrasse. Finalement, Teddie arriva. Je me levais pour la saluer, et lui souris. « Hey ! Ça va ? » dis-je alors que nous nous asseyions. « Je suis vraiment content que tu aies pu venir. Ça compte beaucoup pour moi ». Je commençais à en faire des caisses.

Finalement, je n'avais pas attendu bien longtemps avant que Teddie me rejoigne. Je n'étais pas spécialement très à cheval, mais je trouvais qu'il était important que je sois là avant elle. Au moins, cela lui montrait que j'étais sérieux et que je prenais notre rendez-vous au sérieux. Chaque détail comptait. À moins que je réfléchissais trop ? Ce n'était pas exclu. J'étais du genre calculateur ; j'aimais contrôler la situation, savoir ce qui allait se passer dans les détails. Mais il était évident que parfois, ce trait pouvait me faire défaut. Il ne fallait pas non plus que j'en fasse trop. Bah, de toute façon, cette Teddie m'avait l'air assez naïve. Je ne la connaissais pas très bien, voire pas du tout, mais je savais cerner les gens très rapidement. J'avais le sentiment qu'elle ne se méfierait pas une seule seconde de moi, et c'était tant mieux. Au final, c'était un peu à double tranchant : même si elle n'était pas méfiante, il fallait que je fasse attention à ne pas lui donner des raisons de le devenir. La jeune femme s'assit en face de moi et je lui adressai un sourire. Elle semblait calme, et plutôt de bonne humeur. C'était déjà un bon début. J'étais approximativement dans le même état d'esprit qu'un boxeur s'apprêtant à monter sur le ring : ce rendez-vous allait être décisif. Je devais lui laisser une bonne impression, il fallait qu'elle m'apprécie. Je travaillais mon expression, essayant de la rendre douce et polie. J'étais assez avantagé par mon physique juvénile. Je n'avais pas l'air d'avoir plus de vingt-deux ou vingt-trois ans, et c'était clairement un avantage. J'avais donc troqué l'expression froide que j'arborais le plus souvent contre un petit sourire sympathique.

Je demandais à la jeune femme comment elle allait. C'était ce que les gens ordinaires faisaient, non ? Se demander mutuellement comment les choses allaient. Personnellement, je ne prenais jamais le temps de faire cela, vu que je me fichais royalement de la réponse. Mais bon, ici, je devais faire des efforts. « Je me porte bien merci, et toi ? » me répondit-elle. Très polie, la demoiselle. Cependant, je remarquais qu'elle me tutoyait. C'était déjà un bon point. « Ça peut aller ; en tout cas, ça va beaucoup mieux que la dernière fois ! » ajoutai-je en souriant. Décidément, j'allais attraper des crampes aux joues à force de sourire comme ça. Je n'en n'avais pas l'habitude. Teddie parut ensuite un peu déroutée par les remerciements que je lui adressai. J'en avais trop fait. Néanmoins, elle me répondit encore une fois de façon très courtoise. « J’avais un peu de temps devant moi, alors je n’allais pas refuser. ». Les choses allaient plutôt bien, pour le moment. J'attendais beaucoup de cette fille et je ne pouvais pas me permettre de tout louper. Ç'aurait été une véritable humiliation pour mon ego ; je n'avais pas l'habitude de perdre ou de me faire battre. De toute façon, comment aurait-elle pu soupçonner mes véritables intentions ? J'étais beaucoup trop bon acteur pour cela. Personne ne s'était jamais méfié de moi, et ils l'avaient tous regretté. C'était ça le plus drôle dans l'histoire. Les hommes les plus dangereux sont ceux que l'on ne soupçonne pas. « Hum, tu m’excuseras pour l’oubli, mais quel est ton prénom déjà ? » me demanda Teddie. Ouais, bon, ça ne commençait peut-être pas aussi bien que prévu. Enfin, je ne devais pas me formaliser sur un détail. Mon prénom n'était pas si répandu que cela, par ici. « Oh, t'inquiète pas ! Je m'appelle Jules » répondis-je doucement. « Toi, c'est bien Teddie ? » La question était en vérité rhétorique, car contrairement à elle, je retenais très facilement les prénoms. Bon, les hostilités étaient ouvertes, désormais. En attendant que le serveur vienne prendre nos commandes, je décidais de commencer mon numéro. « Écoute, je tenais vraiment à te retrouver pour te remercier. Ça peut peut-être paraître un peu vieux jeu —disons que les gens maintenant ne savent plus ce que c'est que la gratitude » De cette façon, je lui faisais croire que j'étais un bon garçon, très bien élevé. Ce qu'elle devait être aussi. « Je me sentais vraiment mal, l'autre soir, et je te suis reconnaissant de m'avoir aidé. De nos jours, on pourrait laisser quelqu'un mourir dans la rue sans que personne ne réagisse. C'est un peu extrême, mais c'est pas totalement faux. Du coup, je voulais te remercier, et repartir sur de meilleures bases par la même occasion ! » conflus-je en souriant. « Donc, Teddie, tu fais quoi dans la vie ? ».