Deux semaines s'étaient écoulées depuis sa reprise du sport. Sevastyan n'avait pas tenu parole en essayant de venir un jour dans la semaine, mais surtout le dimanche. Il faut dire que la fin du mois approchait à grands pas et il n'avait pas l'argent nécessaire pour payer les factures. Reznikov avait donc augmenté ses heures de travail. Le jeune homme n'avait pas pu refuser l'invitation d'un vieux riche qui l'avait convié à passer sa journée sur un bateau pour une petite fête organisée. L'alcool, la drogue et le sexe avaient coulé à flot, mais son client avait été très généreux alors il n'avait pas eu à se plaindre. Pourtant, Sevastyan n'avait pas cessé de penser à son asiatique. Peut-être parce qu'ils avaient parlé de bateau et parce qu'il aurait aimé être avec lui ce dimanche-là. Il aurait bien aimé le contacter, s'excuser de ne pas pouvoir venir, mais Benjamin ne lui avait pas donné son numéro de téléphone et il ne l'avait pas appelé. Reznikov n'avait pas pu passer en semaine pour le prévenir, car son avocat avait été exigeant concernant une nouvelle enquête. Il avait donc jonglé entre son premier travail et ses révisions. La seconde semaine fut la même jusqu'au samedi soir. En effet, Sevastyan devait accompagner un homme d'une quarantaine d'année. Celui-ci était déprimé depuis la mort de son compagnon, décédé du sida. Ce dernier l'avait contacté pour se changer les idées et parce que d'après ses dires « il ressemblait comme deux gouttes d'eau à son compagnon » lorsqu'il était jeune. Sevastyan n'aimait pas ce genre d'homme, ils étaient généralement trop instables et surtout trop tordus, mais c'était les risques à prendre pour se faire un peu de blé. Sevastyan était parti cherché son client chez lui où ils avaient débuté la soirée avant de rejoindre le night club pour s'amuser. Une fois rentrée à l'intérieur, les deux hommes s'installèrent dans un coin. Ils discutèrent, enfin plutôt l'homme en question qui ne cessait de lui ressasser sa relation avec son feu compagnon. L'assistant faisait bonne figure, il était toujours aussi souriant, mais cette soirée était un vrai fiasco. Même lorsque ce dernier tenta des approches à son égard, Sevastyan ne le supportait pas, mais il devait faire avec. Après l'avoir langoureusement embrassé, l'escorte lui proposa d'aller chercher de quoi boire. L'homme lui donna suffisamment d'argent et Sevastyan se dirigea vers le bar. Il y avait énormément de monde ce soir-là, la soirée battait son plein. Alors qu'il faisait la queue, il se retrouva aux côtés de Benjamin qui devait sans doute attendre aussi son tour pour se faire servir.

« Benjamin ? Qu'est-ce que tu fiches ici ? »

Oui Reznikov était surpris, ce n'était pas le genre d'endroit où il avait pensé recroiser un jour son coach. Le russe était content de le retrouver, il tentant de cacher son enthousiasme, surtout en repensant au fait qu'il ne l'avait plus vu depuis deux semaines.

« Je suis désolé pour dimanche, j'ai eu des examens cette semaine et je n'ai pas pu te prévenir puisque tu ne m'as jamais passé ton téléphone. » Le jeune homme était trop fier pour jouer les coupables, au fond il avait été déçu que Benjamin ne le recontacte pas, il avait espéré à chaque fois qu'il recevait un appel ou un sms que ce soit lui. Il ajouta : « Au fait pourquoi tu as payé le restaurant ? Ce n'était pas fair-play ! » un second reproche, il n'aimait pas avoir la pitié des autres, fin il ne souhaitait pas redevoir quoi que ce soit, puis il lui avait dit qu'il lui payait ce déjeuner.

« Benjiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! » Il recule le téléphone de son oreille dans une grimace avant de soupirer un peu, puis de se masser l'arrête du nez, pas franchement de bonne humeur. « Benji, dis-moi oui. » « Non. » « Tu m'emmerdes ! » Il rit un peu. « Tu veux quoi ? » Elle minaude, lui raconte que c'est l'anniversaire de sa meilleure amie ce soir, mais qu'elle sera sans doute la seule pas vraiment accompagnée, qu'elle en a marre de passer pour l'éternelle célibataire, qu'elle a besoin de lui. Haussant les épaules, il fixe le vide avant de regarder la carte sur la table basse et de la prendre entre ses doigts pour l'observer longuement. Rien. Il n'est pas venu une fois, il n'a pas appelé, il n'a pas pris un rendez-vous. Pourtant, il a scruté la liste longuement, chaque matinée. Mais rien. Juste un beau parleur.

Secouant la tête, il revient à la réalité et observe alors sa minette qui s'étire de tout son long dans un rayon de soleil. Le coloc semble être plus loin, où, il ne sait pas vraiment, et il s'en fiche pour le moment. Lindsey continue de lui raconter à quel point sa présence serait bien pour elle, il ne sait pas, il ne sait pas trop, mais elle sait qu'il est trop loyal. « Okay, okay, je viens te chercher à 22h. » Il hausse encore ses épaules, raccroche après une avalanche de merci et repose le téléphone.

Une fois la douche de prise, il enfile une tenue chic, mais simple, sans trop de prise de tête, mais assez bien. Il se coiffe, pour une fois et remonte un peu ses cheveux pour lui dégager le visage. Il fait un simple effort pour ne pas encore passer pour l'éternel casanier traîne-savate. Un peu de parfum, une veste en cuir, des lunettes de soleil et il passe la chercher avant d'aller au night club avec elle. « On danse ? » Lorsqu'elle voit sa tête, elle comprend que c'était la question de trop. « J'ai soif. » Elle fait la moue, il soupire et se lève pour aller faire la queue au bar jusqu'à ce qu'une voix, familière, ne le sorte de ses songes. « Je m'éclate, ça se voit pas ? » Il sourit en coin avant de le regarder longuement.

Il écoute alors les complaintes du futur avocat et un soupir las lui travers les lèvres. Il garde les mains dans ses poches et fixe la queue devant eux. « C'est fou, dans ma tête, quand on rencontre quelqu'un, on dit d'abord : bonjour, comment ça va. Les choses ont dû changer durant mon sommeil. » Il se gratte le front doucement. « Tu m'as jamais demandé mon téléphone, pour commencer. Ensuite, t'es jamais repassé, tu voulais que j'appelle pour dire quoi ? » Dire quoi hein ? A quel point il avait pu être troublé, puis déçu ? « J'ai rien payé… Je t'ai amené là parce que c'est le restaurant de mon père. » Il soupire un peu. « Y'avait rien de fairplay ou autre, j'allais pas te faire payer là-bas, c'est tout. » Il le fixe avant de regarder ailleurs. « Finalement, ton métier te va bien, t'es juste un beau parleur. » Il voit qu'un autre barman fait signe à des gens de venir vers lui pour désengorger la file et il ne se fait pas prier pour avancer.

Sevastyan était ravi de retrouver Benjamin même si les circonstances n'étaient pas très bonnes puisqu'il était venu avec un client et plus il pouvait éloigner son coach de sa double vie, plus il se portait bien. L'asiatique l'avait manqué, il était trop fier pour le reconnaître. Son acolyte se retourna vers lui et lui fit remarquer qu'il s'éclatait ce qui amusa Reznikov qui ne pu s'empêcher de sourire amusé. Imaginer Lee dans une boite était la dernière chose qui lui serait venu à l'esprit, c'était comme si la reine d'Angleterre venait ici, c'était trop gros pour être vrai, enfin c'est cette impression qu'il avait de ce dernier. Sevastyan croisa les bras contre son torse tout l'écoutant parler. Tiens, lui aussi semblait lui reprocher ce silence radio entre eux. Il est vrai que le russe avait été mal poli, trop surpris de le retrouver ici, peut-être parce qu'au fond il ne voulait pas le voir là, non il ne désirait pas être vu en compagnie de son client, que leur relation soit encore plus tendue qu'elle ne l'est à présent. S'il avait été avec des amis, il n'aurait pas été autant contrarié par la venue de la reine d'Angleterre, pour reprendre l'image de tout à l'heure.

« Bonjour, comment vas-tu ? »

Dit-il ironiquement bien qu'il désirait savoir si il allait bien. C'était égoïste à dire, mais Sevastyan espérait qu'il ne le soit pas, que son absence ait eu un impact sur lui. Le jeune homme fronça les sourcils :

« C'est toi qui est parti comme un voleur. » Un silence : « Tu aurais pu m'appeler pour savoir si je comptais venir dimanche par exemple. » Reznikov ne le quittait pas du regard, il fronça les sourcils : « Le restaurant de ton père ? J'aurais pu le payer quand même, je t'avais invité. » Il soupira et lui jeta un regard quand il le traita de beau parleur avant de s'éclipser vers le barman. Sevastyan jeta un coup d'œil rapide à son client au loin avant de suivre Benjamin pour faire aussi la queue et surtout ne pas le laisser partir :

« J'aurais aimé venir dimanche, c'était sincère et puis zut ! Je t'avais dit que j'aurais du mal à être régulier, que j'allais faire mon possible ! » Il le regarda : « Alors c'est tout ? On va s'ignorer et passer le reste de la soirée chacun de son côté pour un malentendu ? » Il était toujours aussi sérieux : « Laisse-moi me rattraper Benjamin.... » c'était presque un supplice même s'il était en rogne, l'ambiance était différente de leur première rencontre, il avait envie de s'amuser, il le désirait.

Son ironie le fait grincer des dents. Sérieusement ? Rah, et pourquoi il se prend autant la tête et encore plus pour un mec hein ? Il bougonne intérieurement et ne répond rien, il a juste envie de lui balancer un fuck à la face, comme s'il n'avait rien de mieux à répliquer. « Parti comme un voleur ? » Il le fixe longuement, presque outré avant de ravaler un peu son côté grumpy cat, c'est vrai, il a même pas dit au revoir à vrai dire. Il était trop troublé pour ça. « T'appeler pourquoi hein ? J'fais déjà l'effort de venir sur mon jour de congés pour toi, faut en plus que j'appelle pour savoir si t'es disponible à ton bon privilège ? » Il se fout de sa tête ou il se fout de sa tête ? « Et si j'avais pas envie d'me faire inviter ? » C'était déjà suffisant tout ça. Être troublé, manger avec un homme, discuter, rire. C'était déjà assez. Il ne s'en rend pas compte lui, c'est sans doute son quotidien, mais pas pour Benji. Il était perdu depuis leur rencontre, il voulait savoir, comprendre, mais rien ne venait. Il pensait juste à lui, il aurait aimé le revoir, mais pourquoi ? Il ne sait pas vraiment. Il regarde autour d'eux, troublé, avant de se mettre à avancer dans la seconde file. Quelques personnes devant eux, rien de bien méchant, ça allait passer vite.

« Deux semaines ! Deux semaines ! » Il le regarde. A vrai dire, il comprend. Il comprend qu'un boulot et des études, ça prend du temps. « T'aurais pu prévenir ! C'est moi qui t'attendait ! » Il grogne entre ses dents, continue de regarder autour d'eux, se masse le front. « Alors c'est tout ? On va s'ignorer et passer le reste de la soirée chacun de son côté pour un malentendu ? » Il grince encore des dents et fait mine d'être sourd avant de tourner un peu sa tête vers lui pour le regarder longuement. « Laisse-moi me rattraper Benjamin.... » Un frisson lui échappe, mais il se retient. « Te rattraper de quoi ? Y'a rien... » Il dit ça surtout pour lui, pour arrêter d'avoir cette panique inconnue qui le torture à chaque fois que Sev est à ses côtés. « Vous pouvez apporter du champagne là-bas ? » Il montre la table et donne un billet avec un pourboire. « Merci... » Avant de regarder Sev encore, dans un souffle retenu, puis d'avancer vers les escaliers afin de se diriger vers le toit du night club pour prendre une bouffée d'air, loin de tout le monde. « Fais chier... » Il grogne encore dans ses dents et se pose contre un mur dans un soupir.

Sevastyan avait toujours les bras croisés, le regard sérieux. Il avait été blessé et déçu même s'il était trop fier pour se l'avouer. Oui, pour lui il avait pris la fuite, il leur restait du temps devant eux, mais il était parti à sa salle de sport. Benjamin sembla se révolter face à ses dires et c'est à ce moment-là que Reznikov apprit qu'il avait été à la salle le dimanche et qu'il l'avait attendu. Le russe culpabilisa. Il ne dit rien parce que son asiatique lui en avait bouché un coin. Il se contenta de se mordre la joue laissant percevoir une mimique pleine d'embarras. Sevastyan le supplia de le laisser se rattraper, il s'en voulait et plus Benjamin parlait, plus il était mal. Son coach se retourna ensuite vers le serveur pour demander un champagne à emmener à une table où un petit groupe d'amis s'y trouvaient avant de finalement se diriger vers les escaliers qui menaient au toit du night club. Reznikov laissa échapper soupire avant de commander les boissons et en demandant de dire au serveur d'envoyer les alcools à la table où se trouvait le client et de le prévenir qu'il allait revenir. Sevastyan se dirigea vers vers les escaliers pour y grimper. Lorsqu'il arriva sur le toit, il pu remarquer que Benjamin était seul, tant mieux, ils pourraient discuter calmement où du moins essayer. Reznikov se dirigea vers lui :

« Benjamin... »

Murmura-t-il avant de se retrouver devant lui. Il le regarda dans les yeux, il était toujours embarrassé et toujours remplit de culpabilité. « Tu aurais dû m'appeler... » il ne le disait pas cette fois-ci comme un reproche, plutôt comme un supplice, parce que s'il avait su ça, il se serait démener pour trouver une combine et le voir. Sevastyan passa une main dans ses cheveux, l'air gêné, il ne savait pas quoi dire de plus, il aimerait tellement tout lui dire, lui avouer qu'il le désire plus que tout à cet instant présent, que son vegan lui avait manqué et qu'il n'avait pas cessé de penser à lui. Reznikov laissa échapper un soupire tout en regardant le ciel, puis après avoir pris une grande bouffée d'air, il lâcha un : « Et puis merde ! » il n'avait rien à perdre et il n'était pas d'humeur à parler, il se colla à Benjamin et s'empara violemment de ses lèvres. Il en mourrait d'envie depuis la dernière fois où son coach était parti.

Sa voix lui fait redresser la tête et il regarde Sevastyan longuement, le laissant approcher sans pour autant bouger de sa position. Omoplates contre le mur, bassin légèrement décollé, mains dans les poches, il regarde malgré tout le futur avocat dans un calme presque olympien. Il n'est pas du genre à s'énerver aussi facilement. Sans doute son passé de marine qui aide. Il n'attaque pas aussi, sans doute parce qu'il a remarqué l'embarras et la culpabilité de Sev. Il n'avait pas envie de l'enfoncer encore plus. Il n'est pas comme ça. Son autre phrase n'est pas une remontrance. Elle est une supplication, comme s'il en avait crevé d'envie. Il veut lui dire : Nan Sev… Fais pas ça, m'attends pas comme ça, me veut pas comme ça… Il s'en veut de l'avoir fait aussi patienter, faut l'avouer. Déglutissant, il baisse les yeux cinq secondes, pour regarder ses baskets longuement, fixement. Il ne sait pas vraiment quoi penser de tout ça, mais il se contente de ne rien dire, juste parce qu'il ne sait pas quoi dire en réalité. « Et puis merde ! »

Il redresse un peu le nez avant de se figer complètement lorsque le jeune homme se retrouve collé à lui, ses lèvres sur les siennes. Mais ce n'est pas un smack, non, c'est un baiser passionné qu'il essaie de lui donner, mais Benji est complètement mortifié. Mortifié parce qu'il a l'impression qu'une partie de lui, petite partie, attendait ça avec impatience, alors que l'autre s'offusque, se révolte. Il lui a volé, arraché, une sorte de premier baiser, parce que oui, c'est la première fois qu'un homme l'embrasse comme ça.

La gifle part parce qu'il n'a aucun autre moyen de stopper ça, parce qu'il a mal dans sa fierté d'homme, parce qu'il est chamboulé dans son hétérosexualité, parce qu'il est perdu dans son humanité. Il inspire un grand coup avant de porter sa main à sa bouche en le regardant longuement. Il s'approche à nouveau du brun et dépose cette fois sa main sur sa joue à l'endroit où il l'a frappé, les sourcils froncés, incapable de parler, de bouger, de dire quoi que ce soit. C'est trop. Trop nouveau, trop étrange, trop masculin, trop tout. « Je suis pas un jeu... » Trop intense pour n'être qu'un jouet. « S'il te plait Sev… Arrête de jouer. » Il baisse sa main et reprends sa marche vers une rambarde pour s'y tenir, il n'a pas envie de fuir encore, mais il a besoin de remettre ses idées en place.

Sevastyan était tout autant chamboulé que lui. Il était plein de remords et même de regrets, il regrettait de ne pas être allé à la salle de sport le dimanche, pourtant il l'avait tellement désiré. Reznikov désirait se racheter, lui prouver qu'il tenait à lui même si ça pouvait paraître dingue, car ils se connaissaient à peine. Le jeune homme était frustré, il était monté sur le toit sans réfléchir parce qu'il ne souhaitait pas laisser filer Benjamin. Laisser son client seul, ce n'était pas très bon pour les affaires, celui-ci pouvait se plaindre ou demander à se faire rembourser. Par chance, il avait suffisamment analysé son client pour se douter qu'il l'attendrait quoi qu'il arrive sous prétexte qu'il ressemblait à son feu compagnon jeune. Peu importe, il ne pensait pas aux affaires, mais à son coach. L'occasion était belle, ils étaient seuls et l'ambiance donnait envie de réchauffer des cœurs. Sevastyan aurait tellement voulu lui exprimer tout ce qu'il avait sur le cœur, mais rien ne sortit, seulement un acte qu'il ne regrettait pas. En effet, Reznikov embrassa à pleine bouche l'asiatique. Il savait que c'était tout simplement de la folie dans la mesure où le marine n'avait jamais aimé un homme. Mais il l'embrassa par audace, parce qu'il en éprouvait le besoin, c'était peut-être égoïste, mais il tenait ainsi à lui prouver qu'il tenait à lui, qu'il n'était pas prêt à le laisser prendre la fuite et qu'il désirait plus qu'une simple amitié naissante. En l'embrassant, Sevastyan avait espéré susciter chez lui du désir, la même osmose, rien de tout ça. Une gifle partie. Elle était suffisamment forte pour le ramener à la réalité. Ce n'était pas ce que Benjamin voulait et qu'il avait été trop stupide de tenter. La surprise et la déception le rendit silencieux, son coach s'approcha de lui pour toucher sa joue, il se recula instinctivement avant de le faire lui-même. Il sentait sa joue chauffer, il n'y avait pas été de main morte ! Sevastyan risquait de rougir un peu, mais ça n'allait pas marquer. Le pire dans tout ça, ne fut pas finalement la gifle en elle-même, mais les paroles qui les accompagnèrent. Benjamin pensait qu'il était un jouet pour le russe. Spontanément, Reznikov se mit à rire, un rire jaune et amer, il était en colère, révolté. Comment pouvait-il penser une chose pareille ? L'assistant s'arrêta aussitôt de rire avant de jeter un regard déçu et haineux en direction de l'asiatique :

« Au final tu ne vaux pas mieux qu'eux »

Il faisait référence aux gens qui jugeaient et dont ils avaient parlé lorsque Benjamin lui avait montré sa jambe. Il était blessé qu'il puisse penser cela de lui alors qu'il avait été sincère lorsqu'il lui avait dit qu'il lui plaisait et pas que physiquement. S'il avait envie de s'envoyer en l'air, il ne l'aurait jamais invité à déjeuner et n'aurait pas attendu de finir la séance de sport. Sevastyan donna un coup de pied dans une cannette qui traînait sur le toit avant de redescendre rapidement à l'intérieur de la boite, il retourna s'asseoir auprès de son client, il avait du mal à cacher sa déception et encore moins sa rougeur, il prétexta que c'était à cause de la chaleur avant de s'emparer de sa boisson pour la boire pratiquement cul sec.

Il se tient à la rambarde, tremblant sans trop savoir pourquoi. Il n'aime pas être violent. On pourrait penser que c'est simple pour lui avec son ancien métier, mais non, il n'a jamais aimé ça. Il a toujours été le bouddha du groupe, n'usant que force que lorsqu'il n'avait pas le choix. C'est sans doute pour ça qu'il aimait autant son métier de plongeur, il n'avait pas vraiment à dealer avec l'humanité. Pourquoi, pourquoi il a fait ça ? Pourquoi Sev l'a embrassé, pourquoi il est entré dans sa vie, pourquoi a-t-il réagi si fortement ? « Au final tu ne vaux pas mieux qu'eux. » Il ne se tourne pas, mais il ferme les yeux et baisse la tête. Il sait. Il sait Sevastyan, et il se déteste autant que tu peux lui en vouloir à ce moment précis. Il reste dos à lui jusqu'à l'entendre s'éloigner et descendre. Lentement, il se laisse glisser pour finir assis sur le sol, autant profiter d'être seul.

C'est la première fois qu'il éprouve des émotions pour un homme. Il ne sait pas vraiment s'il voit un homme en face de lui à vrai dire, ou juste une personne qui lui plaît. Depuis le début, il a aimé la façon dont le russe le regardait, sa façon de sourire, de le désirer, de lui parler, de s'intéresser. Et puis son silence, il a été tellement déçu. Il ne sait même pas pourquoi il est allé l'attendre ce dimanche matin alors qu'il n'avait eu aucune nouvelle de lui, mais pendant une heure, il est resté planté là, comme un con, contre le capot de sa voiture. Il a juste attendu, parce qu'il pensait que Sev en valait la peine. Parce qu'il avait envie de le voir aussi.

Soupirant longuement, il se redresse avec un peu de difficulté et descend. Déambulant dans la boite, il remarque la tête du jeune homme, assis dans un coin et avance alors, mains toujours dans les poches. « Sev... » Il le fixe. « Je suis désolé. » Et puis un homme le fixe. Benjamin le regarde avant de voir sa main glisser sur la cuisse du futur avocat. Forcément, il s'attendait à quoi ? « Désolé d'avoir été dur... » Il regarde à nouveau l'autre homme, quelque chose lui disant de se méfier de ce bonhomme. « A la séance de sport. » Prétexte, il espère que Sev comprendra ce qu'il veut dire. « Bonsoir, Benjamin Lee, Coach Sportif. » Il tend sa main, sert poliment celle de l'homme plus âgé. « J'vous laisse, bonne soirée. » Il regarde à nouveau Sev et s'éloigne pour retrouver ses amis sans savoir quoi dire de mieux. « Lindsey, j'ai eu une grosse journée, je rentre. » Il ne lui laisse pas le choix, récupère sa veste, ses lunettes et avance vers la sortie du club.

Sevastyan était retourné se rasseoir rapidement auprès de son client. Il attrapa son verre et le vida pratiquement. Si ça ne tenait qu'à lui, il filerait le plus rapidement possible de la boite. Son client avait profité de son absence pour se resservir à boire et semblait être plutôt chaud pour une fin de soirée, en tout cas il essaya de le faire comprendre au russe qui avait du mal à digérer ce qui venait de se produire sur le toit. Reznikov allait lui faire retirer sa main lorsque Benjamin revint auprès de lui. Sevastyan avait l'impression de se retrouver en plein cauchemar, il ferma quelques secondes les yeux comme pour espérer halluciner avant de les rouvrir. Benjamin était toujours là tandis qu'il prenait un air froid pour ne pas montrer qu'il était affecté par la tournure de la situation. Ce dernier le surnomma devant son client, il se mordilla la lèvre inférieure. Sevastyan prenait toujours des précautions avec ses clients, il ne donnait jamais sa vraie identité, il se faisait passer pour un certain Dimitri Vause. Il s'agissait de son troisième prénom et du nom de jeune fille de sa mère. Fort heureusement, ce n'était qu'un surnom, mais ça laissait suffisamment le doute dans l'esprit de son passe. Son coach s'excusa, il ignorait comment le prendre. Était-ce un désolé pour mettre un terme à une quelconque relation que ce soit amoureuse ou amicale ? Ou était-ce un désolé pour cette fichue gifle. Il n'eut pas le temps de tout encaisser que Benjamin se présenta, c'était décidément le pompon ! A présent son client connaissait un peu sa vie privée, il y était invité à entrer par Lee et comme ce n'était pas forcément un homme stable, il ne souhaitait pas qu'il s'imagine quoi que ce soit. Il ne manquerait plus qu'il croit qu'il avait une chance que son escorte l'aime véritablement. Sevastyan resta silencieux tout en observant son coach retourner à la table où se trouvait ses amis et partir. Reznikov senti son cœur s'emballer, il avait l'impression que cette soirée était un véritable fiasco. Il ravala sa salive et fini par dire à son client :

« Excuse-moi je dois encore m'absenter, je te promets une fin de soirée plus agréable. »

Dit-il en jouant les séducteurs avant de se lever d'un bon et de pénétrer la foule pour retrouver Benjamin. C'était stupide de le suivre parce qu'il ignorait une fois de plus quoi dire, il avait le cerveau en feu, il était incapable de penser. Sevastyan attrapa le bras de Lee pour l'empêcher de sortir et le faire se retourner :

« Tu ne devrais pas saboter ta petite soirée à cause de moi. » Il se mordilla la lèvre : « Je n'aurais jamais dû t'embrasser, c'est l'alcool et la fatigue, ça ne se reproduira plus. On a qu'à faire comme s'il ne s'était rien passé sur le toit. »

Il avance, veste et lunette en main, le regard vissé sur le sol, sans trop savoir quoi penser de tout ça. Il lui en veut de le « traiter » de joueur, et il le retrouve avec un autre homme qui prenait gentiment le chemin de son entrejambe sans se soucier du monde environnant. Alors quoi ? Il ne comprend vraiment plus rien, il ne sait pas. Une main le ramène vers l'arrière et il se retourne. « Tu ne devrais pas saboter ta petite soirée à cause de moi. »  « C'est pas à cause de toi. » Il n'aime juste pas ce genre d'endroit, ce genre de soirée. Ce n'est pas lui. Lindsey le sait bien, elle a juste profité de sa loyauté. Comme beaucoup.  « Je n'aurais jamais dû t'embrasser, c'est l'alcool et la fatigue, ça ne se reproduira plus. On a qu'à faire comme s'il ne s'était rien passé sur le toit. » Il serre les dents, les fait grincer, détourne le regard. « Pourquoi t'assumes pas ? » Il le fixe dans les yeux. « Tu comprends pas. Je t'ai dit pourtant que j'étais… que j'me pensais hétéro. Ça voulait bien dire qu'aucun homme a jamais éveillé le moindre truc chez moi et tu débarques comme ça et j'y comprends plus rien. J'arrive même pas te détester. J'aimerai, j'me dirai que ça serait plus facile. Mais je suis complètement perdu. » Il retire sa main et se recule un peu. « J'aurai jamais dû te gifler… Je t'en voulais de m'avoir… volé ce nouveau premier baiser comme ça, sans me laisser l'occasion de me comprendre un peu mieux, de savoir si je le voulais, si j'te voulais. » Il baisse les yeux, se passe sa main de libre dans ses cheveux. « Alors assume au moins. Avoue que c'était pas la fatigue et l'alcool, parce que même si j'y comprends rien… J'ai aimé que tu me désires. » Il détourne la tête lentement. « Ton compagnon du soir t'attend, le fait pas mijoter. » Il se recule et avance jusqu'à sa voiture dans un soupir avant de grimper, puis de se mettre au volant sans démarrer pour autant. Il réfléchit trop. Il se pose trop de question. Elle a éprouvé ça, sa mère, lorsqu'elle est tombée amoureuse de Elizabeth ? Tomber amoureux ? Il secoue sa tête. « Com'on Ben... » La vérité, c'est que ça fait longtemps que personne ne l'avait regardé, embrassé, voulu comme ça et qu'il n'avait pas eu autant de sentiments intenses et incohérents dans le corps. Gay, pas gay ? Bi, pas bi ? Juste lui ? Aucun autre ? Il ne sait pas vraiment.