N’ayant pas eu l’occasion de rendre visite à Eliza lorsqu’elle était à la maternité, j’étais bien pressé de me rendre chez elle pour voir son nouveau-né. J’avais un peu de retard et en tant que meilleur ami, sex friend et tout ce qu’on veut, je trouve que ça craint. Malheureusement, on ne choisit pas toujours de faire ce qu’on veut. Seulement, là, j’étais bien décidé à me rattraper.

En quittant l’université après ma dernière réunion, je pris soin de partir chez le traiteur pour acheter un bon repas pour elle et moi. Je voulais lui faire la surprise et j’espérai ne pas déranger. J’étais impatient de les voir. J’espérai juste ne pas croiser le père de cet enfant. Je ne voulais pas lui parler. Mon instinc m’informait que je ne l’aimerai pas. Depuis que j’ai appris pour la grossesse d’Eliza, j’ai ressentis une certaine colère. Elle avait, à mon sens, eu un enfant avec un homme qui n’avait rien à lui apporté. Ni à lui, ni à cet enfant. Eliza méritait mieux qu’une personne comme lui. Je ne le connaissais pas, je ne l’avais jamais vu et je n’étais pas du genre à juger qui que ce soit mais  là, on parle d’Eliza. Elle est tout pour moi et savoir qu’elle est dans une situation qu’elle n’aurait pas aimé être, ça me ronge de l’intérieur.

Quoi qu’il en soit, j’avais mis mon ressentis et ma colère de côté pour elle. Je voulais être Jojo, son Jojo et rien de plus. Pas de place pour les ondes négatives. Tenant dans mes mains plusieurs choses, j’avais quand même réussi à sonner. En effet, j’avais en ma possession un ballon gonflé à l’hélium avec écrit « it’s a boy », une peluche en ours traditionnel vêtu du maillot de mon équipe de football américain préféré en format miniature, d’un bouquet de fleur pour la nouvelle maman, histoire de marquer le coup et bien sûr du repas que j’avais par contre laissé par terre dans un sac puisque j’avais beaucoup trop de chose dans les mains. J’avais d’ailleurs le fil du ballon entre mes lèvres.  

J’étais littéralement épuisée depuis mon retour de la maternité. L’accouchement n’avait pas été une partie de plaisir et j’étais lente à me remettre. Je devais en plus constamment retourner à l’hôpital pour vérifier que mon ancienne blessure était toujours fermée, qu’elle ne s’était pas rouverte entre temps… Bref, c’était pas la joie. Je n’arrivais à rien. Les cours avaient repris depuis peu et, même si j’avais laissé Elliott à une nourrice, je n’avais pas à me concentrer. Et même pas à cause de lui, en fait. Tout me semblait différent, depuis cette grossesse. Le regard des autres à l’université, de mes amis, des hommes aussi. Plus personne ne me regardait comme avant, plus personne ne me désirait. Je n’étais plus qu’à leurs yeux qu’une maman débordée qui ne fermait plus l’oeil de la nuit, entre ses cours et son bébé. Le pire dans tout ça, c’était que je ne me sentais pas proche de lui. Est-ce que j’étais victime du baby blues ? Est-ce que c’était parce que je ne désirais pas cet enfant, parce qu’il s’imposait dans ma vie et bouleversait tous mes projets ? Aucune idée. Peut-être un peu de tout cela, je suppose. Je m’étais mise dans la merde toute seule, je m’étais enfoncée dans mes mensonges et je devais désormais en assumer les conséquences. Enfin, je pouvais respirer en me disant que dans quelques mois, je pourrais confier Elliott à Derek… Et pourtant, cette idée me dégoûtait. Je ne ressentais peut-être pas pour Elliott toute l’attention que j’aurais dû lui porter, mais en réalité, je ne voyais pas comment je pouvais le laisser à Derek. Enfin, il faudrait bien, un jour, ou il commencerait à se douter de quelque chose…

J’étais en train de regarder la télé, Elliott dormant dans son berceau non loin de moi, quand quelqu’un sonna. J’étais surprise. Depuis ma grossesse, et tout particulièrement depuis l’accouchement, ma vie sociale s’approchait du néant le plus complet. Je n’avais plus le loisir de sortir tous les soirs, occupée entre mes cours et la garde du bébé. Cela devenait franchement pesant. Intriguée, je me dépêchai d’aller ouvrir. Je tombai sur ma grande surprise sur Jordan. Alors ça, si je m’attendais à le trouver là… J’avais l’impression que cela faisait des lustres que l’on ne s’était pas vus, et il me manquait plus que tout. Tout me manquait chez lui. Il se tenait là, devant la porte, splendide comme à son habitude, une peluche dans une main, un bouquet dans l’autre, le repas à ses pieds et un ballon dont le fil était coincé entre ses dents. Je ne pouvais me retenir de sourire un peu bêtement. Me haussant sur la pointe des pieds, je m’approchai dangereusement de lui, mes lèvres frôlant les siennes, et attrapai la ficelle du ballon avec mes dents. Je lui claquai ensuite une bise sur la joue et le serrai dans mes bras. Il m’avait tellement, tellement manqué…! « Si tu savais comme tu m’as manqué ! » m’exclamai-je doucement. « Viens, entre ». Nous entrâmes dans le salon et tombâmes nez à nez avec Elliott, qui s’était réveillé et nous regardait, intrigué. « C’est Elliott… » dis-je, gênée. Pendant un court instant, il n’y avait plus eu que Jordan et moi, j’étais redevenue la Eliza que j’étais il y a déjà bien longtemps de cela.