Orel n'était pas là ce matin, parce qu'il avait du travail, et ainsi Erwan se retrouvait seul dans leur énorme maison. Il s'était levé aux alentours de neuf heures, son heure habituelle les jours où il n'avait pas d'obligations, avait déjeuné copieusement tout en surfant sur internet, allant d'un site de shopping à un autre, à la recherche de nouvelles fringues. Maintenant qu'il en avait les moyens, il aimait particulièrement renouveler régulièrement sa garde robe. De nouvelles chemises, de nouveaux t-shirts, de nouvelles chaussures. Des pulls de toutes les couleurs, avec des motifs hivernaux et des petits bonhommes de neige. Un peu de tout. Et lorsqu'il eut terminé, il alla se doucher et enfiler un pantalon de jogging et un t-shirt simple, pour ensuite se poser face à son piano. Celui-ci trônait dans un espace du salon qui lui était dédié. Un magnifique piano qu'Erwan s'était offert, qui n'avait rien à voir avec le vieux clavier qu'il possédait jusqu'à présent. Il n'y était pas encore totalement habitué, continuait de parfois glisser ses doigts délicatement sur les touches, comme s'il s'agissait d'un objet précieux. Et c'était le cas, tout compte fait. Il ouvrit son cahier et le posa sur le support face à lui, laissant un crayon à portée de main pour pouvoir noter tout ce qui lui venait, puis il reprenait une mélodie qu'il avait composée la veille au soir. Il n'avait pas encore la totalité, et les paroles lui manquaient, mais ça pouvait  donner quelque chose de bien, et là, en se mettant à retravailler, de nouvelles idées lui venaient. Pour une fois, il réussissait mieux à se concentrer sans la présence d'Orel, peut-être parce que ces derniers temps, tout n'était pas très rose entre eux. Depuis l'incident qui avait suivi l'article de Nightmare. Alors cet article, c'était un peu le dernier des soucis d'Erwan, et il n'avait même pas encore pris le temps de vraiment réfléchir au fait que tout le monde connaissait son histoire à présent. Enfin... il ne voulait pas penser à tout ça alors qu'il était parti pour simplement se concentrer sur son piano. Seulement, alors qu'il venait de commencer, on sonna à la porte, interrompant son travail. Erwan n'attendait personne, mais il se dirigea tout de même vers l'entrée avec un grand sourire et alla ouvrir, se retrouvant face à quelqu'un qu'il ne s'attendait pas à voir. Pas du tout. Il avait changé en quatre ans, mais Erwan reconnaissait sans le moindre doute son petit frère. Ulrich était là, avec plus de barbe sur le visage, et il avait bien grandi, mais c'était Ulrich, son petit frère. Et Erwan ne trouvait pas les mots, ne savait même pas quoi dire, restait planté là en le fixant.

Il ne s'attendait tellement pas à ça en ouvrant la porte. C'était un jour comme les autres, rien d'exceptionnel, rien qui présageait que cela puisse arriver. Et pourtant, alors qu'Erwan ouvrait la porte avec un sourire sur les lèvres, il restait figé, se retrouvant nez à nez avec son petit frère Ulrich. Que faisait-il là ? Comment l'avait-il trouvé ? Il y avait tant de questions, et pourtant, Erwan n'envisageait même pas de les poser, il restait simplement là. Puis d'un coup, Ulrich s'avançait vers lui, et le prenait dans ses bras. Oh. Erwan était d'abord un peu surpris, mais très vite, il fondait dans cette étreinte, se laissait aller sans retenue, mettait ses propres bras autour de son petit frère qu'il n'avait pas vu depuis des années. Son petit frère qui avait bien grandi, qui faisait quelques centimètres de plus que lui à présent. Il l'avait vu pour la dernière fois, tout juste adulte, et il retrouvait un homme. Ca lui donnait envie de rire et pleurer à la fois. « Je suis tellement désolé tu sais… » dit Ulrich, et Erwan ne savait pas exactement pourquoi il s'excusait. Il n'avait pas de raisons d'être désolé. Il n'avait rien fait de mal. Mais Erwan ne dit rien et profita de l'étreinte jusqu'à ce qu'ils se détachent, remarquant après coup qu'une petite larme coulait sur sa joue et l'effaçant rapidement avec le dos de sa main. « Qu'est-... Qu'est-ce que tu... » il commença, un peu perdu, avant d'abandonner. « Viens, entre » décida Erwan, se poussant pour laisser Ulrich entrer, et fermant la porte derrière eux. Ils allèrent vers l'immense salon, ouvert sur la cuisine et séparé de celle-ci par un bar. « Comment... Comment tu es arrivé ici ? » il demanda enfin. C'était mieux que "qu'est-ce que tu fais là" qui aurait pu être mal interprété. Puis, ça englobait la totalité des questions qu'Erwan avait. Comment il avait eu l'adresse, pourquoi il était venu... Il passa de l'autre côté du bar, vers la cuisine, et il sortit deux verres qu'il remplit de jus de fruits, avant de les déposer sur le bar, en glissant un vers son frère. Erwan s'installa sur un des tabourets, adressant un petit sourire à Ulrich comme pour l'inviter à faire de même. De toute façon, c'était son frère, alors il était un peu à la maison ici. Du moins, Erwan espérait que c'était quelque chose qui allait pouvoir se développer entre eux, même après tout ce temps.

Il se souvenait encore parfaitement du jour où il était parti, le jour où ses parents avaient trouvé ce carnet et l'avaient mis dehors. Peut-être que ça avait été le jour où tout avait commencé, la chute en quelque sorte, le moment où tout avait basculé. Ses parents l'avaient mis dehors, il s'était retrouvé sans toit sur sa tête et sans personne, il avait fui à Los Angeles, et tout le reste était arrivé. Ou peut-être que le début de tout ça avait été le départ d'Orel, quelques mois avant, mais non, Erwan refusait de mettre tout cela sur le dos de son petit ami. Il n'avait rien fait de mal, contrairement à ses parents, qui l'avaient effacé de leur vie. Et ce soir-là, tout était allé très vite, il avait à peine eu le temps de pouvoir prendre quelques affaires, et l'argent liquide qu'il avait dans sa chambre. Ulrich et ses soeurs étaient dans le salon, ne disaient rien, parce que leurs parents pouvaient être terrifiants, et ils étaient jeunes, trop jeunes pour vraiment savoir quoi faire. De toute façon, Erwan ne pensa même pas à eux sur le moment, il leur jeta rapidement un regard avant de passer la porte, trop secoué par ce qui était en train d'arriver. Mais voilà que Ulrich se retrouvait face à lui, quatre années plus tard, alors que Erwan avait décidé de se tenir à l'écart de sa famille. Même de ses frangins, car les expériences qu'il avait vécues l'avaient changé, et il n'avait plus l'impression de pouvoir apporter quoique ce soit de positif dans leur vie. Pourtant, il était si heureux de revoir son frère, de le serrer dans ses bras, de le faire entrer dans son immense demeure et de lui servir à boire. Tout semblait presque normal tout à coup, pendant quelques secondes. « Et bien, j’ai lu l’article de Nightmare qui parlait de toi alors j’ai fait quelques recherches pour te trouver. J’ai la chance d’avoir des relations dans ce domaine. » lui répondit Ulrich lorsque Erwan lui demandait comment il était arrivé là. Ca faisait beaucoup de choses, beaucoup d'informations, en deux petites phrases. « Oh... l'article » souffla doucement Erwan, parce que merde, il ne pensait pas que cela viendrait si tôt dans la conversation, ou que son frère l'aurait lu et aurait ainsi cherché à le trouver. Il baissa un peu la tête en disant ces mots, gêné, se concentrant sur son verre de jus d'orange. « Tu as des relations dans ce domaine ? » il interrogea alors, demandant ainsi des précisions sur ces relations, et ce domaine. Il se demandait bien ce que Ulrich voulait dire, ce qu'était devenue sa vie. C'était si étrange tout ça... Il releva la tête vers lui avec un sourire sur les lèvres, ne sachant trop comment se comporter, incapable de lire dans l'attitude de son frère ce que celui-ci pensait réellement de lui aujourd'hui.

Comment Ulrich était-il arrivé là ? Ici, à Miami, si loin de leur ville natale, de la Grosse Pomme qui les avait vus grandir, là où ils n'avaient aucune famille, aucun lien, où ils se retrouvaient par hasard, semblait-il. Mais surtout, ici, devant la porte d'Erwan, connaissant son adresse, l'ayant obtenue d'une façon mystérieuse pour le jeune homme. S'il ne s'agissait pas d'Ulrich, il aurait presque pu trouver ça flippant. Son adresse était donc si facile à trouver ? N'importe qui pouvait l'avoir sans son accord ? Est-ce que ça voulait dire que Leo pourrait le retrouver s'il cherchait à le faire ? Erwan savait que c'était possible, qu'il n'était pas vraiment caché, mais tout de même. Peut-être qu'il devrait engager une équipe de sécurité. Mais en attendant, il n'allait pas se poser ces questions ou se perdre dans ses angoisses, car son frère cadet était là, dans sa cuisine. Et pour répondre à sa question, il parlait de Nightmare. Cela voulait dire qu'il avait lu tout ce que cette personne avait dit sur lui, les vérités et les mensonges, tout confondu. Erwan était salement mal à l'aise. « Tu sais, je suis comme tous les habitants de la ville, je ne crois absolument pas aux articles de Nightmare mais je continue quand même... » tenta de le rassurer Ulrich, ce qui fit sourire un peu Erwan, même si au fond ça ne changeait rien. Au contraire. Une partie de ce qui avait été écrit était vraie, et Erwan ne savait pas s'il devait le dire ou non à son frère. Ce serait bien, de partir sur des bases sincères, solides et honnêtes. Mais pourtant, il ne savait pas comment le dire... Comment dire à son frère que oui, il s'était prostitué, que oui, il avait couché avec son producteur ? Comment se dégrader à ce point aux yeux de quelqu'un qui a toujours vu quelque chose de profondément positif en lui ? Alors Erwan revenait sur Ulrich, et le questionna sur ces fameuses relations. « Euh ouais, ... je suis garde du corps donc j'ai bossé pour quelques personnes plutôt célèbre. Enfin pas des rock star non plus hein. » Wow, Erwan ne s'attendait pas du tout à ça, mais ça semblait être un métier plutôt spectaculaire, et à vrai dire, Ulrich avait toujours été un mec avec un bon fond, généreux, serviable, alors il comprenait plus ou moins ce retournement de situation. « Ouais, je sais c'est bien loin du petit scientifique que j'étais mais... parfois les plans changent. » et cela fit rire Erwan, juste un peu, parce que c'était peut-être loin de ça, mais ce n'était pas si loin du Ulrich qu'il connaissait. « Je t'imagine bien » il dit doucement, avant que son frère ne poursuive. « Et toi alors?! T'es une star! Wahou! ça doit être intense non?! » Ca le fit rire, et c'était tellement étrange et à la fois relaxant, parce qu'il n'avait pas été détendu à ce point depuis des années, et soudain, il réalisait que c'était une façon d'être et un sentiment qui étaient propres à sa relation avec Ulrich. Ils avaient été si proches, et aujourd'hui malgré tout ce qui était arrivé, le naturel ne semblait pas les avoir abandonnés. Ca rendait Erwan terriblement heureux. « Je suis pas vraiment une star... j'ai même pas sorti encore mon premier disque, mais ça devrait pas tarder ! Pour l'instant, je chante surtout à Miami, mais j'espère qu'un jour je pourrai voyager et tout » il raconta, un peu gêné par toute cette attention, mais à la fois beaucoup moins timide qu'il l'aurait été avec quelqu'un d'autre. Et alors qu'il s'apprêtait à revenir sur son parcours, il repensait à ces 6 mois qu'il avait passés à New York récemment, et ce sans informer sa famille, et se demanda si Ulrich risquait de lui en vouloir. « J'étais à New York, quand le type m'a repéré dans un bar où je jouais tous les soirs, l'année dernière, c'était juste après que je sois revenu de Los Angeles » il expliqua doucement, cherchant à rendre l'histoire claire, et se rendant compte que c'était assez compliqué au final, expliqué à l'envers. « Los Angeles, c'est là-bas que j'étais pendant presque quatre ans, depuis que je suis parti de la maison, jusqu'à euuuh la fin de l'été 2015 » il ajouta, pour essayer d'éclaircir son récit, s'approchant d'une zone pourtant sensible qu'il ne préférait pas détailler.

Garde du corps, son petit frère était devenu garde du corps. C'était complètement inattendu, parce que les souvenirs qu'Erwan avait du gamin qu'était à l'époque Ulrich, ça n'avait rien à voir avec cela. Il n'avait même jamais cherché à devenir policier, ou quelque chose dans ce genre-là. Non, cette nouvelle n'avait rien à voir avec ce qu'il aurait pu attendre, et pourtant, en y réfléchissant un peu, il le voyait très bien dans cette branche là. « Il parait que le "costume" me va bien oui » répondit Ulrich au petit commentaire d'Erwan, ce qui fit sourire le jeune homme. C'était impressionnant, à quel point son petit frère avait grandi, comment il était devenu un homme, comment il avait mûri, son visage s'était affiné et avait perdu les dernières rondeurs de l'enfance. Il était devenu adulte. Puis, rapidement, ils se retrouvaient à parler de la vie d'Erwan, de son métier à lui, de son avenir dans la musique. Erwan essaya donc d'expliquer à son frère que rien n'était fait encore, qu'il avait juste un peu de succès à Miami, mais que ça pouvait se terminer très vite et très facilement. « Oh arrête, fais pas ton modeste! C'est tout comme si tu l'étais! T'es une star à en devenir, je te l'ai toujours dit! T'as ça dans le sang. » Erwan rougissait, il le savait, il sentait ses joues et tout son visage ainsi que son cou devenir rouge tomate. Ulrich l'avait toujours soutenu, c'était vrai. Enfants, ils avaient été complices, très proches. « T'as toujours été mon premier fan » il dit doucement, d'une voix un peu timide, parce qu'admettre cela à voix haute demandait une confiance qu'il n'avait pas forcément. Mais c'était vrai, Ulrich avait été son tout premier fan, celui qui avait entendu ses premières chansons, ses premières tentatives à la guitare et au piano. Puis, suite à cela, Erwan tenta d'expliquer son parcours, de détailler à son frère comment il était arrivé à Miami, où il s'était baladé pendant plus de quatre ans maintenant. « Tu es retourné pourquoi? les parents? » demanda Ulrich, ce qui fit rire Erwan, juste un peu, un rire léger, bref. « Non non... je voulais pas les revoir, ça c'est sûr » il dit. Puis, il hésita un peu, parce que son retour à New York s'était imposé en fuyant Los Angeles, et il ne voulait pas parler de L.A. « Quand j'suis parti de L.A, j'étais seul et perdu, je savais pas où aller, alors New York, c'était la maison, c'était ce que je connaissais, je voyais nulle part d'autre où me poser » il répondit en haussant les épaules un peu, ne sachant quoi ajouter. Puis, en parlant de leurs parents et de NY, il se disait qu'il fallait tout de même demander à Ulrich comment il était arrivé à Miami, comment le fils parfait qu'il était s'était retrouvé ici, loin de la famille. « Et toi ? Comment ça se fait qu'ils t'aient laissé fuir jusqu'ici ? » il interrogea, curieux, un petit sourire sur le visage. Leurs parents étaient possessifs, considéraient leurs enfants comme leur héritage, leur descendance qu'il fallait éduquer au mieux et garder près de soi pour en faire l'avenir de la famille Beckford, comme pour assurer le futur de leur dynastie. Que Ulrich soit si loin de New York, c'était surprenant.