Le cauchemar, voilà la dernière épreuve. Ces souvenirs qui revenaient me hanter lorsque j'étais le plus vulnérable. Et dans ces nuits-là, je n'avais qu'une envie: prendre ma moto et rouler le plus vite possible, le plus loin possible. Et c'est ce que je fis. C'était inconscient. Je laissais ma fille dormir dans son berceau. Au dernier moment, je pris ma fille endormie dans mes bras et toquai chez la voisine. Celle-ci était une petite vieille qui adorait mon ange, alors elle la pris avec plaisir mais non sans me lancer un regard plein de reproches sur ma conduite de père. " Merci Madame Lawer. " déclarais-je dans un sourire franc, j'avais besoin de ce moment. Cet instant de pure liberté où je pouvais me sentir bien.

Descendant dans mon garage, je retrouvais le troisième amour de ma vie: ma moto. Une belle bécane élégante, noire, sportive. Elle avait été ma plus fidèle amie pendant trois ans. Cela faisait des semaines que je ne l'avais pas touchée. Et maintenant, je pouvais de nouveau l'enfourcher. Un sentiment de puissance et de bien être se propagea en moi. Puis j'enfilai mon casque et démarrai dans un bruit vrombissant qui dû réveiller tout le quartier.

Seul sur la route, voilà ce qui me faisait du bien. Un sourire se dessinait sous mon casque. M'amusant à rouler dans les rues les plus désertes de Miami, j'accélérais vers un pont qui était en réparation. Nous pouvions y trouver un merveilleux tremplin qui normalement était censé arrêter les véhicules. Cependant, je le pris pour franchir les quelques mètres qui me séparaient de l'autre côté du pont, m'envolant en profitant de ce saut impressionnant pour faire une figure en étendant mes jambes à l'horizontale. C'était l'avantage d'avoir fait pendant de longues années de la moto cross.

Puis après une bonne heure de plaisir à chevaucher un engin de cette puissance, je me décidais à me garer et aller faire un tour sur la plage. C'est pourquoi je me rangeai, défis mes chaussures pour me retrouver pieds nus et laissai mes affaires dans le coffre qui se trouvait sous mon siège.

Puis vêtu de mon blouson en cuire rembourré que dispose tous les conducteurs de moto et d'un jean noir, je me rendais à la plage. Les mains dans les poches, les pieds dans l'eau, je regardais l'océan. Et la nostalgie vint tout simplement me cueillir. Je me souvenais de tout, de ces moments hors du temps passés avec Roxanne, l'espace d'un instant un sourire se dessina sur mes lèvres. C'était de bons souvenirs. Je regrettais les réactions que j'avais eu lorsque j'avais appris sa mort. Franchement, je ne me reconnaissais même plus. A cette période-là, je passais mon temps dans les bars, à coucher à droite à gauche, à traîner avec des types pas nets. Je m'étais lié avec certains d'entre-eux, je participais à leurs soirées sulfureuses et prohibées...

Je secouais la tête négativement comme pour effacer ce que j'avais vu, ce que j'avais fait... Puis je remontais sur le remblaie qui me permettait de retrouver une rue déserte de Miami. Et là comme sortie de nulle part, je vis Ys', face à moi, souriante... Comme une apparition lumineuse dans la nuit noire.

Puis elle fondit sur moi, sans prévenir, glissant ses bras derrière ma nuque, plaçant ainsi son corps doucement contre le mien et pour mieux m'embrasser avec une ardeur et une affection que je ne lui connaissais pas. Sur le coup, je ne répondis pas à son baiser, les bras étendus sur le côté pour ne pas la toucher. Puis lorsqu'elle eut terminé son regard se voila en prononçant mon prénom. Je savais très bien ce qu'elle pensait. Alors elle ne s'en était pas encore sortie... Mais je savais comment lui changer les idées. Doucement, je passais ma main chaude sur sa joue rosie par le froid du vent " N'y pense plus. C'est du passé. " affirmais-je de ma voix grave en plantant mon regard persuasif dans le sien. Curieusement, je crois que je m'étais attaché à elle. Je sortis élégamment les clefs de ma moto de la poche de mon blouson en cuir  " Tu veux qu'on aille faire un tour? " lui proposais-je doucement, non sans sourire. " Qu'on fuit nos vie le temps d'une nuit? " ajoutais-je alors en ignorant si je pensais plus à moi ou à elle en faisant ce genre de propositions. Mais il fallait le reconnaître, ensemble on avait été plutôt doués pour échapper à nos soucis... même si cela n'avait été que le temps de quelques jours.

Ys' était une des filles les plus mystérieuses que j'avais pu rencontrer. Elle dégageait dans son attitude une mélancolie et dans son regard le souffle d'une souffrance que peu de personne ne connaissent. Lorsque ma main vint caresser sa joue, elle s' attacha à celle-ci presque tendrement, se reposant un instant en fermant les yeux. Je ne pouvais être que attendri face à tant de douceur. Un silence calme, bienveillant dans cette nuit étrange, s'installa " Je ne cesserai jamais d'y penser... " déclarais-je dans un murmure. J'avais envie de la prendre dans mes bras, que l'on soit soudés pour affronter le joug de nos démons qui hantaient nos esprits détruits. Chez nous tout était à reconstruire. Ce moment entre-nous était comme un instant suspendu dans l'espace... hors d'atteinte. Puis ces paroles me firent sourire, elle me prie la main, alors je nous emmenais vers ma moto qui se trouvait à quelques pas. La regardant toujours avec cette bienveillance, je me demandais comment le destin avait pu oser s'acharner contre elle. Elle n'avait pas mérité l'enfer qu'elle avait traversé, et j'aurai voulu pouvoir la protéger de ces souvenirs, les effacer. Ne disant un mot, je ne fis que lui lancer un regard qui devait traduire bien des paroles, puis j'ouvris le coffre sous le siège en cuire noire, je sortis un casque de la même couleur que je tendais à Ys', " Tu ne te blesseras jamais en ma présence. " déclarais-je sur un ton à double sens, mon regard si ... indescriptible ne quittait pas le sien en laissant échapper un sourire. Puis je remettais mes chaussures en toile obscure sur mes pieds. Je lui remis alors ma veste chaude de motard, un peu trop grande sur ses épaules. Je ne voulais pas qu'elle se blesse si nous venions à avoir un accident. Restant en t-shirt, j'enfourchais mon engin, non sans style. Puis attendant qu'elle vienne s'installer derrière moi, je fis ronronner le moteur. " Accroche-toi. " lançais-je dans un sourire un peu joueur, puis je démarrais à fond. J'espérais qu'elle se tenait bien, mais elle adorait la vitesse autant que moi, alors je m'y donnais à coeur joie. Sans jouer les vantards j'étais un excellent pilote, nous roulions de ruelles en rues principales, en passant par des carrefours, des chemins sinueux qui aurait pu effrayer quelqu'un de seul, mais ensemble, on ne craignait rien. Parfois, je m'amusais à faire en sorte que la moto prenne une légère altitude, à nous décoller du sol. Puis nous commençâmes à monter dans les hauteurs de la ville. On s'approchait des nuages. Enfin, nous atteignîmes une colline, elle donnait une vue sur tout Miami, j'ignorais où l'on se trouvait, je n'étais jamais venu en ces lieux, mais je me décidais de m'arrêter là et plaçais la moto sur sa béquille pour qu'elle tienne debout. Les seuls bruits que l'on pouvait entendre étaient ceux d'une auberge un peu plus loin qui semblait abandonnée. Un des volets battait successivement contre le mur et contre la fenêtre. Enfin, je ne me posais pas tant de questions que cela, je m' affalais plus que je m'allongeais dans l'herbe sèche, sur le dos, en respirant l'air frais à plein poumon, un sourire se dessina sur mes lèvres, puis je croisai mes mains derrière ma tête, regardant le ciel piqué de quelques étoiles. J'en avais presque oublié la présence de Ys' tellement, je me sentais bien dans ma solitude. Ma plus fidèle compagne depuis trois ans. Puis, je fis signe à Ys' de s'allonger aussi. C'était le lieu parfait pour discuter.

Ys' était un peu comme une fille pour moi, dans le sens où lorsque je l'ai rencontrée je me suis senti tout de suite le devoir de la protéger ou plutôt de la sortir du pétrin, d'une manière ou d'une autre. Elle avait toujours adoré monter sur ma moto alors automatiquement je su comment lui rendre le sourire, la faire se sentir légère et bien. Sur certains plans nous étions semblables, nous adorions ce sentiment de liberté que nous procurait la vitesse. Son "en avant! " si vif et enthousiaste me fit éclater de rire et pour toute réponse je fis rugir le monstre métallique. J'étais si bien, c'était tellement rare. Ce moment fugace que j'aurais voulu le plus longtemps possible. Je pouvais entendre Ys' pousser des cris d'effroi ou de plaisir, peut-être les deux, en tous cas, elle était joyeuse et mon rire accompagnait ses exclamations de même que mes accélérations, mes sauts et mes feintes. Enfin nous arrivâmes sur les hauteurs vertigineuses et magnifiques d'une colline de Miami. Je me sentais tellement vivant dans cette fraîcheur nocturne. La comportement d'Ys' m'amusait, elle avait gardé cette innocence enfantine et c'était peut-être aussi cela qui faisait que je me sentais attaché à ce petit brun de jeune femme. Enfin, je me laissais tomber dans l'herbe, l'esprit en paix. Elle murmura dans un soupire qu'elle aurait voulu que le temps s'arrête, je fermais les yeux, non pas pour m'endormir suite à ces mots, mais pour profiter de cet instant. J'étais un homme profondément calme et pas très loquace, c'était la vie qui voulait cela. Mais Ys' me demanda alors ce que je faisais...


Je pris le temps de répondre, lui jetant alors un oeil, après tout pourquoi ne pas lui dire? " Je voulais être bien... me sentir libre, comme si je démarrais une nouvelle page blanche... même si ce n'était que pour le temps d'une nuit. " confessais-je alors de ma voix d'une douceur caverneuse. Je ne voulais plus prétendre, faire semblant que tout allait bien dans ma vie. Ce n'était pas le cas. J'avais perdu ma femme, j'avais sombré. Et même si je tentais de me relever, le deuil me poursuivait chaque jour, chaque heure, il me hantait. Alors pour le temps de quelques heures, je voulais oublier et me retrouver en paix. " Et toi... ? " relançais-je alors la question, les mains toujours croisés derrière ma tête, déviant alors mon regard vers les étoiles. Elles étaient majestueuses en ce soir noir. C'est alors que des gouttes commencèrent à tomber, elles se firent très rapidement plus fortes... jusqu'à ce qu'une averse nous tombe carrément dessus. Bon il n'y avait pas de coup de tonnerre, mais c'était limite! " Viens amène-toi! " ordonnais-je à Ys' l'herbe mêlée à la boue rendait le terrain glissant, ma moto dans la boue ne servait strictement à rien. " On va se mettre à l'abris dans l'auberge! " déclarais-je en trouvant une solution. Sauf que plus on s'approchait plus elle semblait glauque. Des vitres brisées, des portes barricadées. Je toquais à la porte principale fortement " Ouvrez-nous, il pleut! " énonçais-je en essayant de vaincre le vacarme de la pluie avec ma voix. " Pour toute réponse, j'entendis un coup de feu " On ne veut pas d'étrangers ici! " entendis-je alors aboyer une voix bourrue " Vous pourriez être plus aimable quand même! On est trempés et il fait nuit! " rétorquais-je un peu énervé de ce comportement. Un coup de feu nous servi de deuxième réponse " Putain l'enculé, on va devoir se débrouiller tout seul. " énonçais-je en regardant aux alentours pour chercher un moyen de s'en sortir.


Enfin, je remarquais qu'il y avait une ferme sur le côté. Des hennissements se faisaient entendre, sauvé! Ils n'avaient pas l'allure de champion, mais ces chevaux feraient bien l'affaire. " Tu sais monter? " questionnais-je alors Ys' avec un sourire ragaillardis. Cela faisait un moment que je n'avais pas fait d'équitation en plus, cela tombait pas si mal finalement. Etant donné le comportement des propriétaires je n'avais aucune pitié en commençant à mettre la selle sur l'une des bêtes. " On va voler ces deux beaux étalons pour pouvoir dormir au chaud et à l'abris. " énonçais-je alors comme si c'était une solution acceptable, avec un petit sourire. Oui on aurait pu appeler un taxis, mais il n'y avait pas de réseau, j'avais regardé.