C'est au Mexique qu'il est né, à Tijuana, dans une famille de classe moyenne. Sa mère était américaine, son père mexicain, et disons que c'était plutôt lui qui se faisait entendre et qui décidait de l'éducation à donner à ses trois fils. Trois garçons dont Andrea n'était ni le plus âgé ni le plus jeune, mais celui du milieu. Le plus vieux, c'était Hamri, une copie presque identique du père, mais avec la fougue de la jeunesse et une tendance à agir impulsivement et sans mesurer les conséquences. Andrea, il a toujours été plus doux, discret. Pas particulièrement sensible, mais une force tranquille. Le genre de truc que son frère ainé ne comprenait pas, son frère qui dès l'enfance avait cherché à prendre soin de lui comme d'un animal blessé, s'y prenant terriblement mal et détruisant peu à peu la relation positive qu'ils avaient. Ados, Andrea et lui ne communiquaient même plus vraiment, parce que malgré tout, ils voulaient éviter les conflits au sein de la famille. Quant au petit frère, bien plus jeune, il était moins proche des grands, chouchouté tardivement par les parents. Alors ce fut dans ce mélange-là que grandit Andrea. Personne ne l'emmerdait vraiment au bout d'un certain temps, parce qu'il était indépendant et ne semblait jamais avoir le moindre problème, répondait toujours "ouais, ça va" quand on lui posait la fameuse question, ne parlait pas énormément mais ses résultats scolaires et tout le reste ne laissaient pas à désirer et reflétaient l'image du fils peut-être pas parfait, mais qui n'aurait pas de problème pour prendre son envol. Il n'était pas comme son aîné, avec son besoin de toujours parler fort, toujours se montrer, adoré des parents, fierté du père surtout, mais disputé sans arrêt pour toutes sortes de conneries auxquelles les parents finissaient par trouver une excuse. Non, Andrea n'était pas comme Hamri, à ramener des filles à la maison et à les baiser sauvagement sans se soucier du bruit que cela faisait, alors que le reste de la famille était présent. En fait, il n'avait même jamais ramené personne à la maison, avait timidement tenu la main d'une jolie brune dans les couloirs du lycée, avant de se rendre compte que ça n'avait pas de sens et qu'ils n'avaient rien à faire ensemble. Au final, il dut attendre d'avoir un peu plus de dix-huit ans pour que quelque chose ait subitement du sens. Il s'appelait Bellamy, et il n'avait pas énormément en commun avec Andrea, mais il était con comme il fallait, et il avait quelque chose de tragiquement adorable derrière ses airs de dur. Andrea ne croyait pas trop à l'amour, pas par cynisme ou pour se donner un genre, mais parce que c'était très abstrait pour lui qui ne l'avait jamais ressenti, cet amour pour quelqu'un qui arrivait de nul part et se pointait dans sa vie. Il aimait ses parents, ses amis, mais avec Bellamy c'était totalement autre chose. Là, il commença à y croire. Tomber amoureux d'un garçon, ça ne le perturba pas vraiment, parce qu'il savait déjà d'une certaine façon que les mecs pouvaient lui plaire, c'était simplement quelque chose qu'il avait gardé pour lui pour diverses raisons. Parce qu'il ne se voyait pas en discuter avec qui que ce soit, et parce qu'il savait que c'était mal vu. Quant à son père et son frère, il savait déjà qu'ils ne comprendraient pas. Alors il resta silencieux et discret, comme à son habitude. Il ne sut jamais exactement quel avait été l'élément déclencheur, le quelque chose qui avait fait tout foirer et qui les avait menés à leur perte. Si Hamri les avait suivis, si quelqu'un en avait parlé. Enfin, il avait certainement prémédité tout ça, avait été au courant avant, puisqu'il était venu avec le couteau. Andrea et Bellamy était ensemble, tout allait bien, et soudain tout allait mal. Son frère se pointa, ils furent séparés brutalement, le poignard se logea dans le torse de Bellamy, et Andrea fut traîné malgré sa résistance loin de là, embarqué par son frère et sans rien pouvoir faire pour Bellamy, abandonné gisant dans son propre sang. Puis une fois dans la voiture, assis là en état de choc, les yeux d'abords rivés sur les mains de son frère qui conduisait, ses mains couvertes de sang. Ses mains qui avaient agrippé Andrea pour le foutre dans cette voiture. Les bras d'Andrea et son t-shirt eux aussi couverts de sang. Et ce fut en se rappelant d'où provenait tout ce sang et à qui  il appartenait que l'acidité monta dans sa gorge, un vomi presque sec qui lui brûla l'oesophage et le força à se contrôler pour ravaler tout ça, plaquant une main tachée contre sa bouche. Quand ils arrivèrent chez eux, Hamri le traîna à l'intérieur et ce qui commença comme une possible dispute, un affrontement, finit vite avec Andrea au sol en position foetale, et Hamri qui portait les coups, avec le père qui observait d'un coin de la pièce, le visage fermé, comme s'il savait que c'était nécessaire de laisser son fils aîné s'occuper de ce problème, parce  qu'il y avait des choses qui ne pouvaient être tolérées. Il regarda avec la déception dans ses yeux, puis il s'en alla et laissa Hamri terminer. Ca aura été la seule et unique fois qu'un membre de sa famille leva la main sur Andrea. Et heureusement, après tout ça, Bellamy était en vie, il allait s'en remettre. Mais Andrea avait interdiction formelle de le voir, et pour que les mots de son père et de son frère soient bien inscrits dans sa tête, Hamri lui avait soufflé que s'il essayait, il se chargerait de rendre visite lui aussi à Bellamy et de finir ce qu'il avait commencé. Alors il resta loin, put l'observer un long moment pendant le procès, alors qu'ils se trouvaient presque aux deux extrémités de la salle, et quand la famille Reyes gagna, l'injustice déchira encore un peu le coeur d'Andrea. Ce fut la dernière fois qu'il le vit, mais peut-être qu'après ça, Bellamy pourrait reprendre le cours de sa vie et oublier les problèmes qui lui étaient tombés dessus à cause d'Andrea. De son frère assoiffé de sang. Il n'avait même pas vingt ans, Andrea, et malgré le feu ardent qui brûlait à l'intérieur de lui, il n'avait pas l'assurance nécessaire pour s'opposer radicalement à sa famille. Leur dire d'aller se faire foutre, et vivre sa vie. Au lieu de ça, il resta silencieux, éteint. Ils quittèrent Tijuana et allèrent s'installer à Phoenix, en Arizona, la ville d'origine de sa mère. La ville, aussi, où ses parents avaient trouvé un centre pour "les gens comme lui", un endroit où ils allaient le mettre pour qu'il en ressorte "soigné". Il ne perdit pas de temps à essayer de leur tenir tête, et  il se retrouva dans cet enfer, emprisonné et traité comme un dingue. A se faire répéter entre deux sessions d'électrochocs qu'il était malade et que s'il voulait sortir d'ici, il devait changer. Il était renvoyé un weekend sur deux dans sa famille, chez ses parents et ses frères qui se réjouissaient de voir de l'amélioration alors que tout ça ne changeait rien à la personne qu'il était. A ce rythme-là, il n'était pas près de sortir, mais il refusait pourtant de céder et de s'abaisser à leur niveau, de faire semblant d'accepter. Dans ce centre, il connut un autre garçon, Sidney, ce n'était pas Bellamy, mais c'était quelqu'un à qui s'accrocher, jusqu'à ce qu'il ne revienne pas après un weekend passé dans sa famille parce qu'il s'était ouvert les veines dans la salle de bain et que les secours n'avaient rien pu faire. Après ça, il abandonna l'idée de se lier d'amitié avec quiconque dans cet enfer, mais laissa grandir le feu à l'intérieur de lui. Quand il sortit, sept mois plus tard, ce ne fut pas parce qu'on le laissa sortir après le succès de son traitement, mais plutôt parce que les associations du comté avaient réussi à faire fermer l'établissement. Il fut pris en charge et soutenu, hébergé lorsqu'il décida qu'il ne voulait pas retourner chez ses parents. Ca brisa le coeur de sa mère, qui au final, malgré tout, l'aurait accepté peu importe son orientation. Mais tant pis. Il reçut en dédommagement une énorme somme d'argent, plus que nécessaire, mais qui allait lui permettre de faire des études, et s'installa donc à San Francisco où il commença des Etudes Internationales. Il ne voulait pas retourner au Mexique où il n'avait de toute façon plus d'attaches, après qu'il ait téléphoné à un ancien ami pour demander entre autres des nouvelles de Bellamy, et avoir appris qu'il n'était plus dans le coin. Puis, peut-être que Bell ne voudrait plus le voir, il devait avoir fait sa vie, lui. Du moins, Andrea le lui souhaitait. Il n'oublierait pas Bellamy de sitôt, mais c'était peut-être mieux de passer à autre chose, se concentrer sur ce qu'il avait à faire, lui, tout seul. Se débarrasser des séquelles des sept mois passés en traitement. L'anxiété parfois paralysante. Puis, tout ça avait fini par le changer, malgré l'énergie qu'ils avaient mise pour tenter de le détruire. Il était plus sûr de lui, le feu qui était jadis enfermé se libérait peu à peu. Il n'avait plus envie de rester dans son coin. Il s'engagea, de tous côtés, bordéliquement au début, puis il se centra. Sa vie se mit à tourner autour de ses études et des meetings, des manifs et interventions en tous genres, et ça lui plaisait comme ça. Pas de temps pour fréquenter qui que ce soit, pas l'envie non plus d'ailleurs. Il n'avait été intime avec personne depuis Bellamy, pas même Sidney, avec qui il avait eu si peu de temps que rien n'avait été échangé à part quelques baisers quand personne ne pouvait les voir. Ca ne lui manquait pas vraiment. Tout ce qui lui manquait parfois, souvent, quand quelque chose venait le lui rappeler, c'était Bellamy. Enfin. Peut-être parce qu'on oublie jamais son premier amour, tout simplement. Du coup il préférait se donner corps et âme dans ce qui le passionnait, et faire en sorte d'aller mieux, doucement, de prendre ses anxiolytiques et anti-dépresseurs comme il fallait. Et s'occuper de Hector, sa tortue terrestre qu'il avait adoptée pour combler le vide. Jusqu'à ce qu'il reçoive un coup de fil de son ami de Tijuana qui lui apprit que Bellamy avait été de passage en ville, et qu'aux dernières nouvelles, il avait fait sa vie à Miami et qu'il y retournait. Andrea n'avait pas vraiment d'attaches, et quitter San Francisco n'était pas un problème, alors sur un coup de tête qu'il ne regrettait certainement pas, il demanda à continuer ses études à l'Université de Miami, et prit contact avec la branche de ses associations LGBT qui agissaient sur le secteur de Miami, et une fois tout arrangé, il prit ses quelques affaires, Hector, et vint s'installer dans un petit penthouse, rien de très luxueux mais avec un petit jardin de toiture, parce qu'après plusieurs mois d'enfermement, c'était le minimum qu'il lui fallait. Un peu d'air, de verdure, ses études et ses activités extra-curriculaires. Puis, la raison de sa présence ici, Bellamy, ne serait pas de refus non plus.