Ca arrivait rarement ces derniers temps, qu'Erwan se sente d'attaque pour sortir de sa chambre et bouger en ville. Les semaines, il les passait enfermé dans la maison, fatigué et n'ayant pas la moindre envie de sortir pour traîner sans but. Au début, ça avait été son petit plaisir, mais il avait perdu le goût, au fil des mois. Il était de plus en plus épuisé, comme une fleur lentement fanée. Il n'avait plus la force et l'envie de demander l'autorisation de sortir, puis de mettre les pieds dehors pour se retrouver seul. Sa seule échappatoire dans tout ça : Chris. Ils se voyaient une fois par semaine, toujours le même soir, et Erwan passait alors la nuit chez son client. C'était tout ce qu'il attendait, chaque semaine, sa raison de continuer toujours, de ne pas se laisser aller. Chris était son ancre. Mais malgré tout ça, il s'était forcé aujourd'hui à mettre les pieds dehors pour se rendre à son appartement et y faire un peu de ménage. C'était vide depuis le départ d'Eggsy, et il fallait donc y passer parfois. Erwan fit un ménage très rapide, s'attarda un peu sur le piano, trop tenté de jouer quelques airs. Puis, il quitta le beau duplex et décida de profiter de l'après-midi ensoleillé. Il était en plein centre de Miami, là où il y avait de si beaux endroits et des lieux où s'amuser. Les boutiques, par exemple. Il avait toujours aimé ça, le shopping, la mode, alors c'était certain qu'en parcourant les rues marchandes, il perdit du temps devant les vitrines des boutiques. Puis, arrivant près du Starbucks, il décida de se faire plaisir et d'aller se commander une petite boisson et un dessert. Devant la caisse il opta pour une boisson de saison, spécial Halloween ! Et avec ça, un donut. Il s'empressa de commencer son donut en attendant sagement sa boisson, perdu dans ses pensées. « Un pumpkin spice latte ! » il entendit et releva directement les yeux pour s'approcher du comptoir et prendre sa boisson. « Pour...euh... » Oh, le jeune barista n'avait pas l'air de pouvoir déchiffrer, et c'était un peu gênant parce qu'une autre main s'était levée pour prendre la boisson. Erwan tourna la tête vers cette personne et... Sawyer ? C'était Sawyer, son client, ou plutôt ce type pas très sympathique qui était devenu son client une fois. Il n'osait pas, ne savait pas du tout comment le traiter, alors il lui adressa un petit sourire. « Sovyer ? » tenta le pauvre jeune homme, et Erwan se sentait mal pour lui, le pauvre. En tous cas, c'était plutôt clair maintenant, ce n'était pas son pumpkin spice. « C'est pour toi ! » il dit à Sawyer avec un sourire, prenant la boisson et la lui tendant, se trouvant plus près du comptoir que lui. Quelques secondes plus tard, c'était à lui qu'on tendait un gobelet et il remercia le barista d'un grand sourire. S'éloignant un peu du comptoir, il trempa doucement ses lèvres dans sa boisson, se régalant déjà. Et bien sûr, Sawyer était toujours dans le coin. Il tenta un regard vers lui. « T'as vu, on boit la même chose ! » il lança, un peu stupidement, pour démarrer une conversation. Mais en vérité, c'était plutôt inattendu de leur part, eux qui étaient si différents. Il ne savait pas non plus pourquoi il cherchait à parler avec ce gars-là, après ce qui était arrivé dans sa chambre, après le cauchemar aussi. Mais il ne voulait pas l'ignorer, de peur d'être malpoli et qu'on le lui fasse payer ensuite. Et puis, il était optimiste de nature, il espérait bien que peut-être après une petite discussion toute simple dans un café, lui et Sawyer pourraient être amis ?

Il n'y croyait pas trop de tomber là, sur Sawyer. Après le cauchemar qu'il avait fait quelques jours plus tôt, et leur dernière rencontre, il n'était pas entièrement rassuré. Mais il voulait absolument rester positif, et il se disait que ce garçon avait forcément un bon fond, quelque chose de beau et positif en lui. Il fallait lui donner de l'affection et de la douceur. Erwan avait bien l'habitude des hommes trop durs, trop violents et pourtant si fragiles à l'intérieur. Il était certain que Sawyer était l'un d'eux, et qu'il suffisait de lui donner quelque chose de positif pour qu'il finisse par être gentil en retour. Du coup, il décida de sourire et d'engager un peu la conversation. En plus de ça, le jeune homme lui sourit en retour et le remercia, ce qui lui donne une bonne dose d'espoir. Sawyer s'était ensuite installé, et Erwan resta près de lui à le regarder en souriant, commentant même leur choix de boissons ! « Bah, assieds toi, tu vas pas rester debout. » l'invita Sawyer, ce qu'il n'eut d'ailleurs pas à répéter. Erwan tira la chaise face à son nouvel ami, et s'installa, tenant bien sagement son gobelet entre ses deux mains et y trempant avec soin le bout de ses lèvres. C'était douuux. « T'as le droit de sortir de la maison close? » interrogea Sawyer. Erwan était tout content de voir qu'il y avait un début de conversation, et il se redressa sur sa chaise pour répondre avec joie. « Oui ! Ca dépend des jours et des horaires, mais je peux faire ma vie en-dehors de mes heures de travail, la plupart du temps, si je reçois bien l'autorisation. Il faut toujours prévenir ! » il lui expliqua. Il était plutôt libre effectivement, ça n'avait rien à voir sur ce point-là avec son expérience passée. Mais il devait toujours demander l'autorisation avant de quitter la maison en journée. Puis, il fallait être de retour à l'heure, absolument. Il sentait la chaleur du café se répandre dans son corps, et desserra donc le petit foulard qu'il avait autour du cou et qui cachait les bleus que lui avait fait Chris, la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Erwan comprenait bien que ce n'était pas à exhiber, mais il les aimait bien, ces marques, et il était un peu mélancolique de les voir déjà s'effacer lentement avec les jours. « Tu vas revenir au Birdcage ? Ca t'a plu ? » il demanda avec un sourire, comme s'il parlait d'un bar ou d'une boîte de nuit tout à fait classique, et non d'un bordel dans lequel Sawyer l'avait torturé pour son plaisir personnel. Mais une fois de plus, il était trop déconnecté de la réalité pour avoir des réactions normales aux évènements, considérant cette nuit comme une simple affaire, semblable aux autres. Sawyer était un client, voilà tout, et peu importe de quel genre de business il s'agissait, Erwan voulait satisfaire ses clients.

Dans ce Starbucks Coffee, avec Sawyer. C'était pas mal étrange, mais bon, Erwan avait de l'espoir et le jeune homme face à lui avait l'air d'être de bonne humeur. Il papotait tout sagement et ça faisait plaisir, du coup, Erwan s'était installé et répondait à ses questions, tout en lui posant les siennes. « Mais c'est pas uniquement le soir que tu bosses? » demanda Sawyer. Il avait l'air un peu surpris, ou confus. Erwan haussa les épaules. « Ca dépend, en général oui, mais y'a des clients qui payent pour vingt-quatre heures, ou plus que ça... même si c'est rare » il répondit doucement. A vrai dire, ces derniers temps et depuis même plusieurs mois, le seul à faire ça avec lui était Chris. Il ne savait pas pour les autres putes de la maison, mais pour lui, c'était juste Chris. Il trouvait ça assez normal, c'était vraiment peu probable que quiconque ait envie de passer tant de temps avec lui. Généralement, au bout d'une ou deux baises, les clients en avaient assez. Puis Chris... ce n'était pas que pour le cul, alors c'était différent, ça expliquait tout. Sans trop savoir pourquoi, mais clairement parce que c'était tout ce qu'ils avaient en commun, il demanda si Sawyer comptait revenir au Birdcage. « T'aimerais que je revienne? Parce que tu sais que si je reviens, c'est toujours pour la même chose, et avec la même personne, hein? » Ca le laissait simplement surpris, un peu sans voix, parce qu'il ne savait pas quoi répondre évidemment. C'était une non-réponse, d'ailleurs. Et il ne savait pas s'il devait répondre. A vrai dire, ici, il n'était pas tout à fait la pute, et Sawyer n'était pas le client, il n'était forcé à rien, pas même à répondre à ses questions. « Ah » il lâcha un peu pitoyablement. Les paroles de Sawyer l'avaient perturbé, parce qu'il venait clairement de lui dire que s'il revenait, ce serait à nouveau pour blesser Erwan. « Je pense que tu devrais faire ce que tu veux... si t'as envie de revenir » il répondit lentement en agitant son latte, y trempant ensuite le bout des lèvres sans regarder Sawyer dans les yeux une seule fois. Ce type l'angoissait un peu, avec ses questions, et ses vilaines promesses. Il avoua ensuite ne pas savoir si ça lui avait plu, et ça fit un peu mal à Erwan, parce qu'il avait osé espérer que tout ça aurait au moins servi à apporter de la joie à son client. C'était terrible pour lui, de ne pas avoir pu contenter quelqu'un. « Et toi, ça t'a plu? » La question le prit au dépourvu, mais il ne le montra pas, trop concentré dans sa boisson et ses pensées. Il leva doucement le regard vers celui de Sawyer. « Ca me plait de rendre heureux mes clients, c'est tout... ça me plait quand ils sont satisfaits » il dit, et le sens caché était clair, limpide. Il voulait lui faire comprendre doucement que si lui n'avait pas aimé, alors Erwan n'était pas en position d'avoir apprécié non plus. « La seule utilité d'une bonne pute, la seule chose importante c'est que les clients soient toujours entièrement heureux et satisfaits quand ils finissent... j'ai envie d'être une bonne pute, j'essaye très fort, je fais de mon mieux » il expliqua, se souvenant très clairement d'un vieux discours de Leo, parce que c'était lui qui lui avait appris ça et pour avancer, Erwan continuait toujours de se référer à ce que Leo lui avait enseigné, c'était capital. « Je sais pas si j'ai été une bonne pute pour toi... C'était... vraiment différent d'avec les autres clients, alors c'était difficile d'être ta bonne pute » ajouta Erwan, s'ouvrant encore un peu à cet homme qui pourtant ne lui avait fait que du mal et ne méritait rien de sa part, certainement pas son honnêteté et sa sincérité.

Il parlait avec Sawyer, et lui demandait même s'il comptait revenir au Birdcage. Ca pouvait sembler idiot, ou insensé, ou peut-être qu'il cherchait clairement les ennuis... mais de toute façon, Erwan savait aussi que si ce type voulait revenir, il ne l'en empêcherait pas. Alors autant s'y attendre, c'était peut-être mieux. Sawyer l'avait fait souffrir beaucoup, et Erwan avait compris qu'avec lui, ça ne serait jamais que souffrance. C'était comme ça que cet homme-là se faisait plaisir, et le métier d'Erwan était justement de donner du plaisir aux autres. Il avait appris avec Leo, Leo qui lui avait soufflé maintes et maintes fois que peu importait ce qui se passait, du moment que le client était heureux. Alors voilà, c'était ainsi que Sawyer se faisait plaisir, et Erwan n'était rien ni personne pour juger ou même pour lui en vouloir. « J'suis pas un richeman, j'vis dans une chariote tu sais alors j'ai pas les moyens de venir tout le temps. La fois dernière, j'suis venu uniquement parce que je t'avais dépouillé ton fric. » répliqua-t-il, et Erwan avait oublié ce détail-là. A vrai dire, il n'avait même pas fait le lien, et c'était seulement maintenant qu'il apprenait que c'était ainsi que Sawyer s'était payé ses services. La conversation se poursuivit, et si les clients autour d'eux entendaient ce qui se disait, ils devaient être bien gênés ou même choqués. Erwan expliquait sa vision des choses et de son métier, ce qui pourrait en faire rougir plus d'un. « Ton job c'est vraiment d'la merde, j'te l'dis. J'aime pas les putes. J'me suis jamais tapé de putes, et l'idée même de devoir en fourrer une ça m'donne envie d'me suicider. » Au moins, c'était clair, et Erwan avala sa salive d'un coup, difficilement. Si ça lui donnait envie de mourir, alors c'était vraiment que ça n'était pas fait pour lui. Peut-être qu'il préférait les vraies relations, et qu'il avait une petite amie ou un copain, ou quelqu'un... une relation. Peut-être qu'il était un homme tout à fait normal, pour qui le sexe sans autre but que de se vider, ça n'avait pas de sens. Erwan pouvait respecter ça. « T'étais pas ma pute quand j't'ai fracassé. T'étais ma victime. Enfin. J'le vois comme ça. Et même si c'est ton métier, pour moi tant que j'te pénètre pas, t'es pas ma pute. » enchaîna Sawyer, et c'était une vision des choses assez originale qui différait grandement des principes d'Erwan. Il haussa un peu les épaules, se sentant légitime d'être en désaccord, puisqu'on parlait de son métier et qu'il s'y connaissait un minimum. « Quand on m'a appris, on m'a dit qu'être une pute c'est facile : il y a un client qui paye, et moi je dois faire tout ce que veut le client, et faire tout ce que je peux pour qu'il soit satisfait. Alors... peut-être que ça concerne le sexe la plupart du temps. Mais j'ai déjà eu des clients qui voulaient juste me taper dessus, ou me regarder faire des choses... y'a tous styles de gens, je crois » il raconta, parce qu'il avait assez d'expérience pour dire que les hommes qu'il rencontrait avaient parfois des façons bien originales de trouver du plaisir. Mais voilà, ça faisait partie de son quotidien. « Si c'est pas les putes que t'aimes, tu as quelqu'un ? Une petite amie ou une personne spéciale ? » il demanda avec un sourire.

C'était particulier, mais Erwan était heureux de découvrir Sawyer sous un nouveau jour. Il était même assez sympathique, et c'était intéressant de papoter avec lui autour d'un petit café. Ils avaient évidemment des désaccords, et Erwan dut s'expliquer un peu sur son métier, parce qu'ils n'avaient pas la même vision de ce que c'était la prostitution. « Ouais. Bah je garde mes idées que c'est de la merde. » Bon, et bien... c'était son droit et Erwan ne comptait pas pousser pour qu'il change d'avis. Chacun pouvait penser ce qu'il voulait, et lui-même ne détestait pas ce qu'il faisait, puisqu'il se rendait utile et que ça lui donnait une petite raison d'être là. Curieux, il poursuivit en lui demandant s'il avait quelqu'un dans sa vie. Il y avait peut-être une femme ou un homme qui lui plaisait, ou quelqu'un avec qui il partageait sa vie, avec qui il était doux et tendre, et cela aurait expliqué ses besoins de se défouler, de laisser sortir sa violence autrement. Erwan aurait pu être content de servir à ça, aider à purger la violence enfouie dans cet homme. Mais non, il n'y avait personne. « Personne n'est spécial pour moi ni important. Encore moins une femme. Ou un homme si c'est ce que tu penses. » Oh, il ne pensait rien, vraiment, il voulait juste savoir. Il était presque triste pour Sawyer, parce qu'il savait que l'amour, qu'avoir quelqu'un de spécial, c'était vraiment une belle chose et que ça donnait beaucoup de joie. Il lui souhaitait vraiment de trouver un jour l'amour ! « J'aime juste me taper des femmes qui le veulent vraiment, sans devoir les payer. » Erwan hocha lentement la tête, comme si ces paroles avaient un sens profond pour lui. C'était une philosophie de vie qui ne lui parlait pas vraiment, déjà tout simplement parce que se taper des femmes, ce n'était pas dans ses occupations quotidiennes. « J'espère que tu as beaucoup de bonheur comme ça ! » dit-il avec un petit sourire avant de boire encore un peu de son latte. « J'aime bien parler avec toi en tous cas ! » il ajouta. C'était la vérité, Sawyer était gentil aujourd'hui et ça changeait de ce qu'Erwan connaissait de lui, mais malgré ça, il venait de finir son café et il regarda l'heure pour constater qu'il allait devoir partir bientôt. Il releva les yeux pour afficher une petite moue tristoune. « Je vais devoir partir... mais c'était très sympa de parler avec toi ! » Il se leva pour jeter son gobelet et prendre ses affaires, puis il adressa un signe de la main à Sawyer. « A bientôt peut-être ! » Et avec ça, il quitta le café.