C'était la fin, elle l'avait su quelque part au milieu de la journée, quand ils étaient à table. Peut-être pas exactement que ça allait suivre, mais elle avait su que mettre un stop à tout ça était quelque chose qu'elle allait devoir faire si Noah ne le faisait pas avant elle. Et ça dans un futur proche. Un futur très proche, au final. La réalisation avait été assez simple à accepter, la décision pas aussi violente qu'on aurait pu le croire. Peut-être parce que c'était la bonne décision et qu'elle le savait. Elle n'avait pas une grande expérience de ce que c'était l'amour, les relations, la vie de couple. Elle avait pourtant passé deux ans de sa vie avec un type qui avait su la rendre heureuse, et ça lui arrivait souvent de repenser à lui, de comparer tout ce qu'elle faisait et vivait avec des expériences qu'ils avaient partagées, parce que ces deux années étaient un peu comme un point de repère. Ca n'avait pas énormément de sens, parce qu'elle avait tellement changé depuis, mais parfois ça pouvait être utile. Puis, elle se demandait s'ils seraient toujours ensemble s'il n'avait pas été tué. De toute façon, toute sa vie depuis ce moment-là avait été marquée et influencée par le fait qu'elle s'était retrouvée seule et livrée à elle-même, alors sans doute que s'il avait vécu, elle n'aurait pas du tout grandi de la même façon. C'était idiot de ressasser le passé, ce n'était pas son genre du tout, mais lorsqu'elle pensait à Jay elle ne voyait pas les choses comme ça. C'était plutôt une espèce de valeur sûre, de référence dans sa vie, une base pour mesurer le reste. Comme une bonne leçon, un bon exemple. Elle n'en savait rien. Elle n'avait jamais rompu de toute sa vie, n'avait jamais quitté quelqu'un, et là elle s'apprêtait à le faire avec Noah. Heureusement, ce fut lui qui lança la conversation, et heureusement, ils avaient de vraies choses à se dire, de vraies raisons. Ce fut à la fois plus facile qu'elle l'eut pensé, parce que les mots pour une fois sortaient si simplement de sa bouche, sans artifices et sans avoir à réfléchir trop fort. C'était naturel, tout autant pour elle que lui, et c'était peut-être la première fois qu'ils ne se planquaient pas tous les deux derrière quelque chose d'autre que juste eux-mêmes dans leur plus grande simplicité. Mais si les choses venaient facilement, c'était clair aussi que ça lui coûtait. Elle ne savait pas si elle allait mal le vivre une fois seule chez elle. Si elle allait se poser devant sa télé avec Pégase et juste ne rien faire, ou si au contraire elle allait charger ses jours de travail, passer des heures et des heures à l'hôtel, puis enchaîner les contrats et faire des choses qu'elle ne faisait pas ou plus ces derniers temps, depuis qu'il y avait ce truc avec Noah. Tu croyais vraiment qu’un jour on sortirait ensemble et qu’il y aurait des sentiments entre nous ? Moi non. Et pourtant c’est arrivé, même si ça n’as pas toujours été rose. Alors peut-être que j’nous voyais pas comme la petite famille parfaite, mais ouais ça aurait pu arriver, je t’aurais bien vu tellement maladroite, que ça t’énerverais de ne pas pouvoir faire comme tu veux… Tu sais au fil du temps j'ai appris pas mal de chose et je sais que même si tu te vois pas mère, des fois certaines choses qui nous arrive nous change. Mais jamais j'te demanderais de faire des sacrifices pour moi... il répondit, et la grosse moitié de ce qu'il disait ne lui parlait pas du tout, et c'était encore une fois la preuve qu'ils n'avaient plus rien à faire ensemble. Le tableau qu'il essayait de lui peindre, elle en mère maladroite, et tout le reste... ça ne l'attirait pas du tout. Au contraire, c'était à deux doigts de la rendre malade tant c'était au total opposé de ce qu'elle voulait. Et il n'avait peut-être pas tort au sujet du changement, mais elle savait aussi très bien que certaines choses ne changeraient pas. Que rien ne pourrait lui donner envie d'une famille ou d'une vie de ce genre-là. Mais elle ne répliqua pas, parce que ça n'aurait servi à rien, qu'elle ne voulait pas qu'ils se prennent la tête et qu'ils se fassent du mal inutilement. La dernière phrase qu'il prononça était celle qui ressortait de toute façon, au-dessus de tout le reste. Elle ne le dit pas à voix haute, mais elle pensait la même chose vis-à-vis de lui et savait que son attitude était suffisante pour le lui faire comprendre. Elle non plus ne lui demanderait pas de faire des sacrifices, la dernière chose qu'elle voulait pour lui, c'était de laisser tomber ses envies de gamins pour elle. Malgré tout, elle était tombée amoureuse de lui quelque part en cours de route, et ça voulait dire qu'avant tout, elle souhaitait qu'il soit heureux. Elle laissa planer un petit silence, puis s'excusa de la cuisine pour monter chercher son sac et le remplir de ses affaires. Fringues, objets en tous genres qu'elle avait un jour ramenés parce qu'ils avaient eu une utilité à ce moment-là. Elle le sentit arriver derrière elle, tout en finissant de remplir le sac, et se tourna pour s'excuser de lui avoir fait perdre son temps. C'était un peu un prétexte, une façon de lui dire un tas de choses. Elle avait toujours vécu comme si le temps était précieux, parce qu'elle savait dans un coin de sa tête qu'elle n'en avait pas beaucoup, qu'elle ne vivrait certainement pas très vieille. Alors cette phrase toute conne en cachait un peu plus. Elle contourna le jeune homme et alla dans la salle de bain. Arrête… Tu sais très bien qu’c’est faux… On s’est éclaté et j’ai jamais dis que j’comptais avoir un môme demain. il lâcha avec un rire léger, c'était nerveux et maladroit, ça se sentait, mais du coup elle répondit à son rire. « C'est vrai qu'on s'est bien éclatés » elle souffla dans un sourire en prenant ses produits de douche, son maquillage, sa brosse à cheveux et le reste de ses affaires de toilette pour tout mettre dans la trousse. Mais s'il ne comptait pas avoir un môme demain, viendrait bien un jour de toute façon où ça se présenterait. Elle ne savait pas si c'était simplement une phrase pour alléger l'histoire, ou pour préserver sa petite fierté de mec sans attaches, ou si c'était pour la retenir un peu. Dans tous les cas, ça n'avait pas de sens pour elle, parce que même si c'était dans un futur lointain, c'était tout de même un futur qu'il souhaitait, et ça finirait par coincer quelque part. Puis au moins, elle laissait sa place, peut-être pour une fille qui voudrait en avoir, des gosses. « Je regrette pas de pas t'avoir tué ce jour-là, en tous cas » elle souffla dans un petit sourire en sortant de la salle de bain, lorsqu'elle l'eut à nouveau face à elle. Elle faisait référence à ce jour-là, dans sa cuisine, ce qui semblait des siècles plus tôt. La première décision idiote qu'elle avait prise au sujet de Noah, lorsque tout aurait pu être réglé si elle avait appuyé sur la détente, et qu'elle avait décidé de ne pas le faire. Elle retourna vers son sac et mis la trousse de toilette dedans, avant de glisser la fermeture éclair. Et voilà. Rincon était toujours dans un coin de la pièce, et elle alla lui faire un câlin rapide et déposer un bisou sur sa tête, avant d'aller chercher son sac. Antey passa la sangle sur son épaule, le sac pendant là au niveau de sa cuisse tandis qu'elle se tournait vers Noah et le regardait un peu. Elle ne savait même pas quoi faire. Ou dire, plutôt, parce que les au revoirs c'était loin d'être son truc. Elle se voyait mal lui balancer un "à plus", ou quoique ce soit d'autre, en fait. Elle fit quelques pas pour vraiment se trouver face à lui et s'approcha encore un peu pour l'embrasser doucement. Elle fit durer le baiser, mais pas trop, juste assez pour lui dire les dernières choses et pour clore tout ça, puis elle se recula lentement. « J'espère que tu l'auras, ta petite famille, tu le mérites » elle lui dit finalement, sans grande expression émotionnelle, sans pathos ou quoi, juste une phrase sincère et simple, parce qu'elle le pensait et qu'elle voulait que la vie lui réussisse. Après un dernier regard, elle le contourna et descendit les escaliers pour quitter la maison.