Parce qu’il y a un début

Un homme, une femme, une rencontre, une relation, un conte de fée… C’est comme cela qu’Eavan a imaginé l’histoire d’amour de ses parents, bien loin, trop loin d’une double vie, d’un adultère, d’un secret. Ils sont le couple parfait, le couple modèle. Et lorsqu’elle demande à son papa où il dort lorsqu’il n’est pas là, la réponse est claire et nette : à l’hôtel. Et elle le croit. Pourquoi ne devrait-elle pas le croire ? Il est médecin, connu et reconnu. Il est un honnête homme. Respectable et respecté.

Pourtant si elle avait fait attention, elle aurait vu les détails, le regard gêné de sa mère, le ton un peu plus froid de son père, les absences bien trop récurrentes et perpétuelles, millimétrées et organisées. Mais elle n’a rien vu, rien entendu. Elle était juste une petite fille puis une adolescente puis une jeune femme se fiant aveuglément à son père. Et à sa mère.

...un milieu

Il y a eu un avant et un après. Sur le moment bien sûr elle ne savait pas. Elle ne savait pas que le sms parlant d’une boite de céréale serait le dernier. Elle ne savait pas que son « à ce soir » serait ses derniers mots. Elle ne savait pas que chaque moment, chaque caresse, chaque sourire deviendrait des souvenirs à chérir.
Il y a eu un avant. Un passé merveilleux, une mère aimante et présente, des disputes, des conflits, des réconciliations, des « je t’aime maman ».
Et un après. Un décès. Non pire, un meurtre. Deux jeunes, des billets et des bijoux, un coup de feu, une vie perdue et des vies brisées.
Jamais sa mère ne la verrait pour le bal de promo ou en robe de mariée, jamais sa mère ne la verrait devenir mère à son tour. Il n’y aura plus que son père et elle. Et à seize ans, cet état de fait c’est un peu comme la fin du monde.

...une fin  

Elle l’idéalisait. Ce n’est pas un euphémisme. Il était son héros, son modèle, le grand chirurgien. Elle voulait être comme lui, le rendre fière. Et pas une seule fois elle a imaginé la vérité. Et puis un jour elle a su. Au détour d’un couloir, elle est tombée sur cette fille en compagnie de son père. « Leur  père » lui a-t-elle dit.
Le fourbe, le menteur, le traitre, l’infidèle, le mauvais père. Surtout le mauvais père. Jouer sur deux tableaux, abandonner une partie des siens, mentir à l’autre. Pourtant il les a choisi, elle et sa mère mais ça n’enlève en rien ce qu’il a fait. Il avait une femme et une fille, il en a pris une autre et lui a fait un enfant non sans permettre à sa première femme d’être mère une deuxième fois. Tordu ? Compliqué ? Oui. Malsain aussi et gênant. Ces choses là ne se disent pas, elles ne se partagent pas.

Alors elle garde le silence et son ressenti. Sa seule réaction est d’arrêter ses études. Elle ne l’idéalise plus, ne veut plus lui ressembler. Elle veut être elle et si au passage elle lui cause du chagrin, c’est tant mieux.

...et un avenir.

Que faire de sa vie lorsque ses fondations se sont écroulées ? Elle ère et se désespère sans savoir où aller. Et puis un jour elle passe devant ce lieu. C'est une évidence, un appel, une vocation. L'idée de l'Artistic germe dans son esprit. Pas vraiment un café, pas vraiment un bar, pas vraiment un lieu culturel. Un juste mélange, comme dans un mojito, le parfait équilibre.
Il a ces bibliothèques qui recouvrent l'un des murs, il y a la scène et son piano laqué, il y a ce dôme qui laisse entrer la lumière, il y'a ces poufs et ces canapés.

C'est son projet, son bébé, loin des considérations de son père, loin des souvenirs de sa mère, loin de leurs mensonges et leurs secrets à tout les deux.