« 14 février 2009 »
Dehors, il y a des lumières qui clignotent. Tantôt bleues, tantôt rouges. Mais c’est surtout le bruit assourdissant des sirènes qui attire les plus curieux. Les gens devinent aisément qu’un drame a eu lieu. Ils ne savent pas vraiment lequel, pour le moment. Alors ils murmurent entre eux, à distance, en espérant apercevoir un indice quelconque susceptible de dévoiler la sordide vérité, même s’ils risquent d’être choqués. Horrifiés. Parce qu’ils le seront, inévitablement. Pourquoi ce serait différent pour eux, après tout ? Adriel, lui, il sait. Il est là. Les mains couvertes de sang, les genoux à terre, le regard livide. Il se repasse les événements des dernières minutes en boucle, dans sa tête. Il ne comprend pas comment il en est arrivé là. Ceci dit, il ne souffre pas. Pas comme on pourrait le penser. Ce n’est pas lui qui a été blessé. Ca, il le sait pertinemment. Il a tout vu. Il n’a rien pu faire pour arrêter la fatalité. Tout est allé trop vite. Si vite que son cerveau peine encore à décortiquer chaque geste. Pourtant, il se tenait juste à côté. Il a vu l’arme : un pistolet noir, de petit calibre. Suffisamment minuscule pour tenir facilement dans un dos, à la ceinture. Suffisamment énorme pour ôter la vie. Si seulement il avait compris avant, Adriel. Hélas, c’est trop tard. Un homme a utilisé cette arme et il l’a pointée sur la pauvre caissière – qui s’avèrera être la patronne du petit magasin. Et il a fait feu, lorsqu’elle a tenté maladroitement de s’extirper de cette situation. L’autre garçon, lui, disait que c’était de sa faute. Qu’elle n’aurait pas dû essayer de s’échapper de là. Qu’ils avaient l’argent, de toute façon, et qu’ils feraient mieux de partir en vitesse. Sauf qu’Adriel ne pouvait pas laisser cette femme gisante sur le sol, agonisante. C’était trop pour lui. La limite avait été franchie et il ne s’en remettait pas. Maël, lui, ne parvint pas à le raisonner. Il finit par s’enfuir, le laissant derrière lui dans sa propre panique. Des regrets, sans doute. Sauf que c’est trop tard, encore une fois. Adriel a appelé l’ambulance. Il a voulu contenir l’hémorragie, de toutes ses maigres forces. Il était abasourdi. Dévasté. Son frère venait de choisir la facilité. Non pas en appuyant sur la gâchette, mais en prenant ses jambes à son cou. Comment Adriel aurait-il pu réagir de la même façon ? C’était inconcevable dans son esprit. Hélas, le brun n’avait pas réalisé ce que cela lui coûterait : sa liberté. Sans caméra de surveillance, sans victime pour parler – car la pauvre malheureuse décédera – et avec l’arme du crime à ses côtés, Adriel avait tout du coupable idéal. Oh, évidemment, il aurait pu contredire les enquêteurs. Il aurait pu tout avouer et rendre son frère coupable de cet homicide à sa place. Il aurait peut-être dû. Toutefois, il ne le fit pas. Parce qu’Adriel n’avait que son aîné dans ce bas-monde. Ils avaient été élevés à la dur par un homme violent, alcoolique et colérique. Combien de fois Maël s’était-il pris des coups à sa place ? Combien de fois l’avait-il défendu, dans la cour de récréation, quand les autres mômes se moquaient de lui et de son aspect trop maigrichon ? Il ne les comptait plus. Son frère avait toujours été présent dans sa vie. Sans lui, il n’aurait pas survécu aux tentations de la drogue et aux démons des vices. Ils étaient différents. Ils s’équilibraient, tous les deux. Adriel était incapable de trahison, à la grande différence de son aîné. Alors il accepta de payer les pots cassés et d’endosser toute la responsabilité de ce crime odieux sans broncher. Les preuves et son aveu furent suffisamment concluants pour permettre à la justice de trancher avec facilité. Et, quelques semaines plus tard, le verdict tombera : huit années de prison ferme. Un coup de massue pour ce mioche de 18 ans. Mais qu’importe : c’était mérité, n’est-ce pas ? Même s’il n’était pas le véritable coupable, il se sentait aussi responsable que s’il avait assassiné froidement cette pauvre femme. Parce que s’il avait été capable de mieux étudier, d’avoir un meilleur travail, lui et son frangin n’auraient pas eu besoin d’argent pour survivre. Ils auraient pu vivre décemment, plutôt que d’enchaîner les boulots merdiques. Adriel se disait qu’il aurait dû accepter l’illégalité plutôt que de commettre un vol. Sauf qu’il n’était pas possible pour lui de vendre de la drogue, de participer à la déchéance humaine. Douce ironie, n’est-ce pas ?
Joyeuse Saint-Valentin