La liste de bars notée au creux d'une serviette en papier atterrit dans sa main. Il la serra un peu, comme pour s'occuper et tuer la nervosité, pendant qu'il échangeait encore avec Eros. Ce dernier s'intéressait aux voyages d'Halcyon, et le questionnait même à ce sujet. Il ne pensait pas que c'était si intéressant, peut-être parce que c'était tout ce qu'il connaissait. C'était sa petite vie à lui, qui pouvait paraître originale pour des personnes qui vivaient autrement, mais pour lui, c'était plutôt simple et banal. Cependant, il raconta brièvement son périple à Eros. Halcyon n'avait jamais vu cela exactement comme un voyage, mais plutôt une exploration, ou la recherche de l'endroit idéal où poser ses bagages, sur le long terme ou pour une durée de temps plus courte. D’accord, tu as énormément voyagé alors ! Tu aurais des coins à me conseiller en France ? Sachant que je passerais les premières semaines en Italie, donc si je peux y aller en voiture depuis mon pays. Halcyon sourit un peu, se mordant la lèvre au passage. « Je n'étais pratiquement qu'à Paris. J'ai bien aimé... Et j'ai fait quelques semaines à Avignon. C'est plutôt sympa, même si j'ai pas trop visité... en tous cas c'est plus accessible par l'Italie que Paris ! » fiit-il, sourire aux lèvres. Il ne savait pas de quel coin était originaire Eros, mais il se disait que monter en voiture jusqu'à la capitale demanderait beaucoup de volonté. Et de carburant. Ils parlèrent théâtre, Eros s'intéressa même à la pièce d'Halcyon, puis ils changèrent de sujet une nouvelle fois. Je peux t’apprendre une autre anecdote sur toi si tu veux, avant ton accident, tu parlais italien. Enfin tu savais dire quelques mots, mais tu te débrouillais bien. Ca fit rire Halcyon. Il avait fait quelques recherches, sur la mémoire, l'amnésie, tout ça. Et il avait lu toutes sortes de choses, mais ce qui l'avait frappé c'était que même dans des cas d'amnésie totale, il y avait des choses que les gens n'oubliaient pas. Comme les langues par exemple. Mais Halcyon n'était pas capable de tenir une conversation en italien, alors peut-être que ce langage était si lié à Eros dans sa tête, que lorsqu'il oublia son ami, le vocabulaire s'en alla avec lui. « Je dois connaître genre... cinq mots » il répondit en riant un peu, décidant de ne pas parler de ce qui venait de lui traverser la tête. Vint ensuite un moment un peu plus délicat, l'évocation de ses amis et surtout de sa famille, qui vivait à Miami. C'était dingue, et Halcyon était persuadé qu'en rentrant chez lui après ça, il allait être dans tous ses états et passer par une dizaine de stades critiques avant de se calmer et de réellement comprendre ce qui était en train de se passer. Le hasard d'arriver ici, dans cette ville, et d'y retrouver toute sa vie d'avant... Pris par un courage nouveau, il demanda noms, prénoms, numéros, adresses. Et le numéro de téléphone d'Eros. Parce qu'il tenait absolument à le revoir. Silencieux, il regarda Eros prendre son temps pour glisser le stylo sur le papier, concentré dans ce qu'il faisait. C'était bien plus intéressant à regarder qu'Halcyon aurait pu le penser, et quand son nouvel ami eut fini, il fut presque surpris que ce soit allé si vite. Je vais devoir y aller, je t’ai donné tous les renseignements dont tu pourrais avoir besoin. Bonne continuation a toi. Il sourit un peu en récupérant le carnet. Quand Eros passa ses bras autour de lui et déposa ses lèvres sur sa joue, il lui sembla pendant une micro-seconde que tout était exactement comme ça devait être. Puis l'impression s'envola. Le temps qu'il réalise, Eros s'était déjà éloigné. « A bientôt » il dit, dans le vide, en agitant la main comme un idiot.