☾ life is the art of pretending to be normal.

L'été était fini. Septembre était passé. L'été indien avait pris possession de Miami. Anteynara n'avait pas vraiment vu le temps filer, ou du moins, il avait filé bien trop rapidement, et ça commençait à l'agacer au plus haut point. En apparence, tout semblait aller pour le mieux, et elle n'avait jamais été du genre à faire part de ses frustrations à quiconque. En réalité, c'était de pire en pire, et rien n'était tout à fait en place depuis son retour d'entre les morts. Elle se disait que ce n'était pas logique, que le bon sens voulait que ça aille d'abord mal, puis qu'avec les mois, les choses passent plus facilement et la vie devienne à nouveau plus simple. Le fait était que sa vie n'avait jamais été simple. Et qu'elle n'avait jamais cherché à ce qu'elle le soit. Ce n'était même pas qu'Anteynara se portait mal, mais c'était plutôt que l'absence d'une réelle enquête sur son enlèvement l'énervait particulièrement. Au final, elle devait se charger de ça toute seule, et c'était peut-être mieux ainsi, mais ne pouvoir faire confiance à personne était usant. Elle avait accepté de travailler pour une agence gouvernementale, et voilà qu'elle se retrouvait avec des emmerdes en plus. On la laissait accéder à tous les documents dont elle avait besoin, ce qui était déjà bien, mais visiblement, les infos qu'elle cherchait ne se trouvaient nulle part. Les faits étaient qu'elle s'était rendue à Prague sous mission pour la CIA. Peu de gens étaient au courant de son voyage, et encore moins en connaissaient les détails. Les types qui décidèrent de la kidnapper avaient non seulement prévu leur coup, mais savaient aussi exactement où la trouver et à quel moment. C'était certain qu'il y avait eu des fuites. Sauf qu'elle avait beau chercher, et ça faisait des mois maintenant. Elle n'obtenait rien. Des fausses pistes, il y en avait eu quelques unes. A croire que quelqu'un s'était arrangé pour que ça se passe ainsi. Elle savait qu'il y avait un traître quelque part, elle en était convaincue. Et chaque minute passée là, avec ce traître en pleine nature, c'était un risque en plus. Elle vivait encore plus à part qu'avant, voyait peu de monde. Joe parfois, James. Noah avait disparu de sa vie, et ce n'était pas plus mal. Il aurait fini par lui attirer des ennuis supplémentaires un jour ou l'autre. Pégase lui donnait tout l'amour dont elle avait besoin, et à part lui, sa fréquentation principale était la centaine de dossiers disposés dans son grand salon. Ce n'était pas une pièce qu'elle utilisait beaucoup, en général. Elle préférait passer du temps dans l'autre salon, plus cosy. Le grand salon... c'était rare qu'elle y soit. Mais il était devenu très pratique pour étaler son bordel et avoir un oeil sur tout. Les volets de la pièce restaient fermés, ça ne changeait pas trop des habitudes et ça évitait clairement les regards indiscrets (même si c'était pratiquement impossible de voir jusqu'à cet endroit-là de sa propriété). De la paperasse était suspendue sur certains murs, et sous les dossiers et documents, on ne voyait même plus la magnifique table basse de style baroque, avec ses dorures et son plateau de verre. Le tapis aussi avait disparu, sous un bordel organisé. Organisé oui, parce qu'elle savait exactement où se trouvait quoi, et il y avait un code couleur matérialisé par des bouts de ficelle reliant certains éléments entre eux. Elle était là, au milieu de tout ça, quand elle entendit toquer. Elle prit son temps, n'attendant personne. Et elle tomba face à Joe. Elle n'avait pas l'air très joyeuse. Ca tombait bien, la joie, c'était de la merde. « Toujours en vie, c'est bien. » Okay. Antey se poussa pour la laisser entrer, et voilà qu'elle traçait vers le salon dans lequel, normalement, elle ne se serait même pas arrêtée puisque n'importe qui étant un minimum habitué à la vie d'Antey savait qu'il ne se passait jamais rien dans cette pièce. « J'suis une pute moi? Tu prends contacte avec moi que quand ça t'arrange? Que quand t'as besoin de baiser ou pas être seule ou je n'sais quoi? » Qu'est-ce qu'il lui arrivait. Antey était un peu confuse, et pas trop d'humeur. Elle se contenta de rester plantée face à elle au milieu du bordel, en attendant une suite peut-être. « C'est quoi ce bordel? » questionna ensuite Joe, en prenant une feuille sur la table. « Laisse ça » fit d'abord Antey, sans hausser le ton. Elle n'avait pas le temps pour ces conneries, et elle se disait que si elle prenait sur elle, ça écourterait cet épisode dérangeant. Elle se baissa pour attraper la tasse de café à moitié vide et à peine tiède qui traînait là, et but quelques gorgées sous le regard de son amie. « T'as pas dormi depuis combien de temps toi?! » elle l'agressa encore. Heureusement, Antey n'était pas trop d'humeur à rentrer ans ce jeu-là, sinon elle aurait été capable de lui vider sa tasse sur la tête pour la faire redescendre un peu. « J'ai dormi cette nuit. » elle fit, cassante, glaçante. Clinique et sans émotion. C'était la vérité. Elle avait dormi 1h30. C'était devenu habituel, elle n'était ni folle ni idiote, elle savait bien qu'elle avait besoin de sommeil pour fonctionner. La vérité, c'était qu'elle traitait sa vie comme une mission, comme un job, depuis son retour. Peu de sommeil, toujours du travail. Elle tenait le coup, elle était une grande fille, indépendante, il savait se gérer. « Allez, remets-ça à sa place, tu vas tout me mélanger. Et touche plus à rien » elle reprit, un peu plus agacée cette fois-ci, s'approchant de Joe pour prendre la feuille de papier et la remettre sur la table, à sa place. « J'ai beaucoup de travail. Ca arrive parfois, tu le sais » ajouta-t-elle en buvant encore un peu de son café froid. Elle grimaça, c'était vraiment à peine buvable.

☾ life is the art of pretending to be normal.

Elle n'aimait pas qu'on envahisse son espace. Même si l'envahisseur était Joe, qu'elle aimait beaucoup, mais qui n'avait pas sa place au milieu du salon, entre des dossiers sur divers personnages du monde criminel de Miami, et du monde entier. Entre les plans de locaux inconnus, les photos et photocopies de billets d'avion. Anteynara n'avait pas de temps ni d'énergie à mettre dans un débat avec Joe, pas aujourd'hui, et certainement pas demain non plus. Mais maintenant qu'elle était là, il fallait bien faire avec. Elle remit le document à sa place, et essaya de faire comprendre à son amie qu'elle était occupée, prise par son travail. « Ouais j'vois ça, c'est donc ça qui te prend tout ton temps? » Ca semblait évident. « Oui » fit-elle simplement en la regardant droit dans les yeux. Si elle s'attendait à des explications, des excuses, c'était raté. Ca ne faisait pas trop partie du champ lexical d'Anteynara. Joe, comme tout le reste du monde, était à côté de la plaque. Elle ne comprenait pas la moitié de ce qui faisait la vie d'Antey, mais ce n'était pas entièrement sa faute. Antey, elle, connaissait le vrai poids des problèmes et les vraies conséquences qu'on pouvait attendre. Elle ne vivait pas dans une petite bulle, les yeux fermés, ignorant les réels dangers du monde. Elle n'était pas parano, juste réaliste. Contrairement à la majorité des gens qui l'entouraient. « Tu bosses sur quoi? Faut que je sache puisque j'ai plus de nouvelles de toi. Faut que j'fixe un rendez-vous aussi pour pouvoir te voir? Avant Noël ça serait cool par contre. » C'était fortement agaçant. Elle était venue simplement pour se plaindre de ça et lui taper sur le système. Avec son sarcasme à deux balles. Antey allait vraiment devoir prendre sur elle. « Oui, bonne idée le rendez-vous. Tu devrais appeler mon assistant, c'est lui qui gère mon planning professionnel, en-dehors de mes affaires plus confidentielles. Avant Noël, peut-être même Thanksgiving si tu tardes pas trop » elle répondit sur le même ton sarcastique, puisque c'était là les règles du jeu qu'elle avait instaurées. Elle fit un pas vers Joe, envahissant son espace. Elle reprit, entre ses dents serrées et son regard dans celui de son amie. « Qu'est-ce qui t'arrives ? Tu débarques chez moi pour faire ton numéro de névrosée, va chier un coup et ça ira mieux » Elle désigna le chemin vers les toilettes d'un geste de la main, puis après quelques secondes à la regarder encore, elle se tourna pour aller s'asseoir sur le canapé, au seul endroit où rien n'était posé, là où il y avait juste suffisamment de place pour une paire de fesses. Elle reprit en main le dossier sur lequel elle était penchée avant l'arrivée de Joe. Après un silence, elle prit la parole, plus simplement cette fois-ci. « C'est des photos de l'endroit où j'étais pendant deux mois » Sous ses yeux, une pochette cartonnée qui contenait des clichés qu'elle avait pris en revenant sur les lieux, ainsi que plusieurs plans et des notes compréhensibles par elle-même uniquement. « Depuis que je suis rentrée j'essaye de tout mettre au clair, retrouver les responsables, tout mettre sous clé, tout conclure, pour pouvoir classer cette affaire et la ranger au fond d'un tiroir » elle expliqua. « Sauf que ça prend un peu plus longtemps que prévu » ajouta-t-elle sans cacher son agacement vis-à-vis de cet aspect. Anteynara sortit une clope et se l'alluma en soupirant, les yeux posés sur les photos devant elle.

☾ life is the art of pretending to be normal.

Joe était agaçante, et surtout Anteynara avait l'impression qu'elle était venue ici car elle avait besoin de déverser un peu de colère, et elle s'était dit que le faire chez Antey, c'était une bonne idée. Sauf qu'elle n'avait pas vraiment le temps, ni l'envie, ni l'énergie. Elle avait des choses bien plus urgentes et utiles à faire, comme cette enquête qui n'en finissait pas. Finalement, elle décida de partager quelques infos avec Joe, une fois qu'elles furent toutes deux calmées et débarrassées de leurs sales caractères, du moins pendant un court instant. Elle lui montra plusieurs photos, ou au moins, la laissa s'y pencher et jeter un oeil, en lui disant qu'il s'agissait de l'endroit où elle avait été retenue. « Ew. » Ce n'était pas exactement ce à quoi elle s'était attendue. Elle leva un sourcil, sans commenter plus que cela, avant d'enchaîner en parlant de son enquête qui commençait à durer, et de son besoin primordial de trouver les responsables et de pouvoir classer cette histoire. « ça tourne à l'obsession, non? Pourquoi tu laisse pas quelqu'un d'autre s'en occuper, c'est trop personnel là, si tu les revois, tu vas carrément vouloir les tuer. » Il y avait beaucoup de choses qui n'avaient pas de sens là-dedans. Obsession, certainement pas. Quant au fait de vouloir les tuer, effectivement, c'était bien ce qu'il fallait. Parfois, elle oubliait que Joe vivait, avec 90% du reste des gens, dans une bulle de bisounours, qu'elle ne comprenait rien de la vraie vie, et qu'Antey avait vu et traversé des choses et des endroits qu'elle ne pouvait même pas imaginer. Pourtant, il lui suffisait d'aller à quelques kilomètres de là, dans un autre quartier de la ville. Et Joe, ce n'était pas la fille la plus naïve au monde, ce n'était pas un petit ange, mais même elle, elle  n'était pas tout à fait dans la même réalité qu'Anteynara. Elle tourna la tête vers Joe lentement, se détachant de ses documents. « Tu penses que quelqu'un est plus capable que moi ? » elle fit, à moitié amusée, mais aussi très sérieuse. Elle estimait que le travail ne pouvait être bien fait que par soi-même, et que confier cela à quelqu'un d'autre serait conre-productif et légèrement idiot. De toute façon, elle ne faisait plus confiance à personne, ou presque. En particulier pour cette affaire. « T'as besoin d'une pause. Clairement. Dors, bois, fume ou c'que tu veux mais tu dois penser à autre chose là. Juste un léger instant. Une pause. » Et là, c'était agaçant. « J'ai déjà pris des pauses. Je vais bien. Arrête. » dit-elle en tirant sur sa clope et zieutant les photos une nouvelle fois. Elle sentait bien que Joe allait encore insister. « Je sais pas ce que tu t'imagines. C'est pas un jeu où on fait pause quand on veut. La réalité, c'est que des types m'ont enlevée, savaient exactement où me trouver et à quel moment. Ils m'ont gardée pendant deux mois dans ce trou à rats, et si j'en ai tué certains en m'échappant, c'est sûr que leur réseau est plus grand que ça. Quelqu'un leur a donné des infos, et ces gens là sont toujours en vie, bien portants et peut-être plus près de moi qu'on le pense. Et ils sont forts, parce que j'ai beau chercher partout, ça mène à rien. Alors si tu veux croire que c'est juste une obsession ou une histoire de vengeance, fais comme tu veux, mais moi je sais exactement pourquoi je fais ça. » dit-elle. « Le principe c'est de ne pas laisser de traces, pas de témoins, pas de preuves. Ca marche dans les deux sens. Pour moi comme pour eux » Et avec tout ça, elle se demandait bien comment ça se faisait qu'elle était toujours en vie, et que rien n'était encore arrivé. Ca aussi c'était un signe : c'était bien trop calme.

☾ life is the art of pretending to be normal.

Joe, James, même Noah (pour le peu d'avis qu'il avait dans la vie), tous trois vivaient dans un monde différent de celui d'Anteynara. Comme s'ils se protégeaient de la vérité en fermant les yeux et se complaisant dans une sorte d'illusion selon laquelle le monde était plus édulcoré qu'en réalité. Anteynara, elle, avait le grand avantage et la chance de voir la vérité en face et d'avoir conscience de ce de quoi le monde était fait. Et clairement, ses problèmes de communication avec les autres venaient grandement de là. Comme s'ils ne parlaient pas la même langue. Alors quand Joe se tint là, à lui conseiller de faire une pause, de fumer ou boire, c'était tout simplement hallucinant. Comme s'il s'agissait d'une petite journée tranquille au bureau, où le plus grand danger de la journée était de perdre un client. Les enjeux étaient plus grands, mais ça, personne n'avait l'air de le comprendre. Alors elle ouvrit sa gueule, histoire de clarifier la situation et d'informer Joe sur le fait qu'il s'agissait là d'une question de vie ou de mort. Au sens littéral. « Wow wow, du calme je suis pas contre toi là. Mais tu crois vraiment aboutir à quelque chose comme ça? Je sais que t'arriveras à tes fins, on le sait tous, et tu le sais tout autant! Ils méritent bel et bien la mort et la plus horrible même. Je cherche pas à t'énerver ou à te ralentir dans tes recherches qui, excuse moi mais n'ont pas l'air d'aboutir à quelque chose vu ta tête de dix mètres de long. Mais si tu pouvais aussi éviter cette fois de réellement crever ça serait pas mal. » D'un côté, elle n'avait pas tort, et sa dernière phrase signifiait bien qu'au moins elle avait compris de quoi on parlait ici. Et oui, ce qu'Antey faisait pour l'instant ne la menait nulle part, mais elle n'avait pas encore tout regardé, comparé, analysé. Ils n'avaient rien laissé, pas une trace, mais c'était forcé qu'à un moment ou un autre, ils avaient fait une erreur. Elle comptait mettre le doigt dessus. « Pour toi c'est peut-être banale parce que c'est comme ça, mais pour nous autre crois moi que ça l'est pas tant que ça. J'te soutiens à 200% mais j'veux juste que tu fasses gaffe à toi, pas te refaire prendre et pas te voir à l'intérieur d'une boite en bois. » C'était plutôt sympa de sa part, et au moins elles étaient d'accord sur un point. Et puis, Joe était vraiment une amie hors du commun, et une fois de plus ses paroles le prouvaient. Anteynara n'aurait pas pu rêver mieux, au final. Elle n'était tout de même pas prête à l'avouer, ou le laisser transparaître, et préféra continuer de lire ce qu'elle avait sous les yeux. Sale gosse qu'elle était. Joe était assise là, à côté d'elle. « Tu préfères que j'te laisse alors? » elle dit après un silence s'étirant sur de longues secondes. Elle ne répondit pas immédiatement. « Non » elle dit, ferme, mais bien plus calme. Un "non" définitif, mais un peu largué là comme un aveu. C'était comme abdiquer, ou presque. Elle releva finalement les yeux de ses papiers pour tourner la tête vers Joe, saisir son visage d'une seule main et l'embrasser sur les lèvres. Ce fut fini aussi vite que cela commença. Et elle retourna à sa paperasse. « Les dosettes pour le café sont à côté de la machine, et dans la boîte en bois j'ai du thé de luxe qu'un client a ramené d'Asie. J'vais te faire une place sur le canapé » dit-elle, plus doucement, sans pour autant lever le regard.

☾ life is the art of pretending to be normal.

Etre seule n'était pas sa plus grande passion dans la vie, pas du tout. Mais malgré cela, la vie qu'elle menait demandait une attitude plus solitaire que le reste des gens. Et Anteynara aimait sa vie. Même avec tout ce qui lui tombait dessus, et ce qui pouvait potentiellement lui arriver, elle aimait sa vie, et si celle-ci ne lui plaisait pas, elle en aurait changé depuis longtemps. En vérité, elle n'avait pas besoin de l'argent de ses activités criminelles, et elle était libre de s'éloigner de tout ça si elle le désirait. Elle ne le désirait pas. Elle aimait sa vie, avec les bons côtés et les mauvais. Et elle était reconnaissante d'avoir Joe, parce que même si elle aussi avait son caractère et qu'elles n'avaient pas constamment le même point de vue, Joe respectait ses choix. Et si ça n'avait pas été le cas, Antey ne se serait certainement pas fatiguée à essayer de créer le moindre lien, de toute façon. Ceci dit, pour en revenir à sa solitude, elle n'en était pas spécialement friande, même si ses talents pour la vie sociale restaient limités. Du moins dans ce contexte. Quand Joe proposa de s'en aller, Anteynara lui fit savoir que non, elle n'avait pas besoin de partir. Ce fut une réponse monosyllabique, mais il n'y avait pas d'utilité à en dire plus, de toute façon. Après un bref baiser, elle l'invita à aller se chercher à boire ou à manger. « J'te fais un thé?! » elle entendit de la cuisine, ne répondit d'ailleurs pas immédiatement, trop absorbée par la lecture d'un rapport de construction totalement inintéressant. C'était à se demander si la CIA ne lui avait pas fourni intentionnellement des documents qui n'avaient pas la moindre utilité, histoire de l'occuper ou lui faire perdre son temps. Les enculés. « Ouais » dit-elle, quinze ans plus tard, le temps que la place se fasse dans son cerveau pour penser à cette tasse de thé. Quand Joe revint, ce fut chargée d'un plateau avec boissons et bouffe. « Tu gères. Je vais t'embaucher » fit Antey avec un sérieux qui demandait qu'on la connaisse bien pour comprendre l'humour et le second degré derrière cette remarque. « Tu veux être utile ? » Evidemment, c'était un peu difficile de donner du travail à Joe. C'était comme avoir un apprenti ou un stagiaire, on ne savait jamais trop quoi lui confier pour que ce soit productif, compte tenu de la situation. Et là, Antey était en galère et elle savait bien mieux quel était le job que Joe. Mais avec tout ça, un peu d'organisation et de rangement ne ferait pas de mal, et permettrait d'y voir plus clair. Antey n'avait pas pris le temps de s'en occuper, mais Joe pouvait faire ça. « J'ai un taf pour toi. Tiens » elle saisit une pile immense de papiers en tous genres : photos, documents d'identité..., et la posa sur les cuisses de Joe, avant de lui tendre des petits post-it de couleurs différentes. « C'est des photos de caméras de surveillance de l'entrepôt où j'étais. Là, c'est leur pièce de réunion, et là c'est la pièce où j'étais » elle désigna du bout du doigt les photos, montrant les mecs assis autour d'une table, puis se montrant elle-même, seule. « Là y'a un plan du bâtiment comme ça t'y vois plus clair et tu peux identifier les pièces. Ok. Ca c'est les fiches identité des mecs qui étaient là, et d'autres documents. Ta mission... tu me choisis une couleur pour chacun de ces enculés, et tu regardes chaque feuille... et à chaque fois que tu reconnais l'un d'eux, ou que y'a quelque chose qui le concerne, tu colles un post-it de sa couleur au bord de la feuille... comme ça j'y verrai un peu plus clair » elle expliqua, montrant les différents éléments au fur et à mesure des explications. « Ca va aller ? » Il y avait sept hommes différents, sept profils à traiter, sept couleurs à mettre. « Pis si y'a des gars que t'arrives pas à reconnaître, tu mets un post-it noir » elle ajouta finalement, prenant un biscuit sur le plateau et le fourrant dans sa bouche. Joe allait s'amuser, il y avait là pratiquement deux mois de photos, avec des interruptions, certes... mais deux mois tout de même.