Ils restèrent un long moment immobiles, là, au milieu du trottoir. Dean n'abaissa pas son regard, le greffa aux pupilles claires de celle qui avait été, jadis, son amie. Il eut dans l'espoir de pouvoir y ponctionner un morceau de sa réponse, une idée, aussi minime pouvait-elle être, des mots qui allaient passer ses lèvres, mais rien. Il n'arrivait pas à interpréter les signaux envoyés par la lueur de ses yeux, et les quelques sursauts de ses paupières chantonnaient toute la perplexité que laissait naître l'interrogation. Les émotions se succédaient à tour de rôle, donnant davantage de difficulté au militaire. Lui, par contre, par quelques mouvements de sourcils, suppliait que ce ne soit qu'un mauvais souvenir de leur relation. Après tout, cette réaction de sa part n'avait été qu'une idiotie liée à son jeune âge. Il avait lâchement préféré abandonner plutôt que de se battre, avait décidé de se retrouver seul plutôt que de briser l'amitié qu'elles entretenaient toutes deux; jamais il n'avait supposé qu'un cœur pourrait souffrir de ça.
Le non qui transperça le silence le fit se redresser; non quoi ? Il eut difficile d'avaler sa salive, car ce non disait tout et rien à la fois. Non, elle refusait le temps qu'il était prêt à lui accorder, ou non, elle ne pensait pas que leur histoire devait s'arrêter là ?
Kaboom-Kaboom. Il eut l'impression que son muscle vital, par ses à-coups brutaux, allait sortir de sa cage thoracique, et mourir sur les pavés de cette rue de Wynwood. Perdre la vie ainsi quand il avait réussi à survivre sous les bombes, en contrant les assauts ennemis; quel gâchis ! Il s'aventura alors à secouer la tête d'est en ouest, puis d'ouest en est, autant pour lui faire comprendre qu'il n'avait pas compris, autant pour la dissuader d'en finir définitivement avec lui. Auparavant, ils n'avaient pas eu l'occasion de faire grandir une amitié solide entre eux, le destin leur accordait la possibilité de le faire maintenant. Plus d'amie, plus de petite-copine, pour se mettre entre eux, pour leur interdire les tête-à-tête; c'était la chance à saisir, elle ne se présenterait pas une seconde fois.
Alors, imaginez bien que, lorsque Yaël expliqua la raison de sa négation, le corps de Dean, un peu, s'affaissa de soulagement. Ses joues s'étaient gonflées et avaient aussitôt évacué l'air dans un souffle d'apaisement, quand sa tête s'était baissée et ses paupières s'étaient closes. Il serra ses mâchoires lorsqu'elle parla d'adieux qu'elle ne voulait plus devoir imaginer entre eux, et il fit aller sa tête de gauche à droite, une fois encore, pour exprimer qu'il n'était pas d'avis à ce que ça se reproduise non plus. Il releva la tête, monta une de ses paumes également. Il eut envie de poser cette dernière derrière le crâne de sa vis-à-vis, de l'appuyer à nouveau contre son torse et qu'elle se rapproche naturellement de lui dans une étreinte, mais il fut stoppé. Prévisible, me direz-vous ? Certes. Son éducation fit barrage, et le monde tout autour ne l'aida pas à en faire abstraction; pas même pour une fois. Alors, plutôt que de l'enlacer, il porta sa main contre son front, comme s'il était prêt à deviner sa fièvre.
Il passa ensuite la naissance de ses cheveux sur le dessus de sa propre main, moment où leurs bouts de nez purent presque se toucher, et entrouvrit les lèvres pour murmurer :
j'te décevrai plus; il lui en était sincèrement reconnaissant. Il pinça ses lèvres avant d'y passer un coup de langue discret, laissa glisser ses doigts vers les racines brunes de la jeune femme, et remplaça ceux-ci par ses croissants rose-thé. Il ne les appliqua pas fermement sur son épiderme, les déposa juste sous un signe protecteur. Un touché furtif qui représenta bien plus qu'il n'y parut. Il n'en fut qu'à moitié gêné, ce pourquoi il s'autorisa à lui offrir un sourire mutin dès qu'il se fut reculé d'elle. Au même instant, il alla chercher son portable de sa main libre et le tendit vers Yaël en lui demandant :
passe-moi ton numéro; il avait changé de mobile, troqué le vieux pour un plus récent sur lequel il n'avait pas trouvé utile d'y mettre un code d'activation.
Jusqu'à ce que tu te sentes prête, je t'écrirai, en fit-il la promesse.
Il ne manquait plus qu'elle accepte de s'enregistrer dans le répertoire de l'Asiatique, lui ferait le reste. Chaque jour, même, s'il le fallait. Il lui laissa alors entre les mains, avant de se pencher à ses pieds pour ramasser les aliments qui étaient tombés de son sac au moment où elle l'avait lâché; temps qu'il avait fallu à Yaël pour taper les chiffres sur le clavier tactile du commando. Il se releva et proposa qu'ils échangent les biens, le panier de courses contre le portable.
J'vais pas t'embêter plus longtemps, indiqua-t-il, car même s'il avait voulu passer du temps avec elle, il lui avait promis de la laisser tranquille; et maman Hassani attendait également ses provisions.
Tu prends soin de toi hein, s'assura-t-il, complètement avenant,
et tu me réponds quand tu peux; à comprendre aussi souvent que son planning le lui accorderait. Il attendit encore un peu, juste assez pour imprimer ce visage à présent femme dans sa mémoire, et recula d'un pas, puis de deux, et de trois, jusqu'à ce qu'il soit obligé de tourner les talons.
Le mobile en main, il profita de l'instant pour s'assurer qu'elle s'était bien ajoutée dans les contacts; oui, alors il sourit.
LMLYD
