From Heaven to Hell

Mon regard se perd sur les pierres en face de moi. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours connu ces murs. Protecteurs pour certains, étouffants pour d'autres. Je me retrouve entre les deux comme beaucoup de jeunes de ma génération. Depuis tous petits, on nous inculque les valeurs de la chrétienté mais aussi des principes bien plus sombres. Le monde dehors est dangereux, perverti et non adapté à notre style de vie communautaire. Le Diable est partout qu'ils disent et s'il y a bien un truc qui peut effrayer un enfant c'est bien ça. Alors on a grandi dans cette idée que le lieu où nous vivions était le plus sécurisé et qu'il ne fallait pas en sortir. On y croyait dur comme fer qu'on était protégé. J'y ai cru, même quand j'étais seul dans le bureau du dirigeant. C'était pour mon bien qu'il disait. Comment j'aurais pu croire que ça ne l'était pas ? Sa parole est d'or au sein de la communauté. Personne ne s'y oppose et surtout pas un gamin. Ma famille dans tout ça ? C'est une des plus anciennes. Les dogmes du dirigeant et de Dieu sont ancrés au plus profond de leurs âmes. S'ils ont su, ils n'ont rien dit et ça ne fait que renforcer le pouvoir de ce dictateur dont je me méfie de plus en plus. Mais heureusement une rencontre a changé le cours de ma vie.

Fly, little butterfly, fly

Je me souviens de la première que j'ai posé les yeux sur Kathelyn. Elle jouait avec sa sœur dehors, devant sa maison. J'ai osé m'avancer et je me suis présenté, tout simplement comme des gosses le feraient. J'ai été tout de suite enchanté par son esprit. Je voyais déjà qu'elle ferait de grandes choses ici ou ailleurs. Ici, d'ailleurs, c'était bien trop petit pour elle, bien trop négatif pour elle. On le savait tous les deux même si c'était  à la vie à la mort entre nous au sein du complexe. On est vite devenus inséparables. Les gens parlaient mais je ne pouvais pas les écouter. Ils pouvaient bien penser ce qu'ils voulaient. Je m'étais fais une promesse, celle de toujours la protéger. J'ai prié toute ma vie pour qu'il ne lui soit pas arrivé la même chose qu'à moi mais si tel a été le cas, je ne l'ai jamais su. Elle n'en a jamais parlé. Le temps en sa compagnie passa vite, trop vite et le jour fatidique arriva. Ses vingt et un ans. Je savais ce que je devais faire, pour ne pas qu'elle se retrouve mariée à n'importe qui il fallait que je le fasse. J'avais trouvé le courage à un moment dans la soirée mais sa réaction n'était pas vraiment celle que j'espérai. Je me suis retrouvé dehors. Mais finalement elle savait que c'était la meilleure solution et elle a accepté de m'épouser. On était bien d'accord qu'on faisait ça uniquement pour la protéger. Il ne s'est jamais rien passé entre nous mais on faisait croire à toute la communauté qu'on était un couple aimant et épanoui. Faire semblant n'a pas été facile et certaines fois j'avais vraiment envie qu'on soit plus que des amis qui jouaient un rôle mais très vite je revenais à la réalité. Puis elle me parlait très souvent de l'extérieur. Je savais qu'elle ne resterait pas et si tel était son désir alors je l'aiderais. Au fil du temps, son besoin grandissant de sortir d'ici était plus qu'évident et il fallait que je trouve un moyen de faire appel à l'extérieur. Seul, je n'aurais pas pu faire grand chose. Je prétextais donc une fausse excuse pour mon travail d'ébéniste pour avoir accès au pc du dirigeant et de là je faisais des recherches pour trouver qui contacter. Je me perdais dans ce flot d'informations qu'était le net. Je ne trouvai rien ce jour-là mais tant pis, j'inventais d'autres excuses, j'allais même jusqu'à le laisser me toucher pour avoir accès à ce fichu pc ! Il fallait que j'y arrive quoiqu'il m'en coûte. Pour Kath. Un beau jour, je tombai sur le blog d'une jeune femme dont l'ami avait été embrigadé dans une secte. Elle vouait une haine à ces organisations et je me disais que s'il y avait bien une personne qui pourrait aider Kath et la mettre en sécurité c'était bien elle. Je la contacte et après quelques échanges une date et une heure sont fixées. J'en profite pour tout organiser et que ma femme ne manque de rien une fois sortie de là puis je retourne auprès d'elle et l'en informe. Les jours qui suivirent on fit comme si de rien était et le jour J, avant de partir à la messe, je la serrai fort contre moi. L'émotion était là et tout ce que j'ai su lui sortir c'était un "fait attention à toi" puis je sortis un collier de ma poche avec un pendentif en forme de papillon. Je l'avais sculpté dans le bois pour elle il y a quelque mois de cela. Le courage me reprit. Je pense que ça te représente tellement bien. Petite, tu évoluais ici comme une chenille à te faufiler partout, à être à l'aise partout. Le complexe était comme ton cocon protecteur et j'en ai fais parti. Les larmes me montent mais je ne les laisse pas couler. Maintenant, tu vas voler de tes propres ailes et je prierai pour qu'on ne te les arrache jamais. Je caresse doucement son beau visage et dépose un baiser sur son front avant de la laisser à contrecœur pour rejoindre les fidèles. Elle profitera qu'on soit tous à la messe pour partir. J'espérai que tout se passait bien pour elle. Mon esprit était avec elle, tout le temps et quand l'office fut fini, je rentrai chez "nous" et ne pus que constater qu'elle était belle et bien partie. J'ai dû jouer le mari éploré qui ne savait rien de ce qu'était devenu ma femme et tous me crurent. Ce départ m'a déchiré le cœur parce que là où elle est je ne pouvais plus veiller sur elle. Je ne pouvais que prier pour elle chaque jour et j'espérai que nos chemins se recroiseraient, dans cette vie ou dans une autre.